Si, pour François Benoy, du fait de la pression démographique, «il est prioritaire de miser sur le vélo dès maintenant», Patrick Goldschmit se veut pragmatique et s’inscrit dans un temps plus long, étape par étape. (Illustration: Maison Moderne)

Si, pour François Benoy, du fait de la pression démographique, «il est prioritaire de miser sur le vélo dès maintenant», Patrick Goldschmit se veut pragmatique et s’inscrit dans un temps plus long, étape par étape. (Illustration: Maison Moderne)

Le vélo se fait sa place dans la ville de Luxembourg. Mais il est encore très loin de régner en maître. Un manque de volonté politique de la part de la municipalité, selon François Benoy, qui en fait une priorité. Pour Patrick Goldschmidt, les améliorations sont substantielles, mais doivent se faire étape par étape.

Luxembourg est dans le top 100 des villes les plus congestionnées dans le monde au niveau du trafic automobile, selon le  2021. Embouteillage, pollution atmosphérique et sonore, gaz à effet de serre: les nuisances qui en découlent, que ce soient pour la santé, le climat ou les nerfs des automobilistes, sont multiples.

Une solution – parmi d’autres avec le transport public, le covoiturage et la marche – semble pourtant à portée de main: le vélo. Mais dans le pays où le taux de voitures par habitant est le plus élevé d’Europe, ce mode de transport peine encore à s’imposer dans la capitale.

La conséquence d’un manque d’infrastructures? C’est l’avis du parti déi Gréng, dans l’opposition au conseil communal, qui a multiplié conférences de presse, motions et propositions à ce sujet. Le réseau de voies cyclables ne serait pas cohérent, il ne permettrait pas de traverser la ville et, surtout, il n’offrirait pas la garantie de sécurité nécessaire pour inciter les gens à recourir au vélo.

La municipalité fait des mesures à droite et à gauche, mais il n’y a pas de concept général.
François Benoy

François BenoyConseiller communaldéi Gréng

«La municipalité fait des mesures à droite et à gauche, mais il n’y a pas de concept général», estime ainsi le conseiller communal d’opposition (déi Gréng). «Or c’est toute une pyramide qui doit fonctionner: il faut des quartiers apaisés, sans trafic de passage, avec des voitures à faible vitesse, pour pouvoir arriver en sécurité à la piste cyclable principale du quartier, qui m’amène à la gare ou en ville. Ensuite, je peux trouver une connexion sur une autre piste sécurisée elle-même liée à un autre quartier.» Mais la réalité reste loin de cet idéal, faute de «volonté politique».

Amélioration constante

«Je ne prétends pas que tout est parfait, mais l’amélioration est constante», se défend l’échevin à la mobilité, (DP), qui se décrit comme un adepte convaincu de la mobilité douce. Celui-ci constate une «augmentation énorme» des utilisateurs de vélo ces dernières années. «Ce ne serait pas le cas si le réseau était si mauvais», juge-t-il, même s’il reconnait que «nous devons continuer à faire des efforts.» Les grands axes cyclables sur l’avenue de la Liberté et l’avenue de la gare, de même que celui reliant la place de l’Étoile au plateau du Kirchberg, sont en tout cas là pour témoigner de l’amélioration du réseau, selon lui.

Je ne prétends pas que tout est parfait, mais l’amélioration est constante.
Patrick Goldschmidt

Patrick GoldschmidtÉchevinDP

En outre, au sein des quartiers, les zones 30 – où la vitesse est limitée à 30 km/h – ont été multipliées pour permettre une cohabitation entre vélo et voitures. Et des «rues cyclables» – les vélos y sont prioritaires et interdiction est faite aux voitures et bus de les doubler – ont par ailleurs été mises en place, notamment rue de Bragance, rue des Trévires ou au Val Sainte-Croix.

De grands axes connectant ces quartiers aux deux «centres» – la Ville Haute et la Gare – ont en outre été aménagés ou sont en voie d’aménagement. L’échevin veut ainsi, d’ici la fin de l’année, relier par deux voies cyclables le rond-point Schuman au boulevard Prince Henri en élargissant un chemin du parc. Puis opérer une deuxième liaison vers le boulevard Prince Henri depuis la place de l’Étoile – en enlevant quelques arbres au passage. Il s’agira aussi de supprimer les places de parking sur ce même boulevard, entre l’avenue Émile Reuter et la fondation Pescatore, pour sécuriser une voie cyclable bidirectionnelle. «Avec ceci, depuis le Kinepolis du Kirchberg jusqu’à la Cloche d’Or, vous aurez une voie beaucoup plus sécurisée pour les vélos», assure Patrick Goldschmidt.

Commune vs État

Ce qui ne devrait pas suffire à convaincre François Benoy. Les mesures restent parcellaires, selon lui. Ou insatisfaisantes: les «rues cyclables» doivent être «dignes» de leur nom, réclame-t-il. «C’est beaucoup de peintures pour peu de résultats», critique-t-il, jugeant que les signalétiques ne suffisent pas à elles seules et que des filtres modaux ou des chicanes sont aussi nécessaires.

L’échevin à la mobilité fait de son mieux, mais il n’a pas, au sein de sa majorité, le soutien politique nécessaire.
François Benoy

François BenoyConseiller communaldéi Gréng

Surtout, selon lui, les seules grandes réalisations, comme les voies autour du tramway, gérées par Luxtram, n’ont pas pour origine la commune, mais l’État. Tout comme le Viaduc passerelle, sous l’autorité des Ponts et Chaussées. De fait, selon le conseiller communal d’opposition, «la majorité politique n’a pas compris la nécessité d’une infrastructure cohérente. L’échevin à la mobilité fait de son mieux, mais il n’a pas, au sein de sa majorité, le soutien politique nécessaire». Or, selon François Benoy, «pour avoir de bons résultats, il faut que cela soit une priorité». Et savoir faire preuve de «courage politique».

Des critiques que goûte assez peu l’échevin à la mobilité. «Sur le territoire de la Ville, rien ne se fait sans l’accord de la Ville. Le tramway est un projet commun. Cela n’a rien à voir avec la question de savoir s’il s’agit de la Ville ou de l’État», assure celui qui rappelle que, avant lui, les Gréng ont occupé 12 ans ce même poste, sans faire mieux. «La mobilité n’a pas de couleur politique», juge-t-il.

Priorité vs temps long

Quant à la majorité politique à la Ville, celle-ci aurait évolué dans le bon sens, se convainc-t-il: «Au niveau du collège échevinal, j’ai quand même senti ces dernières années une acceptation pour faire plus pour le vélo. Tous sont d’accord sur le constat que plus le réseau est organisé, plus de monde utilisera le vélo en Ville».

Il faut parfois un an et demi pour faire seulement 300 ou 500 mètres de pistes cyclables.
Patrick Goldschmidt

Patrick GoldschmidtÉchevinDP

Si, pour François Benoy, du fait de la , «il est prioritaire de miser sur le vélo dès maintenant», Patrick Goldschmidt se veut pragmatique et s’inscrit dans un processus progressif, étape par étape. De fait, les procédures peuvent prendre beaucoup de temps: «Il faut parfois un an et demi pour faire seulement 300 ou 500 mètres de pistes cyclables».

Et l’échevin doit prendre en compte tous les aspects de la mobilité, qui entrent parfois en conflit. «Je ne suis pas seulement l’échevin des cyclistes. L’échevin à la mobilité, c’est aussi les piétons, les bus. Or les bus de la ville transportent plus de 600.000 personnes par semaine. Cela n’est en rien comparable avec le nombre de vélos», constate Patrick Goldschmidt. Qui résume simplement: «Ce n’est pas toujours évident».

L’autosolisme règne

D’autant plus que la voiture semble encore écraser la concurrence. Luxembourg-ville, c’est 170.000 entrées motorisées par jour maximum. C’est aussi 55.000 vignettes résidentielles. «À nous de montrer les alternatives pour aller en ville», explique Patrick Goldschmidt, qui veut que les gens évitent la voiture, mais sans pénaliser et en misant sur l’acceptabilité. «C’est comme le jeu des chaises musicales, on ne peut pas tout enlever en même temps», illustre-t-il. Les contraintes naturelles s’accumuleront de toute façon, veut croire celui pour qui «le futur n’est pas la voiture individuelle».

Une certitude: la demande en mobilité va augmenter à court terme de manière drastique dans le pays – de 40% d’ici 2035, . Mais l’autosolisme règne encore en maitre, avec, en moyenne, 1,2 personne par voiture. Les mentalités – et les infrastructures – devront donc se transformer, et vite, avant que la situation ne devienne intenable.

Cet article a été rédigé pour la newsletter Paperjam Green, le rendez-vous mensuel pour suivre l’actualité en matière d’environnement, de climat, de mobilité, de RSE et de green finance.