Raphaël Halet a respecté l'accord de confidentialité qui le liait à PwC jusqu'à ce que le procès l'oblige à apparaître au grand jour. (photo : Sven Becker)

Raphaël Halet a respecté l'accord de confidentialité qui le liait à PwC jusqu'à ce que le procès l'oblige à apparaître au grand jour. (photo : Sven Becker)

Le quatrième jour d’audience du procès dit LuxLeaks a vu le tribunal commencer l’audition des trois prévenus. C’est Raphaël Halet, accusé comme Antoine Deltour d’avoir soustrait et recelé des documents confidentiels et d’avoir violé le secret professionnel, qui a ouvert le bal.

L’homme de 40 ans a commencé à travailler chez PwC en 2006 en tant qu’assistant personnel de plusieurs fiscalistes, avant de prendre en 2011 la responsabilité de l’équipe Tax process support prenant en charge le soutien administratif du département Fiscalité.

Lorsque est diffusée l’émission Cash investigation en mai 2012, Raphaël Halet se souvient avoir été «surpris et choqué» par les révélations sur l’optimisation fiscale agressive des grandes entreprises, tout comme ses collègues. «J’ai pensé que c’était une personne de mon équipe ou de l’autre équipe technique qui a accès aux ATA (advanced tax agreements, rescrits fiscaux)» qui avait livré des documents aux journalistes. Et pas un auditeur car «j’ai toujours entendu dire que les auditeurs n’avaient pas accès aux ATA. Nous devions en référer à nos supérieurs si un auditeur demandait à voir un ATA.»

Il s’avère que c’est bien un auditeur qui était à l’origine de la fuite, et que ces rulings étaient d’un accès particulièrement facile. D’ailleurs, le scandale LuxLeaks a conduit les informaticiens de PwC à remettre de l’ordre dans les accès: «ils ont revu tous les dossiers sur le serveur pour voir qui y avait accès. Ils se sont aperçu que des personnes qui avaient quitté l’entreprise avaient toujours accès à certains documents.»

J’ai compris le contenu des documents que je voyais passer tous les jours.

Raphaël Halet, ancien salarié de PwC

Le scandale ébranle également le responsable d’équipe. «J’ai compris le contenu des documents que je voyais passer tous les jours. Avant, pour moi, c’étaient juste des papiers. (…) Ces pratiques me choquaient, elles allaient à l’encontre de mes valeurs et je me rendais compte que j’y participais contre mon gré.» Il prenait ainsi part à un système bien huilé entre PwC qui préparait et imprimait les rescrits fiscaux pour ses clients et Marius Kohl, préposé du bureau 6 de l'Administration des contributions directes, qui signait rapidement ces rescrits, comme le salarié le détaille au cours de son interrogatoire.

C’est cette prise de conscience qui amène Raphaël Halet à essayer de rentrer en contact avec Édouard Perrin dont le nom figure au générique de l’émission Cash investigation. Les discussions par mail seront suivies comme on le sait d’une rencontre à Metz en octobre 2012. «Je lui ai dit que je connaissais pas les sociétés citées dans l’émission et que ça ne m’aidait pas à comprendre les montages. Ce serait plus parlant si c’étaient des sociétés connues.» Une déclaration cohérente avec le fait que le salarié ait «pris des documents sur des sociétés dont le nom [lui] parlait».

Raphaël Halet fournit donc 16 documents – déclarations fiscales ou lettres de confirmation de l’Administration des contributions directes accompagnant les rescrits – à Édouard Perrin en les attachant à des brouillons dans la boîte mail [email protected]. «C’est moi qui ai eu l’idée du nom d’après le film», souligne Raphaël Halet – faisant référence à un film de 1964 avec Jean-Paul Belmondo et Lino Ventura.

Raphaël Halet a choisi de nommer l'adresse électronique servant d'intermédiaire avec le journaliste Édouard Perrin selon ce film de 1964 d'Henri Verneuil.

Mais fin 2012, le salarié referme le robinet. «J’estimais avoir fait mon devoir de citoyen et je ne voyais pas ce que je pouvais faire de plus». Il cesse de déposer des documents dans la boîte mail et ne répond pas non plus aux courriels d’Édouard Perrin. «Par politesse j’aurais pu le prévenir mais je ne l’ai pas fait.» Il faut dire que le Français traverse alors une période délicate, entre soucis de santé et «ambiance difficile à vivre» dans son équipe. Il cherche à partir mais ne trouve pas d’autre emploi. «Il ne faut pas oublier que ça a été la période la plus difficile de ma vie sur le plan physique et psychologique.» Il sera d’ailleurs placé en congé maladie de longue durée mi-2014.

Le temps passe, jusqu’à la publication des LuxLeaks le 6 novembre 2014. L’enquête interne menée par PwC pointe Raphaël Halet. L’entreprise veut à tout prix savoir s’il a transmis d’autres documents que les 16 repérés et demande une perquisition au domicile du salarié en Lorraine. Fragilisé, celui-ci vit très mal cet épisode. «Deux gendarmes appellent ma femme alors que j’étais en centre de soins. Ils prétextent le vol de ma voiture puis le cambriolage de ma maison. Quand j’arrive, ma voiture est là et les gendarmes disent ne pas être au courant.» L’huissier de justice accompagné d’un expert informatique et d’un salarié de PwC doit constater la présence de mails dans l’ordinateur personnel de Raphaël Halet.

Un interrogatoire dans des circonstances particulières

«Je dois préciser que j’ai vu deux photos de mariage dans mon dossier professionnel que tenait la personne de PwC, des photos qui ne sont jamais sorties de la famille. Cela nous a beaucoup choqués, ma femme et moi. Est-ce légitime qu’un employeur fouille dans la vie de ses employés?»

Le salarié signe ensuite l’accord de confidentialité dans lequel il s’engage à ne rien révéler de ses fuites. PwC le licencie avec un préavis de 6 mois s’achevant le 1er mai 2015. Depuis, il n’a pas retrouvé d’emploi et vit des allocations chômage. «J’ai respecté l’accord, il n’a pas été rendu public de mon fait», répète-t-il.

Circonspect, le procureur revient d’emblée sur le caractère confidentiel des documents – et en profite pour rappeler que lors de son interrogatoire par la juge d’instruction, l’ancien salarié avait affirmé ne pas avoir donné l’autorisation au journaliste de montrer les documents.

Pour Me Michel, défenseur du journaliste, la raison en est que le salarié a signé peu avant l’interrogatoire l’accord stipulant que PwC lui réclamerait 10 millions d’euros s’il parlait et 1 euro s’il gardait le silence. Et ce en présence de son épouse - «ce n’est typiquement pas luxembourgeois!», s’emporte l’avocat. Le vice-président acquiesce, ne manquant pas de noter que la procédure s’est passée en France.

Il n’y a pas eu de manipulation du journaliste de ma part et inversement.

Raphaël Halet, ancien salarié de PwC

Autre circonstance troublante selon l’avocat: l’interrogatoire de la juge d’instruction s’est produit en présence de la partie civile, PwC. «En 47 ans, c’est la première fois que je vois cela !» De quoi accentuer la pression sur les épaules du salarié quelques semaines après la signature d’un accord à 10 millions d’euros.

«Il n’y a pas eu de manipulation du journaliste de ma part et inversement», affirme-t-il aujourd’hui, tandis que le procureur comme le vice-président le questionnent sur les «demandes précises» que lui aurait faites Édouard Perrin.

Pour preuve de sa bonne foi, le Français avance une image qui fait sourire la salle: «si j’avais touché de l’argent, vous pensez que je serais resté dans mon village à la campagne par -2°C ? Je serais dans une piscine au bord de la mer au Panama…»

Et de conclure avec une phrase qui l’a frappé en novembre 2014, car en ligne avec ses propres convictions: «la faible taxation des entreprises ne correspond pas au concept de justice fiscale et aux normes éthiques et morales généralement admises». Une phrase de… Jean-Claude Juncker. La salle est aux anges.

Les deux autres prévenus, Antoine Deltour et Édouard Perrin, seront entendus mardi prochain et laisseront place mercredi aux plaidoiries qui devraient se prolonger le 10 mai.