Une cinquantaine de personnes sont venues soutenir Édouard Perrin et Raphaël Halet dans leur recours contre l’ordonnance qui a conduit à une perquisition musclée chez l’ancien salarié de PwC. (Photo : Maison Moderne)

Une cinquantaine de personnes sont venues soutenir Édouard Perrin et Raphaël Halet dans leur recours contre l’ordonnance qui a conduit à une perquisition musclée chez l’ancien salarié de PwC. (Photo : Maison Moderne)

Alors que l’arrêt de la Cour de cassation luxembourgeoise est attendu ce jeudi, le procès LuxLeaks s’offre un détour du côté de Metz, où le juge des référés du tribunal de grande instance examinait mardi matin une requête du journaliste Édouard Perrin, acquitté en première instance comme en appel lors des procédures pénales luxembourgeoises, mais qui soulève la violation de la protection des sources dont il a été victime lors des investigations de PwC après les révélations LuxLeaks.

Un changement de décor pour les soutiens de Raphaël Halet et d’Édouard Perrin. Ils sont une cinquantaine à s’être déplacés et affrontent la fraîcheur hivernale devant le vénérable palais de justice de Metz, dont la pierre de Jaumont tranche avec le ciel pâle. Les bannières de la CGT, d’Attac et du Parti communiste français côtoient celle du comité de soutien à Antoine Deltour. La presse est aussi au rendez-vous, mais pas de médias nationaux en vue pour cette audience intrigante.

Retour en 2014. Le scandale LuxLeaks vient d’éclater et, tandis qu’Antoine Deltour, confondu comme origine de la fuite de documents utilisés par l’émission Cash Investigation en mai 2012, comparaît devant la juge d’instruction luxembourgeoise, PwC se rend compte que plusieurs documents sont ultérieurs à la démission de l’ancien auditeur. Une nouvelle enquête interne est menée afin d’identifier la seconde fuite et conduit rapidement à Raphaël Halet, membre de l’équipe de soutien administratif du département Fiscalité.

Une ordonnance banale au civil, pas au pénal

Soucieuse de récupérer les documents dérobés et de résorber la fuite, la société d’audit s’adresse directement à la justice civile de Metz, afin d’obtenir une ordonnance permettant de récupérer des preuves au domicile de son salarié, à l’époque en congé maladie. «Un intérêt légitime évident», souligne Me Hervé Renoux, avocat de PwC. Et une procédure assez banale dans des affaires de concurrence déloyale ou de litige avec un salarié.

C’est cette ordonnance qui a conduit au débarquement d’un huissier de justice, mais aussi de quatre gendarmes et de plusieurs responsables de PwC flanqués d’un ingénieur informatique, chez Raphaël Halet, dans les conditions largement décrites par son avocat Me Bernard Colin devant la justice luxembourgeoise. Conditions d’ailleurs dénoncées par le procureur de la République de Metz dans un avis récent. L’ordonnance vise expressément à mettre la main sur les correspondances entre Raphaël Halet et Édouard Perrin. 

Cet acte judiciaire est illégal, soutient Me Fiodor Rilov, avocat d’Édouard Perrin, agissant au principal. «Il n’est pas acceptable qu’une ordonnance rendue sur requête serve à démolir la protection dont doit jouir la source d’un journaliste», souligne-t-il. L’ordonnance a en effet permis à PwC de dévoiler avec certitude la source d’Édouard Perrin et de mettre fin à leurs échanges. Or, la protection des sources est inscrite dans la loi de 1880 sur la presse.

Une contestation tardive selon PwC

Deuxième charge portée par Me Bernard Colin, l’avocat de Raphaël Halet, lequel agit en tant qu’intervenant volontaire accessoire dans ce recours. Me Colin réitère ses attaques contre PwC et contre les conditions de la perquisition chez M. Halet comme de l’accord transactionnel l’intimant au silence. Et souligne que la juge des référés elle-même, interrogée dans le reportage d’Envoyé spécial consacré à Raphaël Halet en octobre 2016, avait admis qu’elle ne signerait plus l’ordonnance sachant son effet sur la protection des sources.

PwC, par la voix de Me Renoux, maintient la légitimité de l’ordonnance et dénonce les sous-entendus des requérants quant à la «mainmise de PwC sur la justice luxembourgeoise». À l’audience comme dans ses conclusions, l’avocat estime que le recours est intenté très tardivement — trois ans après l’ordonnance, et non dans les jours suivants comme c’est habituellement le cas. «Raphaël Halet a reconnu la validité de l’ordonnance dans l’accord transactionnel qu’il n’a pas non plus contesté», ajoute-t-il.

Me Renoux conteste surtout la légitimité d’Édouard Perrin dans ce recours. «Édouard Perrin a été relaxé [par la justice luxembourgeoise], quel bénéfice retirerait-il aujourd’hui, personnellement, d’une rétractation de l’ordonnance?», interroge-t-il. Il balaie encore l’argument de la protection des sources, soulignant que le journaliste n’a pas apporté la preuve de sa qualité de journaliste et ne représente aucun syndicat de journalistes professionnels. Une position qui ne correspond pas à celle arborée jusque-là puisque la profession d’Édouard Perrin n’a jamais été remise en question par PwC lors des précédentes audiences.

Je ne vais pas refaire l’instruction.

Pierre Wagner, président du tribunal de grande instance de Metz

Pour Me Renoux, M. Halet ne serait même pas une source au sens de la loi de 1880 puisqu’il ne s’agit «ni d’un collaborateur, ni d’un assistant, ni du conjoint» du journaliste, et que les deux hommes n’ont été en contact que durant quelques mois — et ont utilisé des méthodes dignes du «grand banditisme», juge-t-il, provoquant un tollé de stupéfaction dans la salle et le sourire amusé d’Édouard Perrin.

«Je ne vais pas refaire l’instruction», insiste le président du tribunal de grande instance de Metz, Pierre Wagner, après 2h30 de plaidoiries. «Je vous rappelle que ma seule mission est de me remettre dans la situation du juge de l’époque en reprenant les éléments soumis par la partie qui n’était pas présente.» Pas question donc d’évoquer une «faute» de son prédécesseur, ni de préciser la jurisprudence sur la protection des sources.

Quand bien même, si le 6 février, date de mise en délibéré, le juge des référés se rétractait et annulait donc cette ordonnance, ce serait un signal fâcheux pour PwC et une victoire pour Édouard Perrin comme pour Raphaël Halet. Lequel est soupçonné par Me Renoux de faire de l’«optimisation judiciaire» en «allant chercher devant la justice française ce qui lui a été refusé par la justice luxembourgeoise», à savoir la reconnaissance d’un véritable statut de lanceur d’alerte.