La directrice du Mudam, Suzanne Cotter, s’est exprimée sur les discussions autour de la «Chapelle» de Wim Delvoye. (Photo: Mike Zenari)

La directrice du Mudam, Suzanne Cotter, s’est exprimée sur les discussions autour de la «Chapelle» de Wim Delvoye. (Photo: Mike Zenari)

Avant d’entrer dans le vif du sujet, le déroulement de ce déjeuner suscite déjà des interrogations. Certains confrères ayant écrit sur le démontage polémique de la «Chapelle» de Wim Delvoye ne sont pas présents à ce déjeuner. Pas invités… La télé n’a pas l’autorisation de filmer, la radio d’enregistrer de son. En revanche, les journalistes de presse écrite peuvent prendre des notes. Mais pas de photos… Des excuses sont présentées, les journalistes lésés pourront avoir un second rendez-vous, filmé et enregistré cette fois. Le déjeuner se veut informel, Madame Cotter souhaite discuter avec nous. Ce qu’elle fait. Elle répond aux questions posées. Calmement.

Entrée: les publics

La discussion est initiée par la directrice sur l’importance du contenu de la programmation du musée. Avec quel langage le musée s’adresse-t-il aux visiteurs? La question du public et de sa fréquentation est très importante pour elle. Comment parvenir à faire venir plus de monde au musée, faire que le musée soit un lieu ouvert, en interaction avec la population, touchant un maximum de personnes.

Suzanne Cotter précise qu’un vaste chantier est en cours à ce sujet et qu’elle souhaite questionner les pratiques de médiation et de diffusion de la collection. Un pan du travail à venir qu’elle présentera à la Chambre des députés ce vendredi, devant la commission de la culture. Car on lui a en effet demandé d’y présenter sa vision pour le musée. «Je ne le vois pas d’un mauvais œil, précise-t-elle. C’est aussi la possibilité d’établir le fait que je ne suis pas une politique, mais une directrice de musée et que mon travail est de faire vivre cette institution qui est encore jeune et qui a beaucoup de potentiel de développement.»

Le plat de résistance: la «Chapelle»

Puis vient évidemment le sujet du démontage de la «Chapelle» de Wim Delvoye. «Ce démontage est ma décision», explique-t-elle. «Le Mudam ne se définit pas par un seul artiste. Nous avons plein d’autres œuvres formidables dans la collection et je souhaite en montrer plus. D’ailleurs, quand j’ai décidé d’accrocher un Majerus dans le Mudam Café, cela n’a pas posé de problème. D’autres œuvres de Wim Delvoye seront aussi exposées dans les mois qui viennent, il n’est pas mis à l’écart. La ‘Chapelle’ a quand même été exposée en continu depuis 12 ans. La suggestion de la démonter est même venue des collègues. J’ai consulté les médiateurs, qui ne l’ont pas vu d’un mauvais œil. Beaucoup de directeurs, quand ils viennent d’être nommés à la tête d’un musée, portent un nouveau regard sur la collection dont ils ont la responsabilité. Cela a été le cas au Tate Modern par exemple, et a apporté un vent frais sur la lecture des œuvres. Cette nouvelle lecture crée un nouveau moment d’intérêt pour le public. Nous avons un travail à faire sur le narratif et c’est ce que je souhaite mettre en route. Le démontage de la ‘Chapelle’ n’est pas du tout une histoire personnelle par rapport à l’artiste, encore moins vis-à-vis d’Enrico Lunghi.»

(Photo: Rémi Villaggi)

Certes, mais quand on lui rappelle le contexte difficile de création du musée et de l’acceptation de l’art contemporain, le lien qui s’est établi entre Wim Delvoye, Luxembourg et Enrico Lunghi, on s’aperçoit que toute cette histoire du Mudam n’a pas du tout été prise en considération dans sa décision. Pour Suzanne Cotter, le démontage de la «Chapelle» est l’occasion de faire de la place pour montrer par ricochet d’autres œuvres de la collection dans le pavillon Leir, de procéder à un roulement d’accrochages. Rien de plus. Mais quelle maladresse de communication

Dessert: la collection au cœur de la réflexion

Pour enrichir cette collection, il faut pouvoir acheter des œuvres. Pour ce faire, Suzanne Cotter vient de nommer un comité scientifique de très haute volée composé de Nancy Spector, directrice artistique et curatrice en chef de la Solomon R. Guggenheim Foundation à New York, de Daniel Birnbaum, directeur du Moderna Museet de Stockholm, et d’Okwui Enwezor, directeur de la Haus der Kunst à Munich. La crème de la crème qui pourra travailler pour le Mudam jusqu’en 2021.

Quant au budget, elle pourra cumuler les deux dernières années qui n’ont pas été dépensées, «mais il n’est pas assez conséquent. Il faudra aussi travailler grâce à des fonds et des donations d’œuvres.» Sur les choix artistiques, la réponse reste assez évasive: «Il s’agit d’une jeune collection qui a commencé dans les années 1990. Aussi, 1989 pourrait jouer le rôle de curseur, tout comme 1968 a rempli aussi ce rôle. Nous allons donc poursuivre l’acquisition d’œuvres récentes, mais aussi peut-être réussir à enrichir la collection par quelques œuvres significatives des années 1960-70 grâce à des dons, et ceci dans l’objectif d’avoir quelques références plus historiques.»

Des œuvres oui, mais il faut les stocker. Sur ce point la vision est très claire: «Il faut pouvoir libérer un maximum du budget qui est actuellement réservé à la location d’espace de stockage pour le redistribuer vers la programmation. Nous devons trouver d’autres solutions, qui pourront peut-être passer par la mutualisation d’espaces et de besoins avec les autres musées, localement ou internationalement.»

Mignardises: ses relations avec le conseil d’administration

Au sujet de ses relations avec le conseil d’administration, «elles relèvent de la responsabilité budgétaire. Le CA doit s’assurer de la transparence des ressources et de l’équilibre financier de l’institution. Les membres du CA doivent aussi jouer le rôle de facilitateur pour soutenir l’institution. Je leur soumets mon programme artistique avec le plan budgétaire correspondant et le CA s’exprime sur cette adéquation. Certains de mes choix artistiques ne seront peut-être pas au goût de tout le monde, mais je suis l’experte et ils doivent me faire confiance.»

Des choix qui seront un juste équilibre, dit-elle, «entre propositions accessibles et choix plus avant-gardistes, de manière à signaler que certaines choses sont en train de changer dans notre monde, mais qu’il est possible de s’appuyer en même temps sur certaines bases, parfois historiques. Je crois à l’utilité de l’art, au fait que la culture peut apporter beaucoup à notre société. Le Mudam n’a pas encore donné tout ce qu’il pouvait. Il a encore un fort potentiel de développement.»