Alexandre Gauthy,  macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg (Photo: Degroof Petercam/Blitz Agency)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg (Photo: Degroof Petercam/Blitz Agency)

Lors de la conférence de presse qui a suivi la dernière réunion de la BCE, Christine Lagarde a surpris les marchés en refusant d’écarter une première hausse de taux cette année. Par conséquent, les marchés obligataires ont rapidement révisé leurs anticipations de taux courts.

Ces marchés s’attendent désormais à ce que le taux de dépôt de la BCE, qui est actuellement ancré à -0,50%, devienne positif en 2023. Les rendements obligataires des pays de la zone euro ont fortement augmenté dans la foulée, reflétant ces nouvelles anticipations.

Perspectives négatives pour les pays les plus endettés

 La remontée des rendements obligataires fut plus prononcée pour les pays du sud de la zone euro. Ces derniers ont pleinement profité au cours des 2 dernières années de la politique monétaire souple de la BCE (programme d’achat d’actifs et taux d’intérêt négatifs). La perspective de fin du programme d’achat dans un premier temps, et de hausses de taux dans un second temps, est donc négative pour les pays les plus endettés de la zone euro. La hausse de l’inflation dans la région est la cause de ce début de retrait des aides monétaires. En effet, l’inflation a atteint 5% en zone euro en décembre, soit un niveau bien supérieur à l’objectif de 2% de la banque central

e. Le risque est que la BCE réagisse trop rapidement à la hausse des prix, qui est principalement liée à des facteurs exogènes: augmentation du coût de l’énergie et problèmes dans les chaines mondiales d’approvisionnement. Les salaires, qui sont la variable clé des pressions domestiques sur les prix, peinent à dépasser une croissance annuelle de 2%. Mais ces derniers pourraient commencer à accélérer, en réponse au resserrement du marché de l’emploi. De fait, le taux de chômage a baissé à 7% en décembre, soit un niveau inférieur au niveau pré-pandémique.

De plus, un nombre croissant d’entreprises de la zone euro éprouvent des difficultés à embaucher de la main-d’œuvre qualifiée. Le nombre de postes à pourvoir en pourcentage de l’emploi total a également augmenté dans la région à des niveaux records. Au vu de ces indicateurs du marché du travail, il est donc raisonnable d’anticiper une hausse des salaires, qui constitue la condition sine qua non pour un début de cycle de hausses de taux de la banque centrale.

De possibles risques politiques

 À défaut d’une politique budgétaire commune aux membres de la zone euro, la BCE est devenue la gardienne de l’édifice de la monnaie unique. Ce retrait des aides intervient à un moment où le niveau d’endettement des pays du sud de la zone euro a augmenté durant ces deux dernières années. Heureusement, la situation actuelle de ces pays est bien différente de celle qui a conduit la Grèce à restructurer sa dette. Aujourd’hui, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce ne dépendent plus des investisseurs externes à la zone euro pour financer leurs déficits budgétaires comme c’était le cas avant la crise de la dette souveraine de 2011. Les années qui suivirent, ces pays ont traversé une période douloureuse d’ajustement interne par les coûts: baisse des salaires et des pensions. Cela a amélioré leur compétitivité et les a rendus moins dépendants des créanciers externes.

Mais en 2022, ces pays font face à la combinaison d’un endettement colossal et à des perspectives de croissance à long terme proche de 0%, dû à un profil démographique morose et à des gains de productivité proches de la nullité. Jusqu’à présent, ces handicaps étaient passés aux oubliettes de par des taux d’intérêt réprimés par la politique de la BCE. En d’autres termes, tant que les taux d’intérêt restaient faibles, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter de la solvabilité de ces pays. Or, le retour de l’inflation met en lumière l’importance de l’action de la BCE. Si les taux d’emprunts continuent d’augmenter, la seule manière pour ces pays du sud de rester solvable à long terme est le retour à l’austérité budgétaire. Cette méthode risquerait de nourrir à nouveau les mouvements populistes et eurosceptiques.

En Italie, si le risque politique a diminué à court terme suite à la réélection du Président Sergio Mattarella, les intentions de vote à l’approche des élections générales qui doivent avoir lieu avant juin 2023 ne sont pas anodines. La baisse des intentions de vote en faveur de la Ligue de Matteo Salvini a été entièrement compensée par la montée du Parti eurosceptique et d’extrême – droite «Frères d’Italie». À eux deux, ces partis réclament actuellement 40% des intentions de vote. 

La BCE face à un dilemme

 La hausse de l’inflation en zone euro ainsi que le resserrement du marché du travail a poussé la BCE à réagir, en annonçant un ralentissement du rythme de ses achats d’actifs en décembre dernier. Aujourd’hui, la BCE se trouve face à un dilemme important. Si elle décide de ne pas resserrer sa politique monétaire à un moment où les conditions commencent à le requérir, elle court le risque de perdre sa crédibilité de garante de la stabilité des prix.

Au contraire, des hausses de taux ainsi qu’un arrêt trop brusque de son programme d’achat d’actifs rendraient les pays du sud plus vulnérables, le soutien monétaire de la BCE ayant permis à ces pays de se refinancer à des taux d’intérêt très faibles. À un moment où les primes de risque sur la dette des pays du sud augmentent en réponse à l’anticipation des investisseurs d’un resserrement à venir de la politique monétaire et où les taux de croissance potentielle de ces économies sont proches de 0%, la seule manière pérenne pour ces pays de rester solvables à long terme est un retour à l’orthodoxie budgétaire.

La BCE a donc entamé un exercice de sortie délicat. Elle est consciente qu’une hausse trop importante des taux d’emprunts de ces pays risque de raviver le cercle vicieux d’augmentation du ratio d’endettement public par la charge de la dette. Tout le travail de la banque centrale dans les mois à venir va consister à trouver le meilleur équilibre entre d’une part son seul et unique objectif officiel de stabilité des prix, et d’autre part, son objectif tacite de maintenir une adhésion au sein de l’union monétaire.