Vue de l’exposition «L’homme gris», au Casino Luxembourg. (Photo: Mike Zenari)

Vue de l’exposition «L’homme gris», au Casino Luxembourg. (Photo: Mike Zenari)

On connaît le diable rouge, avec ses cornes et son trident. Mais quelle est la figure du diable aujourd’hui? À quoi ressemble-t-il désormais? Est-il toujours aussi reconnaissable? Ce sont quelques-unes des questions qui sont posées dans la nouvelle exposition «L’homme gris», présentée au Casino Luxembourg.

«C’est le diable en personne!» Derrière cette phrase commune, se cachent en réalité de nombreuses interrogations. À quoi ressemble le diable? On connaît ses représentations traditionnelles de personnage rouge à la queue fourchue et aux cornes pointues, ou encore en ses incarnations animalières telles que le bouc ou le hibou. Mais à quoi ressemble le diable aujourd’hui, et comment les artistes contemporains le représentent-ils? C’est une question sur laquelle Benjamin Bianciotto, docteur en histoire de l’art à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, s’est largement penché dans le cadre de sa thèse dont le sujet est «Figures de Satan: l’art contemporain face à ses démons, de 1969 à nos jours». De cette thèse, il a décliné l’exposition «L’homme gris», présentée au Casino Luxembourg jusqu’au 31 janvier.

À travers une scénographie particulièrement réussie, Benjamin Bianciotto rassemble les œuvres d’une vingtaine d’artistes qui ont toutes en commun cette représentation du diable. Mais sait-on vraiment le reconnaître? «Le diable est devenu cet homme gris», explique le commissaire de l’exposition, «cet anonyme que l’on croise dans la rue, au restaurant. Un monsieur Tout-le-Monde que l’on ne remarque pas nécessairement, mais qui, pourtant, derrière cette apparence ordinaire, cache son attitude diabolique. Et n’est-il pas encore plus dangereux d’avoir un diable que l’on ne reconnaît pas? Car c’est encore plus sournois.»

Pour l’exposition, le commissaire a choisi des œuvres récentes qui font toutes référence à la figure du diable, mais un diable bien éloigné de l’apparence qu’on lui connaît habituellement. Si, çà et là, des réminiscences de figures traditionnelles persistent, comme dans l’œuvre d’Andres Serrano ou la photo de Jan Fabre placée dans l’escalier, le diable prend bien d’autres tournures.

La scénographie contribue pleinement à appréhender la complexité et la dualité du sujet: les visiteurs pénètrent dans l’exposition par une installation en bois zigzagante, un cheminement qui contraint le déplacement, ôte la liberté de déambulation et force une perte des repères. Un chemin tracé, sans choix ni retour, qui symbolise pour Benjamin Bianciotto «les oppressions subies de l’extérieur, la mécanisation des gestes et des routes tracées, l’absence de parti pris dans le monde moderne».

Au fur et à mesure du parcours, le propos se complexifie, et l’intensité monte. En quittant ses attributs traditionnels, le diable se fond dans la masse et acquiert une présence d’autant plus effrayante qu’on ne sait distinctement le reconnaître. À trop le chercher chez les autres, on oublie parfois de le voir en soi. Aussi, certaines œuvres sont de dimension relativement modeste, comme pour forcer une vision attentive, intime.

Signes cabalistiques, voleur d’âme, meurtrier de jeunes innocentes, femmes sulfureuses, poupées habitées… le diable prend bien des formes. Mais il se loge aussi dans le mouvement permanent, l’éternel changement, ou encore la violence ignorée des autres.

Tout au long du parcours, les artistes nous laissent des indices pour tenter de le reconnaître, bien que les propos partent dans différentes directions: politique, économie, écologie… Le diable serait-il partout? Le commissaire d’exposition n’hésite pas à dresser des renvois, tisser des connexions entre toutes ces formes qui, au final, se démultiplient et restent insaisissables, à l’image de ces six portraits du médecin nazi Josef Mengele, œuvre de Christine Borland. Six bustes différents, qui représentent pourtant tous le même homme…