Claude Seywert attend l’arrivée de China Southern Power Grid au conseil d’administration d’Encevo. (Photo: Matic Zorman)

Claude Seywert attend l’arrivée de China Southern Power Grid au conseil d’administration d’Encevo. (Photo: Matic Zorman)

Vous venez de prendre les commandes du groupe Encevo. Quelles seront vos priorités?

Claude Seywert. – «Par rapport à nos secteurs d’activité traditionnels, la fourniture de gaz et d’électricité et la gestion des réseaux, nous devons continuer à viser l’excellence, assurer la digitalisation et nous orienter de plus en plus vers le client. Le monde de l’énergie a changé, le client veut de plus en plus des solutions individualisées, il faut pouvoir lui en proposer. Ensuite, nous devons nous positionner en tant que leader sur le thème de la transition énergétique. Nous voulons considérablement développer les énergies renouvelables au Luxembourg, notre marché domestique, dans les années à venir. Enfin, nous avons l’intention d’intervenir dans les services techniques sur le lieu de consommation afin de réagir par rapport à un marché énergétique qui se décentralise. D’où le rachat récent de la société Paul Wagner & Fils. 

Vous proposez une transition dans la continuité?

«Oui, tout à fait. En tant que directeur général de Creos, j’étais déjà au comité de direction du groupe. Nous avons développé la stratégie ensemble au cours des dernières années, je la poursuis. Il y aura évidemment des évolutions, mais pas de révolution.

Quelles sont les priorités stratégiques d’Encevo en matière d’énergies renouvelables pour le territoire luxembourgeois?

«Nous visons deux vecteurs de développement: le vent et le soleil. Nous implantons de grands parcs éoliens par le biais de Soler, la joint-venture que nous détenons à parts égales avec SEO. De l’autre côté, on voit une poussée massive du photovoltaïque. C’est une volonté politique de promouvoir cette énergie. Nous envisageons donc un essor important. Il doit d’ailleurs se produire si nous voulons nous approcher de la vision Rifkin développée pour le pays. C’est une nécessité, le potentiel éolien sera un jour épuisé, mais il reste énormément d’énergie à tirer du soleil. Actuellement, nous le développons principalement à travers des partenariats avec nos clients industriels en plaçant des panneaux sur leurs bâtiments.

Le Luxembourg conserve un retard par rapport aux autres pays européens?

«Cela varie selon les types d’installation. Nous n’accusons pas de retard au niveau des développements de l’éolien. Au niveau du photovoltaïque, l’implantation dans les habitations particulières progresse bien. Si nous sommes en retard, c’est au niveau des grandes fermes photovoltaïques. Nous n’avons pas encore pris de décision à ce sujet. Nous avançons d’abord au moyen d’installations sur de grandes friches industrielles.

Vous l’avez signalé, en juillet dernier, Encevo a racheté la société Paul Wagner. Quel sera son rôle au sein du groupe?

«C’est un nouveau pilier d’activité pour le groupe, mais dans une vision à moyen terme. La décentralisation de l’énergie est un défi pour le futur, le système énergétique se développera à travers des nœuds décentralisés. Nous devons nous positionner par rapport à ce nouveau développement afin de proposer une offre cohérente par rapport à l’ensemble du marché de l’énergie. Nous devrons avoir une expertise au niveau des installations locales dans les bâtiments individuels et également être plus proches du client. Car, au final, c’est lui qui donne la direction.

Dans ce domaine, où en est l’installation des compteurs intelligents?

«Le Luxembourg n’est pas le premier à s’être lancé dans les compteurs intelligents, mais nous avons été rapides dans le déploiement et nous serons parmi les premiers pays à disposer d’une couverture complète. Or, ce sera un outil important, dans la mesure où l’on va vers un monde décentralisé et la création de communautés énergétiques. Il sera alors capital de maîtriser l’ensemble des flux énergétiques. Ces compteurs nous permettent une gestion précise, alors qu’auparavant, un gestionnaire de réseau recevait d’une maison individuelle un relevé de la consommation une fois par an.

Il est important pour notre société d’avoir à ses côtés un industriel qui maîtrise bien le secteur.

Claude Seywert, CEO Encevo

Que retire Encevo comme avantages en accueillant le groupe chinois China Southern Power Grid dans son actionnariat?

«Nous l’attendons autour de la table entre fin octobre et la fin de l’année. Au niveau du management, nous avons rencontré ses responsables afin de présenter mutuellement sa société et sa stratégie. Mais à ce stade, nous n’avons pas encore eu de véritables échanges. Nous attendons donc de voir de quelle manière ils veulent jouer leur rôle d’actionnaire. En tout cas, ça peut être un changement favorable. Nous glissons d’un actionnaire financier orienté vers le court et moyen terme – la société française d’investissement Ardian, ndlr – vers un opérateur industriel visant le moyen-long terme. Il est important pour notre société d’avoir à ses côtés un industriel qui maîtrise bien le secteur, les autres actionnaires n’étant pas actifs dans l’énergie. Le secteur énergétique en Chine ne fonctionne peut-être pas comme chez nous, mais China Southern Power Grid est avant tout gestionnaire d’un des plus grands réseaux d’électricité au monde. Or, à ce niveau, la technologie est la même partout, et ils peuvent donc certainement nous donner beaucoup de conseils, notamment dans des domaines comme l’électromobilité, où la Chine est bien avancée.

Après les changements au niveau de l’actionnariat ces dernières années, vous êtes largement contrôlés par le public. Est-ce que cela change quelque chose au niveau de la stratégie?

«Il n’y a pas vraiment d’impact. Au Luxembourg, de manière générale, un actionnaire politique ne se montre pas trop dirigiste envers les entreprises. Nous gardons donc notre liberté tout en bénéficiant d’une certaine stabilité. C’est important pour la société et les employés. Par contre, nous n’avions plus, depuis quelque temps, un actionnaire spécialisé dans l’énergie autour de la table. Or, c’est important au niveau du conseil d’administration d’être challengé sur notre stratégie. Il faut éviter l’immobilisme.

En Allemagne, nous sommes quand même un des plus grands gestionnaires indépendants de photovoltaïque.

Claude Seywert, CEO Encevo

Quel bilan tirez-vous de votre présence à l’étranger? Comptez-vous l’accroître?

«Nous sommes surtout présents en Allemagne, principalement en Sarre et en Rhénanie-Palatinat, à travers des réseaux, de la vente d’énergie, de participations dans des ‘Stadtwerke’ et aussi via la production renouvelable. Sur l’ensemble de l’Allemagne, notre part de marché dans la vente d’énergie est relativement modeste, mais nous sommes quand même un des plus grands gestionnaires indépendants de photovoltaïque. Entre 250 et 300 personnes du groupe travaillent en Allemagne. Nous sommes aussi actifs en Belgique et en France, au travers de certaines installations renouvelables et via la vente d’énergie. Mais notre présence est nettement moindre. Il faudra voir dans quel sens ces marchés se développeront.

Vous pourriez avoir de nouvelles ambitions par rapport à ces marchés?

«Ce n’est pas impossible. En Belgique, par exemple, nous avions tenté d’être plus présents dans le BtoC. Mais le marché est trop concurrentiel. Nous n’aurions pas pu atteindre la taille critique. Nous attendons donc de voir les évolutions du marché. En France, le secteur est moins concurrentiel, mais aussi beaucoup moins ouvert. Nous sommes donc, là aussi, dans une position attentiste, tout en vendant un peu d’énergie au secteur industriel. On parle d’un marché européen de l’énergie, mais les stratégies restent nationales, et les pays avancent à des vitesses différentes et selon des modèles différents. C’est un de nos défis: nous voulons être présents au Luxembourg et dans la Grande Région, ce qui veut dire quatre modèles régulatoires.»