Thierry Debourse et Nicolas Henckes militent l’un comme l’autre pour une plus grande amplitude des heures d’ouverture des commerces. (Photo: Maison Moderne Studio / montage)

Thierry Debourse et Nicolas Henckes militent l’un comme l’autre pour une plus grande amplitude des heures d’ouverture des commerces. (Photo: Maison Moderne Studio / montage)

Messieurs, la nouvelle loi sur le bail commercial, qui doit mettre fin au principe du «pas-de-porte», va-t-elle selon vous permettre d’éviter des faillites en cascade? Pensez-vous qu’elle répond aux réels enjeux de la location et de la sous-location?

Thierry Debourse: «Il me semble opportun de rappeler la définition du ‘pas-de-porte’, qui est la différence entre le loyer en cours et le loyer de marché, actualisée sur la durée restante du bail. De manière simple, un pas-de-porte peut se justifier si le locataire en place cède un bail dont le loyer est inférieur au loyer de marché et la durée restante suffisante pour justifier le lancement d’une nouvelle activité.

Le pas-de-porte est souvent confondu avec le ‘fonds de commerce’ ou la ‘valeur de convenance’, celle-ci étant le prix qu’un locataire est prêt à (sur)payer pour obtenir un emplacement commercial.

Les faillites retentissantes d’il y a quelques années sont dues à une combinaison de facteurs: le paiement de ‘valeurs de convenance’ exorbitantes et une gestion si pas frauduleuse, à tout le moins douteuse par les acteurs concernés.

Ce ne sont donc pas les ‘pas-de-porte’ qui entraînent une faillite, mais des facteurs économiques liés soit à l’activité (disparition de l’enseigne, etc.) soit à la gestion, soit à des éléments extérieurs (travaux de longue durée, etc.).

La nouvelle loi a le mérite de proposer un cadre plus précis et de répondre à certains enjeux cruciaux pour les parties, je pense particulièrement aux règles en termes de renouvellement.

La sous-location reste limitée dans le domaine commercial. La cession du droit au bail est plus courante. Dans ce cadre, les précisions apportées par la nouvelle loi en termes de sous-location ne modifient pas substantiellement les habitudes et la législation actuelles.

Bien que le législateur ait interdit les paiements de type ‘pas-de-porte’, son principe même persiste.

Nicolas Henckes, directeur de la CLC

Nicolas Henckes: «L’avenir nous dira si ces faillites en cascade ne se reproduiront pas sous une autre forme. Bien que le législateur ait interdit les paiements de type ‘pas-de-porte’, son principe même persiste, moyennant la mise en place du système de l’indemnité d’éviction à la fin d’un bail, cette fois-ci au profit du preneur sortant et au désavantage du bailleur, respectivement de son futur preneur.

L’introduction de l’obligation du paiement d’une indemnité d’éviction représente un montant potentiellement important qui pourrait hypothéquer les capacités financières de tout bailleur.

Tout bailleur doit désormais, selon le principe de prudence comptable, provisionner durant la durée du bail de neuf ans le montant qu’il sera susceptible de devoir remettre au preneur à la sortie du bail.

La CLC avait revendiqué que le mécanisme de l’indemnité d’éviction soit retiré du projet de loi et, afin de mieux protéger en contrepartie les intérêts du preneur, qu’un délai de résiliation étendu soit mis en place.

Par ailleurs, la CLC avait suggéré de prévoir à la place du mécanisme de l’indemnité d’éviction une disposition visant à imposer au bailleur de rembourser au preneur à la fin du bail les investissements non encore amortis dans l’équipement des locaux que le preneur aurait pris en charge et qui seraient réutilisables par un nouveau preneur.

Pensez-vous que l’arsenal législatif est suffisamment adapté aux pratiques du commerce en matière d’heures d’ouverture?

T.D.: «Ces dernières années, à l’instigation de propriétaires de centres commerciaux, d’associations de commerçants et autres, les heures effectives d’ouverture des commerces se sont considérablement élargies.

Les ouvertures – ponctuelles – dominicales confirment cette tendance.

Le projet Royal-Hamilius devrait booster les heures d’ouverture du centre-ville.

Thierry Debourse, head of retail JLL Luxembourg

Et il est certain que, comme dans les pays anglo-saxons par exemple, les heures d’ouverture devront continuer à s’élargir pour répondre aux exigences des consommateurs que nous sommes.

La nouvelle législation est parée pour répondre à de tels ‘défis’. En effet, la loi sur les baux commerciaux cadre l’activité, mais pas les heures d’ouverture. Aujourd’hui, on constate déjà une grande différence d’amplitude d’heures d’ouverture entre, par exemple, les centres commerciaux et le piétonnier du centre-ville.

L’ouverture prochaine du projet Royal-Hamilius sera plus que certainement un élément qui viendra ‘booster’ les heures d’ouverture du centre-ville.

Je pense que c’est davantage les législations sociales qui devront s’adapter à cette nouvelle donne que la loi qui encadre les activités commerciales.

N.H.: «La CLC a clairement pris position pour une libéralisation totale des heures d’ouverture dans le strict respect du droit du travail.

Les restrictions actuelles sont d’un autre âge et il conviendrait de laisser à chaque commerce l’entière liberté de décider de son ouverture ou non.

Cela ne constituerait en aucun cas une révolution, les mentalités évoluant lentement, mais ce serait une simplification administrative pour ceux qui veulent travailler plus et offrir un meilleur service et une meilleure disponibilité à leurs clients.

Quelle serait votre recommandation en matière de législation sur les commerces à adresser aux partis dans le cadre de la constitution des programmes électoraux?

T.D.: «La nouvelle loi n’est pas encore d’application et il est donc difficile de percevoir a priori les difficultés qu’elle pourra entraîner ou les négociations qu’elle pourra faciliter.

Le Luxembourg manque de plateformes commerciales en extérieur de ville.

Thierry Debourse, head of retail JLL Luxembourg

Comme je l’ai déjà dit, l’amplitude des heures d’ouverture est cruciale pour que l’activité des magasins physiques continue à être pérenne.

Par ailleurs, le territoire luxembourgeois est bien pourvu en termes de centres commerciaux et de magasins de centre-ville, mais il lui manque des ‘plateformes’ commerciales en extérieur de ville, près des axes autoroutiers, faciles d’accès tant pour les consommateurs que pour – par exemple – les livraisons.

Si le Luxembourg veut rester dans la course en matière de ventes en ligne, je crois que les décideurs politiques devront faciliter l’accès à des terrains de grandes dimensions pour accueillir de telles initiatives.

Le nombre de promoteurs et logisticiens prêts à répondre à ce défi est très important, encore faut-il leur donner les possibilités de développer de telles plateformes. Il y a suffisamment de terrains le long des grands axes routiers, voire d’anciennes friches industrielles à réhabiliter pour qu’un tel défi soit réalisable à court terme.

N.H.: «Outre la libéralisation des heures d’ouverture, nous allons demander aux partis de mettre en place un registre national des terrains et commerces disponibles.

Dans le secteur de l’industrie, une entreprise en recherche d’un terrain s’adresse au ministère de l’Économie qui peut la renseigner sur les possibilités. Un commerçant qui souhaite s’établir doit pour sa part se renseigner commune par commune.

Ceci n’est pas raisonnable et il faut viser une centralisation de ces informations, pourquoi pas au sein de l’actuel Cadastre commercial qui est en train d’être créé dans le cadre du projet Pakt Pro Commerce?»