Pour Daniele Antonucci, chief economist au sein de Quintet Private Bank, «la question-clé est de savoir si les robots sont utiles ou nuisibles aux travailleurs». (Photo: Quintet Private Bank)

Pour Daniele Antonucci, chief economist au sein de Quintet Private Bank, «la question-clé est de savoir si les robots sont utiles ou nuisibles aux travailleurs». (Photo: Quintet Private Bank)

Au début de la pandémie, certains prédisaient que l’essor rapide de la robotisation entraînerait un chômage chronique. Pourquoi cette crainte ne s’est-elle pas vérifiée?

Les robots, en général, suscitent rarement la sympathie. À quelques exceptions près (je pense notamment aux attachants R2-D2 ou Wall-E), les robots du monde réel nous laissent généralement indifférents, car ils sont dénués de qualités humaines. Ils sont froids, au sens propre comme au figuré.

Comme toutes les technologies de rupture plus généralement, y compris l’automatisation des processus, les robots fascinent les économistes pour une multitude de raisons, et en premier lieu pour leur impact sur l’emploi. À cet égard, la question-clé est de savoir si les robots sont utiles ou nuisibles aux travailleurs. Cette question est particulièrement pertinente dans le contexte historique actuel où chacun observe l’impact de la pandémie sur l’emploi et tente d’imaginer ce que sera la main-d’œuvre post-Covid.

Depuis des décennies, l’imagination populaire s’est emparée d’un discours alarmiste selon lequel les robots détruisent l’emploi. Ces préoccupations sont peut-être parfois exagérées, mais elles ne sont pas sans fondement. 

Les robots contre l’emploi

Une étude menée récemment par McKinsey suggère qu’au cours des 10 prochaines années, quelque 800 millions de travailleurs dans le monde auront perdu leur emploi sous l’effet de l’automatisation. Une autre étude, menée par deux professeurs du MIT et de l’université de Boston, révèle que «pour chaque robot installé pour 1.000 travailleurs aux États-Unis, les salaires baissent de 0,42% et le ratio emploi/population diminue de 0,2 point de pourcentage, ce qui représente à ce jour la perte d’environ 400.000 emplois».

Lorsque des robots sont introduits sur votre lieu de travail et que vous voyez un de vos collègues perdre son emploi, le choc est indéniable. Mais la réalité est plus complexe.  

Il y a deux ans, juste avant le début de la pandémie, le monde vivait une révolution sans précédent dans le domaine de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique. Parallèlement, les taux de chômage des économies avancées atteignaient des sommets historiques. Au Japon et en Corée du Sud, où le niveau de robotisation était l’un des plus élevés au monde, les taux de chômage étaient les plus bas. L’Allemagne, elle aussi, présentait un niveau élevé d’automatisation des usines et un faible taux de chômage.

Puis, le Covid a frappé et le chômage s’est envolé. Jamais depuis la Grande Dépression le chômage américain n’avait franchi la barre des 14%, comme ce fut le cas en avril 2020. Certains pensaient qu’en accélérant considérablement la tendance à l’automatisation, notamment parce que les robots ne tombent pas malades et ne propagent pas de maladies, et en entraînant un chômage chronique, la pandémie viendrait enfin donner raison aux oiseaux de mauvais augure. Pour les Cassandre, de nombreux emplois perdus durant la pandémie le seraient à jamais.

Une question de productivité

Toutefois, ces prévisions de longue période de chômage massif ne se sont tout simplement pas concrétisées. Aujourd’hui, le taux de chômage au sein de l’OCDE, club qui regroupe essentiellement des pays riches, a plus ou moins retrouvé son niveau antérieur au début de la pandémie. Parallèlement, le rebond du marché de l’emploi et la pression salariale qui l’accompagne (essentiellement aux États-Unis et au Royaume-Uni jusqu’à présent, pas encore en Europe continentale) semblent avoir stimulé encore davantage le processus d’automatisation, et notamment la robotisation, qui se répand désormais plus que jamais.

Or, les signes de chômage imputable à l’automatisation sont rares, alors même que les investissements dans ce domaine explosent à l’échelle mondiale. Les pays riches sont confrontés à une pénurie de travailleurs, ce qui peut difficilement être concilié avec l’idée que l’être humain est devenu inutile. La croissance des salaires des travailleurs peu qualifiés, dont les professions sont généralement considérées comme les plus menacées par la robotisation, a été exceptionnellement rapide. 

Que se passe-t-il en réalité? 

Le fait est que les nouvelles technologies vont inévitablement détruire certains emplois existants. Mais elles contribueront également à en créer de nouveaux, notamment en stimulant la productivité, en réduisant les coûts, en soutenant la hausse de la demande et en favorisant la création d’emplois. L’histoire est on ne peut plus limpide à cet égard: lorsque la productivité globale augmente, l’emploi global augmente lui aussi. 

Le maître-mot ici est «global». Et c’est là que réside le défi. 

En cet instant historique, alors que le monde émerge de sa torpeur liée au confinement, le cycle éternel de l’innovation, de la destruction et de la création d’emplois se poursuit. De même, la marche inexorable des robots se poursuivra, remplaçant certains emplois tout en contribuant à l’émergence de rôles entièrement nouveaux.