Professeure Hélène Ruiz Fabri: «Le fait qu’on soit différents ne légitime pas la différence de traitement.» (Photo: Institut Max Planck)

Professeure Hélène Ruiz Fabri: «Le fait qu’on soit différents ne légitime pas la différence de traitement.» (Photo: Institut Max Planck)

Après 30 ans de carrière académique en France, la professeure Hélène Ruiz Fabri se bat toujours pour la féminisation de ses titres et plaide pour que les femmes ne culpabilisent pas à vivre pour elles.

Professeure Ruiz Fabri, dans quel contexte avez-vous opté pour une carrière académique dans le domaine du droit?

«Je viens d’un milieu faiblement éduqué. Mon père était cheminot, et avec mon frère, nous sommes la première génération à avoir obtenu le bac. C’est quelque chose. J’ai étudié le droit et les sciences politiques en double cursus, puis j’ai fait mon doctorat et l’agrégation comme c’est la tradition en France. Tout ça à l’âge de 29 ans, alors que la moyenne d’âge pour l’agrégation était plutôt de 39 ans à l’époque. Professeure à 29 ans, c’est très jeune.

Mes origines sociales font que j’ai toujours l’impression de devoir faire mes preuves, mais je ne demande rien aux autres que je ne demande à moi-même. J’ai appris à ne mépriser aucune tâche. De fait que je n’ai pas pu bénéficier de réseaux, je ne suis pas à l’aise avec les mondanités, mais je me suis débrouillée autrement.

Comment expliquez-vous qu’il y a peu de femmes à des postes comme le vôtre?

«Il faut déjà dire qu’il y a moins de candidatures. À l’agrégation, nous étions deux femmes pour 16 reçus, c’est peu. Une carrière académique, cela représente neuf ans d’études, c’est-à-dire qu’on accède au doctorat à environ 30 ou 32 ans, ce qui correspond bien souvent à l’âge où l’on veut se poser et avoir des enfants.

J’ai eu ma première fille à 30 ans. À l’époque, c’était considéré comme tard! Puis ma deuxième fille à 34 ans. J’ai eu la chance d’obtenir un poste assez tôt. Il est toujours possible d’avoir un enfant au cours de sa thèse, mais il faut s’organiser très rigoureusement pour ne pas prendre l’eau. Je me suis rendu compte que lorsque mes filles étaient petites, j’avais sans arrêt l’œil sur la montre, c’était la course permanente. Mon poste me permettait d’être flexible au niveau des heures, mais ce n’est pas toujours facile.

J’ai eu droit à des remarques du type: ‘Ça ne te dérange pas de te savoir là, parce que tu es une femme?’

Hélène Ruiz Fabri, directrice de l’Institut Max Planck

Est-ce que vous avez senti des obstacles dans votre carrière en tant que femme?

«J’ai saisi les opportunités qui se sont présentées, mais il y a aussi le problème des doubles carrières avec les conjoints, il faut faire des choix. J’ai dû refuser des postes à l’étranger, car mon mari travaillait pour une entreprise nationale, et puis on a voulu attendre que nos filles passent le bac.

J’ai remarqué qu’en réunion, les femmes ont plus tendance à se taire. Elles osent moins s’exprimer. Il est prouvé que les hommes et les femmes ont tendance à occuper l’espace de façon différente, et ça a un impact.

Paradoxalement, il y a une véritable volonté de vouloir plus de femmes à de hauts postes, c’est très bien. Mais j’ai eu droit à des remarques du type: ‘Ça ne te dérange pas de te savoir là parce que tu es une femme?’ Ça revient de façon récurrente, comme si je n’étais pas légitime, alors que c’est plus difficile pour les femmes d’en arriver là.

Vous semblez donc favorable à la politique des quotas?

«Oui, bien sûr, même si cela présente des inconvénients. Mais si on laisse évoluer ‘naturellement’ les choses.... Qu’est-ce que la nature a à voir là-dedans? Bien sûr que ceux qui ont le pouvoir ne sont pas près de le céder, ils vont avoir du mal à céder leur place.

En droit, dans certaines filières, si l’on s’en tenait juste aux compétences, il n’y aurait que des femmes. Mais cela ne se fait pas, on trouverait ça bizarre. Alors qu’un comité composé uniquement d’hommes ne choque pas grand monde.

Je suis professeure, je suis directrice. Je suis toujours perplexe face aux jeunes générations qui ne sont pas dérangées par ‘madame, le directeur’.

Hélène Ruiz Fabri, directrice de l’Institut Max Planck

Est-ce que des mesures ont été mises en place à l’Institut Max Planck pour inciter à plus de parité?

«Nous avons un programme intitulé ‘Equal opportunities’, mais qui a quand même encore quelques relents paternalistes à mon goût.

Je me suis, par exemple, battue pour la féminisation de mes titres: je suis professeure, je suis directrice. Je suis toujours perplexe face aux jeunes générations qui ne sont pas dérangées par ‘madame, le directeur’, soi-disant que ‘directrice’ ne sonne pas bien. On l’utilise bien pour directrice d’école, non? La langue véhicule beaucoup de choses, et surtout au niveau idéologique. Dommage que les jeunes générations ne s’en rendent pas compte.

Les jurys d’agrégation sont paritaires, il est important d’y faire attention. Mais je me rappelle que lors de ma propre agrégation, on m’a fait des remarques sur ma tenue ou ma coiffure. C’est choquant.

Quels conseils donnez-vous aux femmes qui voudraient se lancer et poursuivre une carrière comme la vôtre?

Il faut éduquer pour que les femmes évoluent elles-mêmes. Quand on voit les statistiques sur les tâches ménagères, ça ne change pas, la répartition reste largement inégale, sans compter la charge mentale qui reste l’apanage des femmes.

Le fait qu’on soit différents ne légitime pas la différence de traitement.

Il est important d’aller vers la parité, car cela oblige à diversifier les solutions face à certaines problématiques. Il faut amener une diversité de points de vue par des gens compétents, mais différents.»

Les trois dates-clés du CV d’Hélène Ruiz Fabri:

1990 - Agrégée de droit

2009 - Présidente du comité consultatif paritaire de l’assemblée de l’Organisation de développement et de coopération économiques (OCDE)

2010 - Doyenne de l’école de droit de la Sorbonne

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