Sandra Visscher: «Les peines que reçoivent les coupables d’agressions envers les femmes sont également un indicateur de l’égalité entre les sexes dans un pays.» (Photo: Patricia Pitsch)

Sandra Visscher: «Les peines que reçoivent les coupables d’agressions envers les femmes sont également un indicateur de l’égalité entre les sexes dans un pays.» (Photo: Patricia Pitsch)

Retour sur le parcours de Sandra Visscher, directrice d’Unicef Luxembourg, une femme indépendante et altruiste, à l’engagement actif et concret, notamment sur la condition des femmes dans le monde.

Madame Visscher, comment êtes-vous rentrée dans le domaine de l’humanitaire?

«Après le lycée au Luxembourg, je suis partie à Londres pour des études de sociologie et de communication. J’ai aussi brièvement été assistante pédagogique au Luxembourg. Puis, j’ai fait une formation au Danemark qui m’a préparée à une action humanitaire au Mozambique. C’était en 1999, quand le problème du sida était encore très pressant en Afrique. Je faisais partie d’une cellule qui devait instruire des étudiants sur les risques de la maladie.

Donc vous avez toujours eu cette fibre pour l’humanitaire?

«Oui, depuis le lycée. Mais à l’époque, je ne savais pas comment y arriver par un chemin tout tracé.

Aujourd’hui, on peut faire des études humanitaires, mais c’était beaucoup moins fréquent à l’époque. C’est pour ça que je suis partie au Mozambique, pour tester si le bénévolat était vraiment quelque chose pour moi. Après ça, j’ai travaillé avec des enfants de la rue pendant six mois au Brésil.

Comment vous êtes-vous retrouvée au Luxembourg?

«L’idée n’était pas de rester ici! Après l’université et six mois ici et six mois là-bas, j’avais besoin de quelque chose de vraiment sérieux sur mon CV. Je voulais aussi un travail plus stable. Ça devait être une parenthèse de trois ou quatre ans.

J’ai trouvé assez vite un emploi à l’Unicef en tant que chargée de communication en 2001. Après deux ans, mon prédécesseur est parti et on m’a proposé de devenir directrice.

Depuis que je suis entrée dans l’ONG, il n’y a pas eu deux jours identiques. Je ne m’ennuie absolument pas, et donc je ne suis jamais partie.

Il y a une énorme institution derrière nous.

Sandra Visscher, directrice d’Unicef Luxembourg

À quoi ressemblait l’organisation à l’époque?

«Nous étions cinq, c’était vraiment une très petite structure. Nous faisions surtout des cartes de vœux et des petites actions de collecte de fonds et de sensibilisation. C’est encore le cas, mais nous travaillons surtout avec des partenaires du secteur ‘corporate’, des fondations, etc.

Quels sont les défis qu’apporte une petite structure comme celle-là?

«Ici, nous sommes très flexibles et pragmatiques, mais il y a une énorme institution derrière nous. Nous collaborons beaucoup avec nos collègues voisins. Le Luxembourg est bien respecté par l’organisation internationale parce qu’on a de bons résultats avec un staff relativement limité.

L’Unicef fait aussi beaucoup pour la condition des femmes. Comment cet engagement est-il reflété concrètement en interne?

«L’Unicef fait une sorte de discrimination positive. S’il y a un cas de figure dans lequel un homme et une femme ont les mêmes qualifications et sont intéressés par la même position, l’organisation va préférer employer une femme, par des soucis de représentation et pour promouvoir la position des femmes dans des rôles de responsables et de leaders.

Dans beaucoup de pays, les parents préfèrent envoyer leurs fils à l’école.

Sandra Visscher, directrice d’Unicef Luxembourg

Est-ce que vous trouvez que cette politique est efficace?

«L’humanitaire, même en dehors de l’Unicef, est un secteur qui regroupe beaucoup de femmes, comme celui de la santé et de l’éducation. Par contre, on n’en retrouve pas beaucoup dans des postes de direction de ces secteurs.

Quand j’ai commencé, c’était plus difficile de se faire entendre que maintenant, mais je ne sais pas si c’est lié au fait que je sois une femme, car je n’ai pas de critère de comparaison.

Qu’en est-il du conseil d’administration?

«Nous avons actuellement une présidente, et il y a cinq femmes pour quatre hommes dans le conseil. La diversité des genres est inscrite dans notre règlement interne.

Je trouve que la promotion des femmes est importante, mais une bonne mixité l’est aussi. Je regarde avant tout les qualités des candidats lors du recrutement. Il faut un bon équilibre dans une équipe, pas seulement au niveau des genres, mais aussi des qualités et des tempéraments.

La parité joue un grand rôle dans les campagnes de l’Unicef…

«Oui, c’est un sujet qui nous tient à cœur.

Ça commence par l’éducation, parce qu’on voit que dans beaucoup de pays, les parents préfèrent envoyer leurs fils à l’école, délaissant la scolarisation de leurs filles.

Nous devons créer un contexte favorable. Cela se fait par des configurations auxquelles nous ne penserions pas, comme par exemple des toilettes séparées pour garçons et filles à l’école.

Nos campagnes sont dédiées à des grands thèmes, comme la santé ou la protection. Mais à travers ces thèmes-là, la problématique du genre surgit toujours.

Nous nous concentrons sur les filles et les femmes parce qu’elles rencontrent plus de barrières au cours de leur vie.

Sandra Visscher, directrice d’Unicef Luxembourg

Est-ce que vous travaillez aussi avec les autorités et communautés locales?

«Oui, notamment pour éradiquer des pratiques comme les mutilations génitales. C’est un énorme problème dans beaucoup de pays, qui concerne des millions de femmes chaque année.

Il faut noter que nous ne soutenons pas les filles au détriment des garçons. Chez Unicef, nous parlons d’‘equity’, pas d’‘equality’. Nous nous concentrons sur les filles et les femmes parce qu’elles rencontrent plus de barrières au cours de leur vie.

Quel est, concrètement, l’impact de l’éducation des filles?

«Elles se marient plus tard, elles ont moins d’enfants, qui, d’ailleurs, sont en meilleure santé parce qu’elles le sont aussi.

Ça se transforme en véritable cycle vertueux, parce qu’elles auront plus tendance à envoyer leurs propres filles à l’école.

L’éducation a un énorme impact sur la vie des femmes, et pas seulement au sein de leur famille. Elles ont plus d’autorité dans leurs communautés et jouent un rôle plus important dans l’économie, ce qui va faire avancer tout le pays.

C’est un processus qui commence avec une fille, mais les répercussions sont beaucoup plus larges.

Les pays européens perdent des milliards de PIB parce qu’ils n’exploitent pas tout le potentiel de la moitié de leur population.

Sandra Visscher, directrice d’Unicef Luxembourg

Quelle est la situation des femmes dans l’économie européenne?

«Les pays européens perdent des milliards de PIB parce qu’ils n’exploitent pas tout le potentiel de la moitié de leur population.

Sur 144 pays, le Luxembourg est le 59e en ce qui concerne l’égalité homme/femme, selon le Forum économique mondial, alors que les pays scandinaves sont régulièrement aux premières places. Cela est peut-être dû au fait que nous avons une génération de retard sur l’émancipation des femmes.

Les femmes de plus de 35 ans ont surtout grandi dans un environnement où leurs mères étaient, pour la plupart, femmes au foyer, et pas souvent par choix.

Ma génération est la première qui s’affranchit de ce système, mais je note quand même un élément de culpabilité chez les femmes dans le monde du travail aujourd’hui, parce qu’elles ne passent pas autant de temps avec leurs enfants que leurs propres mères en ont passé avec elles.

Est-ce que vous voyez une prise de conscience de ce côté-là?

«Je reviens au fait qu’un contexte favorable est crucial. Il faut des employeurs plus flexibles au niveau des heures de travail. Actuellement, le Luxembourg est très rigide: on travaille à 50% ou à 100%.

Nous avons deux femmes dans notre équipe qui travaillent à 80%, et bientôt aussi un homme. C’est un pourcentage que nous avons négocié ensemble.

Il faut aussi encourager les hommes à prendre des congés parentaux et à travailler à temps partiel. Les compromis sont très importants, et c’est une notion qu’on voit beaucoup dans les pays nordiques.

15% des femmes et des filles au Grand-Duché ont été abusées sexuellement.

Sandra Visscher, directrice d’Unicef Luxembourg

On parle beaucoup des problèmes par rapport aux femmes dans les pays en voie de développement, en pensant que tout va bien en Europe. Qu’avez-vous à dire sur cette tendance?

«Au niveau des violences et abus sexuels contre les femmes, le Luxembourg ne s’en sort pas bien du tout.

15% des femmes et des filles au Grand-Duché ont été abusées sexuellement.

Les peines que reçoivent les coupables d’agressions envers les femmes sont également un indicateur de l’égalité entre les sexes dans un pays. Le sujet des violences sexuelles est encore beaucoup trop tabou. Ce n’est pas parce qu’on n’en parle pas que ça n’existe pas.

Que dites-vous aux femmes et aux filles de notre époque?

«Elles doivent apprendre à demander le respect et à ne pas accepter qu’on les traite moins que ce qu’elles sont, à ne pas se laisser faire.

Leurs décisions doivent aussi être basées sur ce qu’elles veulent, et non pas sur ce que leur disent leurs familles ou partenaires.

Il ne faut pas trop écouter les autres!

En quoi votre propre situation familiale vous a-t-elle influencée?

«Je voyais ma mère qui travaillait et dirigeait une équipe d’une dizaine de personnes. Le leadership n’était pas quelque chose qui me faisait peur. Avoir un modèle dans son entourage, ça aide beaucoup.

Est-ce que vous avez été impactée par le scandale d’Oxfam (un rapport interne de l’ONG, remis au gouvernement haïtien, a dévoilé les nombreux abus de la mission humanitaire déployée en Haïti après le séisme meurtrier de 2010, ndlr)?

«L’Unicef a complètement réorganisé son système et ses procédures internes dans le cas où il devait y avoir des abus. Notre nouvelle directrice générale, Henrietta Fore, a pris ça en charge dès le début.

Malheureusement, il faut qu’il y ait des scandales à cette échelle pour qu’il y ait une remise en question des propres moyens de traiter des cas d’abus en interne.

On a mis en place un système d’accélération des procédures: dans un délai de 24 heures, la directrice générale doit recevoir toutes les informations s’il y a un cas. Comme ça, des sanctions peuvent entrer en vigueur immédiatement.

Il faut être conscients du fait qu’il y a toujours, malheureusement, la possibilité d’abus, surtout dans des grandes entreprises et organisations, même humanitaires. L’important, c’est de réagir.»

Les trois dates-clés du CV de Sandra Visscher:

1992 – Déménagement à Londres pour études universitaires

1999 – Gérance d’un projet contre le sida au Mozambique

2003 – Nomination au poste de directrice d’Unicef Luxembourg

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