Vania Henry: «On a autant de responsabilités à montrer à nos filles qu’elles peuvent faire tout ce qu’elles veulent, que nous en avons à montrer à nos fils l’équilibre entre les hommes et les femmes». (Photo: Patricia Pitsch)

Vania Henry: «On a autant de responsabilités à montrer à nos filles qu’elles peuvent faire tout ce qu’elles veulent, que nous en avons à montrer à nos fils l’équilibre entre les hommes et les femmes». (Photo: Patricia Pitsch)

Vania Henry nous retrace son parcours international et nous explique l’importance de l’équilibre, que ce soit entre vies privée et professionnelle qu’entre les employés d’une société.

Madame Henry, votre expérience montre que vous êtes très touche-à-tout. Avez-vous toujours eu ce trait de caractère?

«Depuis toute petite, je me suis habituée au changement. Je suis née aux États-Unis, mais j’ai grandi essentiellement en Europe, notamment ici, au Luxembourg. J’ai décidé de passer mon bac en France avant de faire l’ICHEC, l’Institut catholique des hautes études commerciales à Bruxelles.

Et puis, je me suis lancée dans l’industrie du textile, côté marketing.

Et de là, vous êtes rentrée chez DuPont de Nemours?

«Oui. Après avoir étudié à l’Institut français de la mode et puis exécuté mon premier contrat chez Rodier, j’ai été approchée par DuPont pour développer le marché de leur fibre lycra.

Je sillonnais les industries aux quatre coins de la France. Ce n’était pas toujours évident. Dans les Vosges, je me suis retrouvée devant une table avec 10 messieurs qui regardaient de haut la petite jeune que j’étais. Mais j’ai eu beaucoup de chance, parce que j’ai tenté un coup de bluff en indiquant comment réparer une machine, technique que j’avais vu dans une autre usine, et ça a fonctionné! J’ai eu, à partir de là, une crédibilité et un respect auprès d’eux qui m’ont beaucoup servi.

Puis j’ai proposé une nouvelle approche au marché qui ciblait la distribution aux grandes entreprises, on a de fait créé un poste pour moi, celui de responsable de la distribution grands comptes européens.

Le fait de choisir vous donne une toute autre approche.

Vania Henry, head of marketing and communication chez Seqvoia

Comment est-ce que votre parcours vous a ramené au Luxembourg?

«À l’époque, je travaillais pour De Beers, le groupe diamantaire. J’ai rencontré mon mari lors d’un voyage d’affaires. Il est Luxembourgeois, basé ici, et j’ai décidé de le rejoindre. J’ai choisi et non subi. C’est très important. Le fait de choisir vous donne une toute autre approche.

Vous avez continué à travailler dans le secteur textile?

«Non. D’abord, j'ai travaillé pour la Philharmonie, elle était encore en construction à l’époque: il y avait tout à faire! Et puis, je suis passée au groupe Saint-Paul jusqu’à mon congé parental, après la naissance de mes jumeaux. Je suis ensuite allée chez PwC en tant que responsable du département Marketing et communication. J’étais à la tête d’une équipe de 20 personnes.

Comment avez-vous réussi à gérer votre vie de famille tout en travaillant chez PwC?

«Dès le début, j’ai dit à mon équipe que je serais là de 8h du matin à 18h, la crèche fermant à 18h30. J’estime que le travail doit être fait dans ce temps-là. S’il n’est pas fait, je suis soit mal organisée, soit j’ai une charge inadéquate.

Après, je peux ramener des choses à la maison, si je veux les faire au calme, mais les deux heures entre 18h et 20h30 sont pour mes enfants. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu d’urgences, où j’ai dû aller chercher mes enfants à la crèche et revenir au bureau après, mais c’était l’exception, pas la règle.

Le networking, c’est très important, c’est du temps bien investi.

Vania Henry, head of marketing and communication chez Seqvoia

Pour les hommes, le networking se fait beaucoup après le travail, autour d’un verre. Comment avez-vous entretenu votre réseau?

«Le networking, c’est très important, c’est du temps bien investi. Beaucoup de femmes le voient comme quelque chose d’à part, mais c’est une partie importante de la vie professionnelle, tout comme un enrichissement. Moi, je le fais au moment du déjeuner.

Quelle fut alors la prochaine étape?

«On avait proposé à mon mari un poste aux Émirats arabes unis. Ayant été une enfant expatriée, j’ai tout de suite vu l’opportunité que ça représentait pour ma famille. C’est une ouverture d’esprit, un atout supplémentaire dans la vie, d’avoir su aller ailleurs, découvrir autre chose.

C’est à Abou Dabi que vous avez décidé de devenir indépendante?

«J’ai d’abord travaillé chez PwC au Moyen-Orient pour tout ce qui était culture, communication interne et médias sociaux.

Et puis, j’ai voulu devenir indépendante. Parce que j’ai remarqué que les femmes ne faisaient pas leur ‘personal branding’ de manière consciente et organisée. J’ai vu qu’il y avait quelque chose à faire dans ce domaine. Je leur dis souvent qu’elles doivent avoir conscience de leur propre marque, en avoir le contrôle.

Mais c’est aussi parce que beaucoup de gens venaient aux Émirats arabes unis en pensant que l’argent poussait sur les palmiers. Ils avaient très peu de connaissances de la culture locale. Moi, j’avais été tout le temps en observation, à écouter et analyser. Je pouvais les coacher.

Il faut développer des stratégies pour se faire remarquer et accepter.

Vania Henry, head of marketing and communication chez Seqvoia

Avez-vous remarqué si aux Émirats arabes unis, les femmes ont besoin de plus d’ambition que les hommes pour arriver à les égaler professionnellement?

«Je crois qu’aux Émirats, les femmes ont la chance que le leadership au niveau du pays veut qu’il y ait des femmes dans des positions-clés. Après, je pense que, quand on veut s’imposer, il faut faire quelque chose pour être reconnu. Ce n’est pas forcément avoir plus d’ambition, mais il faut développer des stratégies pour se faire remarquer et accepter.

Souvent, les femmes font l’erreur de vouloir être aimées dans un cadre professionnel, moi, ce qui me tient à cœur, c’est d’être respectée.

De retour à Luxembourg, vous vouliez redevenir employée?

«Pas vraiment. Je voulais avoir un petit peu de temps pour réfléchir. Remonter quelque chose tout de suite, à partir de zéro, c’est frustrant. Je voulais explorer.

J’ai appelé un ancien camarade de lycée, Nicolas Buck, qui m’a donné rendez-vous. Je suis arrivée la bouche en cœur, pensant qu’on allait prendre un café et discuter. Il m’a demandé ce que j’avais fait pendant mon absence et il m’a dit ‘écoute, tu fais ce que tu veux, mais moi, ça m’intéresse. Tu peux venir chez nous’.

Je ne peux pas assez souligner l’importance du réseau. Et ce n’est pas uniquement pour prendre, mais aussi pour donner. C’est comme ça que j’ai été embauchée chez Seqvoia et Legitech, il y a deux ans.

Comment tirer parti aujourd’hui d’être une femme en entreprise?

«Il y a une recherche de diversité et d’égalité. C’est pourquoi j’ai rejoint le conseil d’administration du ‘think tank’ Equilibre, qui promeut l’égalité hommes-femmes dans le contexte économique au Luxembourg. Je dis souvent que ce ne sont pas les femmes contre les hommes, ce sont les femmes avec les hommes. Il faut un dialogue et une diversité des points de vue.

Et qu’en est-il de l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle?

«Déjà, il faut savoir bien planifier ses journées. Ensuite, je pense que travailler fait de moi une meilleure mère, et être mère fait de moi un meilleur leader. Ce que je veux dire, c’est que j’ai appris énormément en gérant mes enfants, et le fait d’être épanouie dans mon travail me rend une meilleure maman quand je rentre à la maison.

Il faut que nous inventions un modèle différent et accepter que nous ne devons pas être parfaites partout.

Vania Henry, head of marketing and communication chez Seqvoia

Vous avez un garçon et une fille. Comment faire en sorte de ne pas succomber aux stéréotypes de genre dans leur éducation?

«Je dis tout le temps que l’on a autant de responsabilités à montrer à nos filles qu’elles peuvent faire tout ce qu’elles veulent faire, que nous en avons à montrer à nos fils l’équilibre nécessaire entre les hommes et les femmes. Les parents doivent aussi refléter cette idée.

Il y a une sorte de «backlash» de toute une génération de femmes qui ont tout fait, exercé une profession tout en élevant leurs enfants sans l’aide de leur mari, et se sont retrouvées un peu dégoutées du rôle de la femme indépendante...

«Je crois que beaucoup de femmes se sont mises cette exigence, alors que la société n’attend pas forcément de nous qu’il faille être une femme au foyer parfaite tout en étant une femme performante au travail. Il faut que nous inventions un modèle différent et accepter que nous ne devons pas être parfaites partout.

Ce n’est pas la fin du monde si le gâteau que mes enfants doivent ramener à l’école n’est pas fait maison… même si je ne suis pas encore tout à fait arrivée à l’accepter!

Que pensez-vous du titre de «femme entrepreneure», du fait qu’il faut préciser quand le rôle est occupé par une femme?

«Je pense que pour le moment, on est encore trop peu nombreuses, et donc on le met en avant.

C’est très important pour des jeunes femmes de voir que c’est possible. Ça fait partie d’un des programmes d’Equilibre, My Pledge, qui veille à ce que lors d’événements publics, il y ait une représentation des femmes. Nous avons créé un réseau d’expertes, groupe qui compte déjà près de 300 femmes – avec un objectif de 500 d’ici la fin de l’année – auquel des organisateurs peuvent faire appel s’ils ont du mal à trouver des femmes pour leur panel.

Plus les femmes se verront représentées, plus elles accepteront de prendre la parole publiquement. On a toutes une responsabilité les unes envers les autres, et on est toutes les ‘role model’ de quelqu’un».

Les trois dates-clés du CV de Vania Henry:

1994 – Début de carrière dans l’industrie textile, un univers très masculin.

2015 – Élue chairwoman du BeNeLux Business Council à Abu Dhabi – première femme à exercer ce poste.

2018 – Rejoint le board d’Equilibre, «think tank» qui promeut la diversité dans la vie économique au Luxembourg. Ambassadrice de l’initiative MyPledge.

Retrouvez l’intégralité de la série #FemaleLeadership en cliquant ici.