Julien Licheron estime que le télétravail peut avoir une incidence sur les prix des logements. (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

Julien Licheron estime que le télétravail peut avoir une incidence sur les prix des logements. (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

La hausse des prix des logements s’est accélérée de­puis la mi-2018. Et selon Julien Licheron, membre de l’Observatoire de l’habitat, la soutenabilité de l’augmentation des prix pose question.

La hausse des prix de l’immobilier s’explique-t-elle encore par des facteurs tangibles?

Julien Licheron. – «Le phénomène devient inquiétant. Entre 2010 et mi-2018, le marché a évolué à un rythme de 4,5% à 5% par an. Ces hausses s’expliquaient parfaitement par les fondamentaux économiques: le décalage important entre la demande très forte et l’offre de logements qui restait très con­trainte, notamment par la disponibilité du foncier.

Jusque-là, il ne fallait pas voir dans ces haus­ses des comportements spéculatifs ou une bulle immobilière. En revanche, depuis mi-2018, nous observons une croissance des prix de 10% à 12% par an. On a donc changé de braquet alors que les fondamentaux sont peu différents. On peut cette fois s’inquiéter de la soutenabilité de l’augmentation des prix.

Comment expliquer cela?

«C’est très compliqué. D’autant que, si la demande reste très forte, on a quand même vu une petite hausse dans la production de loge­­ments. Ce que l’on a pu constater, c’est une ruée vers l’investissement locatif. Peu de placements étaient aussi lucratifs sur les marchés. En soi, ce n’est pas forcément une catastrophe dans la mesure où la grande majorité des investisseurs visent la location. L’objectif n’est pas uniquement spéculatif, il vise à mettre des logements à disposition, mais cette pratique induit un problème d’accès au logement encore plus important que les années précédentes.

La véritable surprise vient du fait que les hausses de prix ont gagné l’ensemble du territoire. C’est une première.
Julien Licheron

Julien Licheroncoordinateur de l’Observatoire de l’habitat

Sur quels types de logements la hausse est-elle la plus marquée?

«C’est extrêmement homogène, les logements de tous types de surfaces sont concernés. La véritable surprise vient du fait que les hausses de prix ont gagné l’ensemble du territoire. C’est une première. Jusqu’à présent, les prix avaient tendance à augmenter plus rapidement dans le centre du pays que dans le sud, et plus vite dans le sud que dans le nord ou l’est. Or, depuis mi-2018, on a vu des augmentations de prix partout.

Peut-on imaginer des moyens sérieux pour encadrer cette hausse?

«Cette hausse est avant tout tirée par l’absence d’alternatives à l’investissement dans un contexte de taux d’intérêt faibles. Il est donc difficile d’imaginer des systèmes de coercition qui permettraient d’enrayer le phénomène. Il faudrait encadrer l’investissement locatif, ce qui pourrait s’avérer contre-productif étant donné le besoin de logements en loca­tion. On peut penser que la crise actuelle permettra de revenir à des niveaux d’augmentation des prix plus raisonnables. Par contre, honnêtement, je ne crois pas du tout à l’idée d’une baisse des prix suite à cette crise.

Peut-on cette fois parler d’une bulle?

«Ce terme me gêne un peu, cette hausse n’est pas tout à fait artificielle. Elle est sans doute tirée par les investisseurs locatifs, mais qui n’agissent pas pour des raisons spéculatives. Je crois donc plus à un changement dans le profil des acquéreurs qu’à l’idée d’une bulle. Ceci dit, on reste sur un profil de petits investisseurs familiaux, habitant au Luxembourg.

Si l’ampleur de cette crise-ci est similaire à celle de 2008-2009, elle ne devrait pas entraîner de problèmes visibles.
Julien Licheron

Julien Licheroncoordinateur de l’Observatoire de l’habitat

Les pertes d’emplois que la crise risque de provoquer représentent-elles un risque pour le secteur?

«En 2008-2009, l’ampleur de la crise sur le secteur du logement a été faible. Les prix avaient très peu baissé et peu de ménages se sont retrouvés en défaut de paiement. Si l’ampleur de cette crise-ci est similaire à celle de 2008-2009, elle ne devrait pas entraîner de problèmes visibles. Si l’économie s’effondre, le marché de l’immobilier sera par contre en grande difficulté.

L’expérience du confinement et du télétravail pourrait-elle entraîner des mouvements dans la demande?

«C’est une question particulièrement pertinente pour le Lux­em­bourg, où il n’existe qu’un seul bassin d’emploi et qui, en plus, est largement transfrontalier. Si le télétravail se généralise, il y a de grandes chances pour qu’on observe des changements dans la structure spatiale des prix des logements. Les zones périphériques pourraient connaître des hausses plus importantes que la capitale, d’autant que le potentiel de terrains constructibles y est plus important.

La concentration du foncier fait partie du problème. Que peut faire l’État?

«Les recettes sont connues: une taxe foncière, une surtaxe sur les terrains non construits... Le bâton a malheureusement plus d’effet que la carotte. Mais c’est compliqué: les propriétaires fonciers sont relativement conservateurs et n’ont pas nécessairement be­soin d’argent.»