Luc Henzig, qui expose en ce moment à Belval, compte aux environs de 700 guitares et autres objets de collection liés aux guitaristes. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Luc Henzig, qui expose en ce moment à Belval, compte aux environs de 700 guitares et autres objets de collection liés aux guitaristes. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Woodstock, Elvis, Eric Clapton, mais aussi investissement, analyse de risque ou due diligence. Parler de son instrument favori avec un collectionneur de guitares comme Luc Henzig (ex-PwC ou de la Chambre du commerce, actuel président de la Rockhal) est l’assurance de vivre un moment passionnant.

Actif 27 ans chez PwC où il a évolué au sein du CA, ancien directeur de la formation à la Chambre de commerce, (62 ans) a désormais intégré le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en tant que conseiller en formation professionnelle continue. Une fonction qu’il occupe en parallèle de la présidence du Centre de Musiques Amplifiées (qui gère notamment la Rockhal). Un rôle qui sied à merveille à ce rockeur dans l’âme, qui à défaut de pouvoir briller sur les scènes musicales («j’ai vite constaté mes limites», sourit-il), s’est lancé dans la collection de guitares. Au point d’être aujourd’hui une référence internationale en la matière et d’avoir même été exposé au Groninger muséum (aux Pays-Bas), un célèbre musée d’art moderne.

Dans le cadre d’Esch2022, c’est au Skip, à deux pas de la Rockhal à Belval, que s’affiche une partie de sa collection (une quarantaine de pièces). L’expo est baptisée «Live, Breathe and Sleep Guitars» et se tient jusqu’à début octobre.

«La guitare ne marche plus vraiment auprès des jeunes. Elle ne les attire plus. Mais l’enthousiasme renaîtra bien à un moment…», glisse Luc Henzig. «Et peut-être qu’une expo comme celle-ci peut l’y aider…»

Combien de guitares comptez-vous?

Luc Henzig. – «On tourne aux environs des 700 pièces, mais il n’y a pas que des guitares. On retrouve aussi des amplis, des basses, des sangles (de guitare), etc. Je me suis vraiment lancé sérieusement dans cette collection en 2003. Cela a été intense par moments. Certaines semaines, j’achetais jusqu’à trois objets différents. Quand vous êtes pris par la passion… Mon but n’a jamais été d’accumuler ou de me pavaner. D’ailleurs, le petit musée que j’ai créé à Abweiler (Bettembourg) est avant tout un lieu de rencontre. Désormais, j’ai arrêté d’accueillir du public, mais il est toujours accessible aux musiciens. Sur rendez-vous, on peut venir jouer avec certaines de ces guitares. Un instrument est là pour être utilisé, pas pour rester dans une vitrine.

«La guitare qui me touche le plus émotionnellement, c’est la Les Paul d’Alan Wilson (Canned Heat). C’est celle qu’il utilisait sur la scène de Woodstock en 1969.» (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

«La guitare qui me touche le plus émotionnellement, c’est la Les Paul d’Alan Wilson (Canned Heat). C’est celle qu’il utilisait sur la scène de Woodstock en 1969.» (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

De quelle pièce êtes-vous le plus fier?

«Un collectionneur vous dira toujours que la plus passionnante, c’est… la suivante (il sourit, ndlr). Mais parmi celles présentées durant cette expo, celle qui me touche le plus émotionnellement, c’est la Les Paul d’Alan Wilson, du groupe Canned Heat. C’est celle qu’il utilisait sur la scène de Woodstock en 1969. D’ailleurs, si vous regardez les images d’époque sur Youtube, vous ne verrez qu’elle lors des premières secondes des vidéos. Woodstock a marqué ma jeunesse…

53 ans plus tard, il ne doit pas rester beaucoup d’instruments présents durant les trois jours de festival…

«Je ne connais qu’une seule autre guitare: celle utilisée par Alvin Lee. Elle est aujourd’hui chez sa fille. On me l’a proposée un jour, mais à un prix totalement déraisonnable…

L’attachement que j’ai à la guitare d’Alan Wilson va bien au-delà de sa présence à Woodstock. Canned Heat et son guitariste sont mythiques. Wilson fait partie du club des 27 (le surnom donné à un ensemble d’artistes célèbres du rock et du blues qui ont comme point commun d’être mort à l’âge de 27 ans, ndlr). Certes il n’est pas le nom le plus connu. On citera plus volontiers les Jimi Hendrix, Janis Joplin, Brian Jones, Jim Morrison ou, pour les plus récents, Kurt Cobain et Amy Winehouse. Mais ceux qui connaissent l’histoire de la musique savent l’importance qu’il a eue. Avoir sa guitare est très émouvant.

Une telle guitare doit représenter un investissement conséquent…

«Le prix d’une guitare dépend de beaucoup de facteurs. Lors d’une enchère datant de deux ou trois ans, deux guitares de David Gilmour (Pink Floyd) sont parties pour 3,9 et 1,8 millions de dollars (qui ont été reversés à la lutte contre le réchauffement climatique, ndlr). Je vous rassure, je n’ai évidemment jamais dépensé un tel montant pour un instrument. Je n’en ai pas les moyens. Il y a là une telle disproportion avec la valeur intrinsèque de l’objet. Voire même avec une éventuelle valeur sentimentale. Ce ne sont que deux ‘bêtes’ Fender Stratocaster. Des objets produits en série. Cela n’a rien à voir avec un violon Stradivarius, par exemple. Et le fait que le guitariste de Pink Floyd ait posé ses mains dessus ne peut pas expliquer une telle explosion des prix.

Le fait que le guitariste de Pink Floyd ait posé ses mains sur une guitare ne peut pas expliquer que le prix de celle-ci explose à 3,9 millions de dollars.
Luc Henzig

Luc Henzigcollectionneur de guitaresprésident CMA, conseiller au ministère de l’Éducation

Comme dans tous les marchés de collection, les faussaires doivent être légion. Vous avez souvent eu affaire à eux?

«Je ne pense pas en avoir vraiment fait les frais souvent. Mais cela existe clairement. Certains noms sont d’ailleurs cités, notamment du côté de Denmark Street, à Londres. C’est le quartier des magasins d’instruments de musique. Personnellement, j’ai toujours essayé de me tenir éloigné de ceux qui vous proposaient des ‘offres mirobolantes’. Le plus souvent, je m’approvisionne directement chez les artistes. 60 à 70% de ma collection a été acquise ainsi. Après, évidemment, j’ai des doutes pour certains objets…

Un exemple?

«Une guitare qui a (ou aurait) appartenu à Elvis Presley. Il l’aurait reçue en cadeau, avant de lui-même l’offrir à son guitariste, la famille de ce dernier ayant décidé de la vendre à sa mort. J’ai demandé et reçu un acte notarié confirmant la provenance. Celui-ci indique que cette guitare aurait même été exposée un temps à Nashville… Le souci, c’est que le biographe de celui qui est censé l’avoir offerte à Elvis m’a contacté pour dire que ce dernier n’en avait aucun souvenir… Qui croire dans un tel cas de figure? Cela s’est passé dans les années 60. Et qui se souvient aujourd’hui de ce qu’il a fait à l’époque… Peut-être aussi que c’est le manager de cette personne qui l’a donnée en son nom à Presley… Mais quoi qu’il en soit, j’ai donc des doutes. C’est tout de même un investissement qui se monte à une dizaine de milliers d’euros. En même temps, c’est aussi une guitare en parfait état datant de 1966. Et rien que cela lui confère une valeur assez proche du prix que j’ai déboursé.

Pour chaque objet, il y a un gros boulot en termes de documentation, de recherches, en fouillant les revues spécialisées ou en parcourant les vidéos d’époque disponibles sur les plateformes. J’effectue donc une sorte de due diligence.
Luc Henzig

Luc Henzigcollectionneur de guitaresprésident CMA, conseiller au ministère de l’Éducation

Comme sur d’autres marchés liés à l’art, l’authentification permet de valoriser son bien. Mais on comprend qu’elle est parfois très compliquée à obtenir…

«Je demande toujours, dans la mesure du possible, un certificat d’authentification. Par exemple, la sangle de guitare peinte par Jimi Hendrix lui-même que je possède était accompagnée d’une lettre signée de la main de Noel Redding qui l’authentifie. Redding était le bassiste du Jimi Hendrix Experience et c’est lui qui l’a vendue chez Bonhams, à Londres. Mais c’est vrai que pour chaque objet, il y a généralement un gros boulot à faire en termes de documentation, de recherches, en fouillant les revues spécialisées ou en parcourant les vidéos d’époque disponibles sur les plateformes. Je m’y astreins à chaque fois. J’effectue donc une sorte de due diligence.

Comme un investisseur avant de finaliser sa transaction…

«C’est exactement ça. D’ailleurs, une guitare est un investissement. Même si ce n’est pas ma manière de réfléchir, il est prouvé que c’est un placement qui prend un peu plus de valeur chaque année et qui, sur le long terme, génère un certain rendement. Comme une voiture. Si ce n’est que vous aurez beaucoup moins de frais au fur et à mesure des années.

Après, comme je le disais, les vérifications sont parfois compliquées. Dans les années 1960 ou 1970, on ne pouvait pas dégainer un smartphone pour immortaliser un concert. Les photos n’étaient pas courantes, les vidéos encore moins. Du coup, dans le doute, parfois je m’abstiens. J’ai des envies mais je sais retenir ma passion.

Comment fixez-vous la hauteur de l’investissement que vous êtes prêt à consentir?

«J’ai une formule qui consiste à prendre le prix du produit sur le marché de l’instrument, ce qui représente donc sa valeur intrinsèque. Et j’accompagne celui-ci d’un multiplicateur lié à la notoriété du musicien qui l’a utilisé. Ensuite, j’observe à quel point le montant que j’obtiens est proche de celui qu’on me propose. Si l’écart est minime, la passion peut prendre le dessus. Par contre, si l’écart est conséquent, je tente d’oublier. J’ai quand même une base d’économiste (il sourit, ndlr).

Vos presque 30 années passées dans l’audit chez PwC sont donc un atout?

«Clairement! Cela m’a formaté la tête. On peut même dire que c’est devenu une deuxième nature chez moi. Chaque nouvelle transaction, je l’aborde au travers de l’analyse de risque.

Quelle est la pièce que vous rêvez d’avoir?

«Robert Fripp, un des fondateurs de King Crimson, est un de mes ‘guitar heroes’… On m’a un jour proposé une guitare présentée comme une des siennes. Mais cela ne collait pas avec ce que je connais de lui. Elle était verte et jaune fluo, là où il est toujours resté dans la sobriété. Je n’en ai pas non plus trouvé trace dans mes recherches. Bref, je n’ai pas cru à l’histoire que l’on me racontait… Je n’ai pas non plus de guitare d’Eric Clapton. Enfin si, j’ai une ‘artist series’ signée…

Mes 30 ans chez PwC m’ont formaté la tête. (…) Chaque nouvelle transaction, je l’aborde au travers de l’analyse de risque.
Luc Henzig

Luc Henzigcollectionneur de guitaresprésident CMA, conseiller au ministère de l’Éducation

Une ‘artist series’?

«Dans les années 80, certaines icônes sont devenues tellement importantes qu’on a produit en série des répliques de leurs instruments, à destination du grand public. Et Eric Clapton a été le premier pour la guitare. Ainsi, j’ai une ‘artist séries’ signée de sa main. Elle représente un autre pan de l’histoire de la musique. Mais il n’a pas joué avec. Après, par contre, j’ai aussi le baffle de son moniteur qui l’a accompagné des années 1960 à 1972, à l’époque de Derek and the Dominos…

Votre collection vous a permis de rencontrer certaines de vos idoles?

«Oui. Peut-être pas celles que je plaçais au-dessus de tout mais des noms importants. Je peux citer Steve Vai, le guitariste de Frank Zappa, Ray Monette, qui a exercé à la Motown, ou Arlen Roth qui a joué avec les Bee Gees, Bob Dylan, Ry Cooder, etc.»