Manuel Maleki est économiste chez Edmond de   Rothschild . (Photo:  Edmond de Rothschild )

Manuel Maleki est économiste chez Edmond de   Rothschild . (Photo: Edmond de Rothschild )

La tentative d’invasion de l’Ukraine par la Russie le confirme: la géopolitique est encore et toujours facteur de volatilité sur le marché de l’or noir.

Jeudi 24 février, le cours du baril de Brent a connu une hausse de plus de 8%, dépassant les 100 dollars, en lien avec l’attaque de l’Ukraine par la Russie. La volatilité des prix, définie ici comme une variation très importante du prix sur une courte période, a toujours fait partie du marché du pétrole, et la géopolitique en est la principale raison.

En effet, le premier choc pétrolier de 1973, qui avait vu le prix du baril augmenter de plus de 230%, faisait suite à la guerre du Kippour et la décision des pays de l’Opep de réduire l’offre de 5% et d’augmenter les prix de l’or noir. De même, la révolution iranienne et, dans son sillage, la guerre Iran-Irak avaient multiplié le prix du brut par trois. Toutefois, au-delà des impacts immédiats, ces événements ont provoqué une hausse durable du prix du baril.

Il faut cependant noter que cette augmentation durable du prix du baril n’est pas automatique. En effet, la première guerre du Golfe en 1990-91, qui a vu s’opposer l’Irak à une coalition de pays menée par les États-Unis, s’est traduite par une forte hausse du prix. Passant de 17 dollars le baril à près de 40 dollars le baril au cours du second semestre 1990 avant de retomber, quelques mois plus tard, à son niveau d’avant le conflit.

Dès lors, chaque événement géopolitique, et en particulier les guerres impliquant des pays producteurs, se traduit par une hausse immédiate du prix, mais pas nécessairement par une hausse durable. Les prix ne sont pas sensibles seulement à ce qui touche les pays en guerre: il est aussi nécessaire d’analyser la demande et le comportement des autres pays producteurs. Nous pouvons dès lors déterminer deux types de scénarios issus de l’observation des crises précédentes.

1 er  scénario: un prix durablement plus élevé

Ce scénario est celui de la période qui va de la révolution iranienne à la fin de la guerre Iran-Irak 1978-1988.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, chaque choc géopolitique se traduit par une hausse immédiate des prix. Par contre, sur le moyen-long terme, on observe des comportements différents. Par exemple, durant la période 1978-1988 qui englobe la révolution iranienne, pays qui produisait alors plus de six millions de barils par jour (Mbj), et la guerre Iran-Irak (1980-1988), le prix du baril a fortement grimpé, avec un prix qui est passé de 14 dollars le baril en 1978 à 42 dollars fin 1980. Et qui n’a baissé que lentement les années suivantes, puisqu’en 1986, le prix était encore de 30 dollars le baril.

Cette période s’est accompagnée d’une production et d’une consommation en baisse d’environ 15% sur la période 1979-1983, ainsi que d’une croissance économique mondiale très faible (un peu moins de 1,6% en moyenne sur la période 1980-1983). Il est intéressant de noter que, malgré une croissance économique mondiale faible, le prix du pétrole est resté élevé alors que sa demande a diminué sur cette période passant de 65Mbj à 55Mbj (pour mémoire, nous sommes actuellement à une demande d’environ 100Mbj). Cette baisse de la demande s’est accompagnée d’une baisse de l’offre, qui s’explique en partie par la réduction de la production de l’Iran et de l’Irak, dont les infrastructures pétrolières ont largement souffert de la guerre. L’autre élément expliquant cette réduction de l’offre est le comportement de l’Arabie saoudite qui, dans l’objectif de soutenir les prix, a baissé au cours de la première partie des années 80 sa production, passant de 10.5Mbj en 1981 à 2.5Mbj en 1985. De plus, au même moment, on observait l’augmentation du pétrole en provenance de la mer du Nord. Les pertes de part de marché ont aussi participé à la décision saoudienne de remonter leur production en 1985-86 provoquant une baisse drastique des cours.

2 ème  scénario: une très forte hausse puis un retour au prix d’avant crise

Ce scénario s’est joué lors de la première guerre du Golfe 1990-1991.

La première guerre du Golfe, qui a eu lieu entre août 1990 et février 1991, s’est traduite par une hausse du prix du pétrole qui était passé de 17 dollars par baril à 38 dollars au mois d’octobre avant de revenir à 17 dollars en mai 1991. La croissance économique mondiale n’a subi qu’un choc limité avec 3,4% en 1991. Pendant cette période, l’Arabie saoudite n’a pas du tout adopté la même attitude que celle qu’elle avait eue pendant la première moitié des années 80. Elle a même fortement accru sa production en 1990-91 la faisant passer de 6Mbj à plus de 8Mbj de façon à limiter l’impact de la première guerre du Golfe. Cette importante offre explique pourquoi les prix se sont rapidement modérés et sont revenus à leur niveau d’avant-guerre.

Il apparaît donc que les incertitudes engendrées par la première guerre du Golfe ont été de courtes durées comparées à celles du début des années 80. Dans le cas présent, les pays producteurs comme l’Arabie saoudite ont beaucoup plus coopéré à stabiliser les cours du brut que lors de la guerre Iran-Irak.

La situation actuelle laisse penser que l’on se rapproche du deuxième scénario

Actuellement, le contexte est différent puisque d’une part, contrairement à la guerre Iran-Irak, ou la première guerre du Golfe, les infrastructures pétrolières ne sont pas détruites. D’autre part, le choix de limiter ou non l’accès du pétrole russe aux marchés internationaux est un choix politique, mais pas seulement. En effet, la menace de possibles sanctions ou l’incertitude entourant la mise en place de nouvelles sanctions pourraient générer un «effet halo», ou «effet de contagion», qui peut se comprendre ici comme l’idée que tout ce qui touche à un pays sous sanctions est par nature dangereux et doit être évité (l’effet «halo» ou de «contagion» existe aussi dans sa variante positive). Même si certaines activités ne sont pas soumises à des sanctions, il a été observé que, de facto, quasiment toutes les relations commerciales avec un État soumis à des sanctions spécifiques se trouvaient affectées. Ce comportement a été fréquemment observé dans le cas de l’Iran ou de Cuba, par exemple.

Une absence du pétrole russe sur le marché international (hors Chine, car il est peu probable que Pékin se prive des 3Mbj fournis par la Russie et hors consommation domestique) pourrait sans doute être compensée si les États-Unis et l’Iran aboutissent à un accord sur le nucléaire iranien. L’Iran reviendrait sur le marché international avec une production qui pourrait augmenter de 1Mbj à court terme et de 2Mbj à terme, sans compter les 100Mb stockés et prêts à être vendus (soit un quart des réserves commerciales américaines actuelles). De plus, les producteurs américains seraient incités à accroître leur production qui pourrait retrouver plus ou moins son niveau d’avant crise en fin d’année à 13Mbj contre 11Mbj actuellement. Enfin, il ne faut pas oublier le rôle incontournable de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Koweït qui pourraient aussi accroître leur production totale, qui est actuellement de 16Mbj, d’au moins 1Mbj très rapidement, et plus si nécessaire.

Dans ce cadre-là, nous assisterions à moins de tensions sur les cours de l’or noir et ce, malgré une demande de pétrole, qui pour le moment semble rester dynamique. Dès lors, malgré une demande soutenue, une offre accrue grâce au retour de l’Iran et une accélération de la production américaine et des pays de la péninsule arabique devrait pouvoir modérer la hausse des cours à moyen terme et donc nous placer dans un scénario avec un pic du prix suivi d’une décrue de ce dernier.