Guy de Muyser en est convaincu: «La critique de l’ancien suscite l’innovation, et tout progrès détruit en bâtissant.» (Photo: Maison Moderne/Jan Hanrion/Patricia Pitsch)

Guy de Muyser en est convaincu: «La critique de l’ancien suscite l’innovation, et tout progrès détruit en bâtissant.» (Photo: Maison Moderne/Jan Hanrion/Patricia Pitsch)

Il y a 10 ans, Guy de Muyser avait fait part de sa vision de ce que pourrait être le Luxembourg en 2020. Après avoir relu ses propos, il revient sur sa vision de l’époque et lance de nouvelles balises pour 2030.

«La pandémie de Covid-19 a éclaté en début d’année 2020. C’était un de ces événements marquants, quoiqu’imprévisibles, comme l’avait été l’annonce du Brexit quelques années auparavant, ou l’élection aux USA d’un président plus que déroutant. Doit-on pour autant renoncer à sonder le futur pour en deviner les secrets? Non, car – sauf les exceptions spectaculaires comme celles rappelées ci-dessus – on ne peut ignorer combien l’avenir est une résultante du passé, couveuse des défis que le monde – ou, dans notre cas, le Grand-Duché – aura à affronter, sinon à régler, dans des lendemains plus ou moins rapprochés. Ainsi, la saisine de l’avenir est plus un travail d’analyse et de déduction qu’un exercice de divination.

Arrêtons-nous un moment sur la pandémie qui bouscule le monde. Nous constatons qu’en 10 mois, en dépit de toutes les parades qui ont été mises en œuvre, nos taux d’infection restent élevés. De plus, par rapport à l’été 2020, le nombre quotidien de morts a même été multiplié. Et cela malgré une politique gouvernementale qui devrait forcer l’admiration des plus sceptiques de nos compatriotes. Faut-il donc croire que le virus se propage malgré nos prescriptions de comportement et de prudence, alors qu’il résiste à tous les médicaments disponibles dans l’état actuel de la science? Oui et non. Car on ne peut sous-estimer le nombre de malades qui sont infectés tous les jours par les «DI» ou distributeurs d’infections… Ce peut être soit des personnes qui se fichent des prescriptions de prudence ou bien des voyageurs entrant au pays (qu’ils soient étrangers ou résidents revenant d’un séjour à l’étranger). Comment les dépister et les contraindre puisqu’ils restent pour la plupart anonymes et ont souvent l’excuse d’ignorer qu’ils sont porteurs d’infections? Ainsi, il ne reste qu’à attendre les vaccins pour entamer notre campagne de sauvetage national. Celle-ci mettra, disent les experts, au moins une année pour assainir le Grand-Duché… encore que cela dépende en partie de la situation dans les pays voisins.

Défis multiples pour la prochaine décennie

Mais prenons garde: la pandémie ne doit pas nous faire oublier que le pays connaît bien d’autres défis qui restent à résoudre pendant la décennie que nous venons d’entamer. Certains sont internationaux, comme le climat, l’environnement, le terrorisme, les réfugiés, le déclin de la compétitivité occidentale, les monopoles des Gafam, les régions en guerre ou au bord de conflits armés…, ou nationaux: la diversification de l’économie, l’intégration européenne, encore l’environnement, le terrorisme, la crise du logement et celle de la mobilité, les retards dans l’enseignement, l’intégration des étrangers résidents et – cerise amère sur le gâteau – les conséquences économiques, financières, sociales et bien d’autres de l’actuelle pandémie.

Tout cet inventaire figurera donc au menu de la décennie suivante, comme on y retrouvera certainement le débat sur l’interventionnisme étatique, dont le Covid-19 nous a fait découvrir l’absolue nécessité en temps de crise sanitaire. Mais quelles doivent être les limites de cette intervention? Où doit-elle s’arrêter pour ne pas toucher aux périmètres réservés à la démocratie?

Sur un tout autre plan, lorsque l’on discute en public ou en privé des problèmes du moment, on est frappé par l’annonce de changements d’attitude touchant à certains paradigmes traditionnels. Prenons, par exemple, la mobilité et la critique par les jeunes de notre dépendance du quasi-monopole de l’auto. Prenons aussi l’éducation nationale: la préférence va de plus en plus aux enseignements liés au digital, par opposition aux savoirs mnémotechniques qu’on estime dépassés. Quant au logement, beaucoup ne rêveraient plus d’une maison, mais plutôt d’un appartement, voire même d’une colocation. Et certains vont jusqu’à critiquer notre «société de consommation»! Quant aux rapports sociaux, tout en notant un net affaiblissement des liens avec la cellule familiale, on constate une approche de plus en plus égalitaire (y compris dans les rapports homme/femme) et une attitude plus critique à l’égard de l’autorité, quel qu’en soit le nom, à commencer par la parentale. De même, on questionne le capitalisme sous toutes ses formes. Notre système d’économie de marché n’est-il pas dépassé? Pour autant, une alternative convaincante n’est pas proposée.

Confiance et optimisme

Faut-il s’en effrayer? Acceptons, au contraire, que la critique de l’ancien suscite l’innovation, et que tout progrès détruit en bâtissant. Pour ma part, je me permets de conclure qu’en face de la longue énumération des défis, notre pays aligne d’excellents atouts humains et matériels qui lui permettront, j’en suis convaincu, d’affronter son avenir autant avec la confiance dans ses capacités qu’avec l’optimisme de son énergie et de son courage.

Je suis convaincu que, à moins d’une secousse tectonique, comme une guerre ou une nouvelle pandémie, la grande majorité des habitants du de pays pourra se dire en 2030 qu’elle a bien de la chance de vivre sur ce lopin de territoire exigu, mais favorisé à tant d’égards.
Guy de Muyser

Guy de Muyser

Quel sera donc, en résumé, le Grand-Duché dans 10 ans? Je suis convaincu que, comme maintenant, le Luxembourg aura sa place sur la scène du monde, tant comme entité nationale que comme partie de l’Union européenne – dont on peut espérer qu’elle aura entre-temps progressé dans la voie de l’unification. Le pays n’aura pas su résoudre ou liquider tous ses défis actuels ni ceux qui s’y ajouteront sans doute en cours de décennie et qui continueront – comme 10 ans plus tôt – à donner du fil à retordre aux gouvernants et aux gouvernés.

Ce nonobstant, et comme la pesanteur de l’âge ne m’empêche pas de rester optimiste, je suis convaincu qu’à moins d’une secousse tectonique, comme une guerre ou une nouvelle pandémie, la grande majorité des habitants de de pays pourra se dire en 2030 qu’elle a bien de la chance de vivre sur ce lopin de territoire exigu, mais favorisé à tant d’égards.

Pour terminer, je me permets de rappeler que j’avais déjà pressenti en 2010 la croissance que connaîtrait, durant la prochaine décennie, le duo Maison Moderne/Paperjam, ce groupe qui mérite depuis 20 ans le qualificatif de «start-up pérenne, à succès de durée indéterminée». C’est avec plaisir que je répète aujourd’hui ce pronostic pour les années à venir.

Avertissement: Luxembourgeois de naissance, je suis depuis longtemps devenu Luxembourgeois d’affection. Ce qui peut sinon justifier, du moins expliquer, la quasi-absence de critiques et ma conclusion délibérément optimiste.»

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