Romain Muller estime que le commerce de détail sera plus marqué par la crise sanitaire que l’immobilier de bureaux. (Photo: Jan Hanrion /Archives Maison Moderne)

Romain Muller estime que le commerce de détail sera plus marqué par la crise sanitaire que l’immobilier de bureaux. (Photo: Jan Hanrion /Archives Maison Moderne)

La polémique provoquée par l'Union des propriétaires souligne à quel point le gel de l'économie dû à l'épidémie de Covid-19 touche un secteur sensible, selon Romain Muller, ex-CEO de Jones Lang Lasalle Luxembourg, passé chez Firce Capital.

Quelle est votre position concernant le , que l’Union des propriétaires conseille à ses membres de maintenir?

Romain Muller. – «Georges Krieger (le président de l’Union des propriétaires, ndlr) s’est montré plus ouvert dans un deuxième temps, en disant qu’il fallait examiner au cas par cas. Personnellement, et en tant qu’investisseur, je suis d’accord avec lui sur le principe. Je suis convaincu que les loyers font partie d’une économie circulaire reliant les locataires, les propriétaires et les banques. Il faut bien que cette boucle tourne.

Il faut savoir aussi que, souvent, il s’agit de petits propriétaires, des indépendants/commerçants d’il y a 20-40 ans qui ne possèdent qu’une surface commerciale et ont besoin de ce loyer pour payer une partie de leur retraite ou leur maison de repos. Être propriétaire d’une surface commerciale ne signifie pas qu’on est riche.

Et puis, beaucoup de surfaces commerciales sont nanties par un prêt bancaire, et les banques ne sont pas prêtes à rayer tous les remboursements des mois de mars et avril, mais certaines accordent une suspension du remboursement du capital. C’est d’ailleurs un réel problème en France, où le gouvernement a décidé que les commerçants ne paieraient ni loyer, ni charges. C’est un coup dur pour ces propriétaires.

Revenons au Luxembourg, où les propriétaires qui peuvent faire un geste doivent être clairs dans la communication avec leurs locataires: s’agit-il d’une gratuité de loyer ou d’une suspension de loyer? Dans ce dernier cas, le loyer sera lissé sur une période à définir entre les parties.

C’est important pour que tous les commerçants puissent rouvrir les commerces immédiatement en bon état de fonctionnement lorsque le marché reprendra.
Romain Muller

Romain MullerFirce Capital

D’autres locataires évoquent une gratuité des charges communes. Serait-ce envisageable?

«Il est inévitable qu’elles soient payées, parce qu’elles représentent souvent ce que l’on appelle la garde de la chose: elles couvrent entre autres les assurances, le chauffage, la sécurité, etc... Tous sont essentiels pour préserver le local, les aménagements, ainsi que les marchandises. C’est important pour que tous les commerçants puissent rouvrir les commerces immédiatement en bon état de fonctionnement lorsque le marché reprendra. Le propriétaire ne fait aucun profit sur le montant des charges et fait tout le nécessaire durant cette période de crise pour diminuer le coût en révisant les prestations comme les poubelles, le ménage, la température intérieure, les rondes de sécurités, etc… mais il ne peut pas fermer/déconnecter les centres commerciaux.

Que préconisez-vous, alors?

«Il pourrait éventuellement y avoir des arrangements au cas par cas sur le loyer, selon la structure de l’occupant:

- Les activités alimentaires, supermarchés, etc... continuent à fonctionner et, étant donné que des familles entières sont confinées à la maison et consomment donc trois repas par jour, je ne peux pas imaginer qu’ils fonctionnent moins bien.

- Les bars et restaurants ont connu des pertes conséquentes au niveau de leur stock, puisqu’ils travaillent avec des produits frais, qui ont dû partir à la poubelle. Et même si tout le monde se pressera chez eux lorsqu’ils pourront rouvrir leurs portes, ces pertes ne seront pas compensées.

- Les enseignes de mode perdent certes beaucoup de revenu, même durant cette période de transition entre les soldes d’hiver et les arrivages de la saison d’été. Je pense que ça aurait été encore plus dramatique en mai ou en juin.

Il faut voir quelles sont les pertes réelles des occupants, quelles aides ils reçoivent du gouvernement, et ensuite trouver une solution adaptée à chaque locataire. Malheureusement, rien n’est prévu pour les indépendants, hormis un emprunt remboursable, alors qu’ils se trouvent depuis le 16 mars sans revenu.

Le mood ‘télétravail’ pourrait évidemment avoir un impact positif sur les problématiques de mobilité que connaît le Luxembourg.
Romain Muller

Romain MullerFirce Capital

Pensez-vous que des commerces ne rouvriront pas après la crise?

«Certains auront beaucoup de mal à faire face à cette crise – et certains grands groupes internationaux sont également en difficulté financière. . Je ne sais pas comment feront les commerces qui ‘vivotaient’ avant la crise, qui avaient déjà du mal à payer leur loyer, et qui vont se retrouver sans rentrée d’argent jusque fin avril au moins. Je crains que la reprise soit très dure pour eux.

Le marché du commerce de détail est déjà mondialement très touché par la diminution des profits d’un côté, la pression sur les prix, et une diminution du volume de vente, qui est impacté par le coût de la vie, qui, lui, est devenu plus cher, ce qui est également le cas au Luxembourg, où la part augmentation du prix ‘logement’ vient diminuer la partie des dépenses dans les commerces, car le logement représente aujourd’hui la principale dépense des ménages.

La crise va-t-elle aussi laisser des traces sur le marché immobilier de bureaux?

«Je pense que oui, en tout cas un ralentissement dans la prise en occupation, sans avoir des impacts au niveau des prix, car le Luxembourg a toujours été un des meilleurs élèves en Europe, avec un taux de vacance très faible. Beaucoup de sociétés ont vu que le télétravail était possible, qu’elles pouvaient faire face aux outils informatiques, mais aussi faire confiance à leurs employés, et en même temps constaté que le business continue à bien fonctionner.

Le mood ‘télétravail’ pourrait évidemment avoir un impact positif sur les problématiques de mobilité que connaît le Luxembourg.

Il est possible que des sociétés qui avaient prévu une croissance significative avant la crise sanitaire mettent en hold leur demande en surfaces de bureaux, ce qui ne veut pas dire que la demande soit annulée. Car le sujet du mix télétravail/bureau a déjà été mis en place auprès de plusieurs Big Four avant cette période de confinement, sans que cela n’ait impacté le marché immobilier.»