Julie Honoré (Executive director chez EY) et Jérôme Simon (Country manager Luxembourg chez Matexi). (Photo: Jan Hanrion (Maison Moderne) et Matic Zorman)

Julie Honoré (Executive director chez EY) et Jérôme Simon (Country manager Luxembourg chez Matexi). (Photo: Jan Hanrion (Maison Moderne) et Matic Zorman)

Les statistiques publiées dernièrement par la Banque centrale du Luxembourg ont, sans surprise, confirmé la hausse continue du montant total des crédits immobiliers dans le pays. En février, ceux-ci ont atteint les 28,29 milliards d’euros, ce qui représente une augmentation de 41% en cinq ans. Cette forte progression a un impact inquiétant sur l’endettement des ménages luxembourgeois. Dans un rapport paru en mars, la Commission européenne annonce ainsi que la dette des foyers luxembourgeois est passée de 39% du PIB en 2000 à 62% en 2016, et que la part de l’immobilier s’élève à 80% de la dette totale. Une tendance qui résulte de l’évolution des prix de l’immobilier, qui ont par exemple augmenté de 32,9% entre 2010 et 2016 pour les appartements existants. Faut-il y voir les indices d’une bulle immobilière?

Des banques prudentes

En 2016, ces différents indicateurs avaient conduit le Comité européen du risque systémique (CERS) à pointer l’immobilier résidentiel luxembourgeois comme «vulnérable». C’est la raison pour laquelle un projet de loi a été déposé à la fin de l’année dernière. Celui-ci prévoit de doter la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) de nouveaux outils de contrôle raffermissant les conditions d’octroi des crédits immobiliers. «Je ne pense pas qu’il soit forcément nécessaire de durcir les conditions d’octroi des prêts immobiliers plus que cela n’a été fait ces dernières années, tempère Julie Honoré, executive director
chez EY. Les banques luxembourgeoises sont déjà plus prudentes que beaucoup de leurs homologues européennes. Le risque à Luxembourg est bien géré: l’apport personnel et la capacité d’endettement sont sérieusement évalués avant d’octroyer un crédit. En outre, on ne peut pas parler de bulle immobilière, étant donné que la croissance reste très importante, et les taux, très bas.»

Une bulle immobilière ne pourrait se former que si l’augmentation rapide des prix de l’immobilier n’était qu’artificielle. «Selon moi, plus de la moitié du prix d’un bien immobilier aujourd’hui correspond toujours au coût de la brique, explique Jérôme Simon, country manager Luxembourg de Matexi. Le bâti reste plus qualitatif ici qu’en France ou en Belgique. Pour le reste, le coût du terrain est simplement régi par la loi de l’offre et de la demande. Or, pour l’instant, la demande continue de croître, et l’offre est toujours réduite. Les prix continuent donc de flamber.»

Les expatriés font monter les prix

L’immobilier est très dépendant d’enjeux divers. Au Luxembourg, l’un d’eux est lié au développement économique du pays, qui passe par le recrutement de profils spécialisés de plus en plus difficiles à attirer.  «Avant, notre clientèle était essentiellement constituée de Luxembourgeois et de frontaliers, commente Jérôme Simon. Mais aujourd’hui, on remarque l’arrivée d’expatriés qui bénéficient de moyens très importants. Beaucoup viennent aussi d’une ville et ne veulent donc pas s’installer dans la campagne. Cela a tendance à faire augmenter fortement les prix, principalement à Luxembourg et autour de la capitale.»

Ce phénomène s’étend à un périmètre de plus en plus important autour de Luxembourg-ville. «On remarque que les prix s’envolent aussi dans d’autres zones, embraie Julie Honoré. Je pense notamment à Mersch, désormais connectée à la capitale par l’autoroute. Les gens sont prêts à payer le prix fort si leur localisation leur permet d’éviter les embouteillages.» Pour la directrice associée d’EY, malgré la hausse des prix, Luxembourg et ses alentours proches gardent les faveurs de cette clientèle. «Je constate que tous les nouveaux projets trouvent preneur, même à des prix très élevés, explique-t-elle. Pour que les prix commencent à descendre, il faudrait que la mobilité s’améliore. Or, les investissements à ce niveau ne sont pas assez rapides.»

Jusqu’où ira-t-on?

Cette tendance à la hausse devrait donc se poursuivre. Mais il ne faut pas s’attendre – comme c’est le cas quand on parle de bulle immobilière – à assister à une chute brutale des prix, selon les experts. «Cette augmentation des prix devra toutefois s’arrêter à un moment pour atteindre un certain équilibre, explique Jérôme Simon. Les expatriés ne vont pas finir par gagner le triple des autres résidents et être les seuls à pouvoir se payer un logement au Luxembourg. Si on en arrive à cette situation, cela pousserait sans doute beaucoup de gens à acheter de l’autre côté de la frontière, plutôt qu’au Luxembourg. Prenons l’exemple de Steinfort, où on commence à payer 5.000 euros du mètre carré, alors qu’on trouve de très beaux biens à 2.500 ou 2.700 euros du mètre carré dans la
commune belge d’Arlon, qui est située juste à côté. Je ne sais pas quand le point de basculement sera atteint, mais, à un moment, les avantages qu’on s’octroie en payant un logement ou un bureau au Luxembourg ne seront plus suffisants par rapport au coût que cela représente…»

L’une des solutions pour diminuer les prix consisterait à augmenter l’offre disponible. Mais pour cela, il faudrait que les terrains en possession de privés soient vendus. «Il reste une importante réserve foncière au Luxembourg, indique Jérôme Simon. Mais beaucoup de familles ne veulent pas forcément vendre tout de suite. En outre, il faut bien dire que nous ne sommes pas aidés par le nombre important d’acteurs avec lesquels il faut s’entendre lorsque nous souhaitons développer un projet d’envergure. Or, c’est vraiment notre optique: développer des quartiers avec des immeubles comptant plusieurs étages, avec une densité importante, proches des transports en commun.