La construction d’indices ESG fiables est aussi une question de souveraineté. (Photo: Shutterstock)

La construction d’indices ESG fiables est aussi une question de souveraineté. (Photo: Shutterstock)

La société franco-luxembourgeoise FCI, spécialisée dans la production d’indices, va s’appuyer sur les données de l’agence de notation européenne Scope pour produire des indices ESG «made in Europe».

Un des nombreux points d’achoppement dans le développement d’une finance durable bâtie sur les principes ESG (environmental, social and governance) réside dans le domaine des données. «Des données qui ne sont ni soumises à régulation, ni même harmonisées», introduit Luc Neuberg, founding partner et board member de FCI (). Pour dépasser cet écueil, «l’important est d’avoir une couverture suffisante et des données fiables». Et c’est pour cela que FCI a choisi l’agence européenne Scope pour produire ses indices ESG. «Nous avons essayé plusieurs agences de notation et seule Scope avait la couverture nécessaire pour construire nos indices», poursuit Luc Neuberg. Il ajoute: «ils sont spécialisés dans la fourniture de données ESG, ce qui est assez rare en Europe.»

Plus qu’un fournisseur de données, FCI voit dans Scope un partenaire. «Il ne s’agit pas d’acheter des données que l’on injecte par après dans un système. Nous voulons construire quelque chose ensemble, auquel on croit. On a un moteur, il faut aussi un carburant de qualité».

Aujourd’hui, on ne se préoccupe plus de savoir ce qu’il y a dans un indice. On se préoccupe seulement du nom. Si c’est untel, c’est forcément bon. Non!
Luc Neuberg

Luc Neubergfounding partner et board memberFair Cost Index

L’autre point de convergence, c’est de produire des indices revendiqués comme «Made in Europe» par les deux partenaires.

Le caractère européen de Scope a été un critère déterminant dans le choix de FCI. «Nous ne voulions pas retomber dans un biais américain en recourant à des acteurs comme Moody’s, S&P, MSCI ou Stoxx et contribuer au renforcement d’un oligopole. Moody’s, S&P et Fitch étaient là avant, pendant et après la crise et n’ont jamais été inquiétés», détaille Luc Neuberg qui dénonce un «effet grand nom» qui fausse le marché. «Aujourd’hui, on ne se préoccupe plus de savoir ce qu’il y a dans un indice. On se préoccupe seulement du nom. Si c’est untel, c’est forcément bon. Non! Cet effet de réputation se remarque de plus en plus, au point que les régulateurs doivent rappeler qu’il ne faut pas faire confiance à un nom et se dispenser des dues diligences qui devraient toujours être de rigueur.» Pour Luc Neuberg, face à ce qui devient pour lui un «système auto porté» par des oligopoles et des grands noms, «il faut en revenir aux fondamentaux. Les utilisateurs d’informations financières doivent sortir des sentiers battus et mener leurs propres analyses».

La question de la souveraineté du financement en Europe

Scope est la principale et seule alternative crédible aux agences de notation américaines qui forment un véritable oligopole.

«Nous nous inscrivons au cœur de la souveraineté du financement en Europe. Une souveraineté sur les deux piliers que sont l’analyse financière et l’analyse extrafinancière. Il est important de comprendre qu’aujourd’hui avoir un acteur fort européen indépendant est essentiel», développe Marc Lefèvre, regional head – western Europe chez Scope Group.

Le groupe Scope – fondé en 2002 sous forme juridique d’une SE (société européenne) et basé à Berlin – est une agence de notation indépendante spécialisée dans la notation de crédit, l’analyse de fonds d’investissement et dans l’analyse ESG. Scope est certifiée par l’ESMA comme agence de notation dans l’Union européenne depuis 2012.

L’Europe, c’est le terrain de jeu de l’agence qui ambitionne d’être un acteur majeur de la consolidation du marché européen de la notation de crédit. Consolidation qui fera émerger le poids lourd européen du secteur qui «fait cruellement défaut», selon Marc Lefèvre. «Une agence européenne, c’est une perspective européenne différente sur le risque de crédit. C’est reconnaître que ces notations prennent en compte la diversité de l’Europe, qui est réelle, et la complexité de ses dynamiques réglementaires, géopolitiques, culturelles en les incorporant toutes dans cette analyse du risque qui prend en compte les écosystèmes européens. Quand vous avez trois ou quatre gros providers qui regardent dans un sens et un Européen qui regarde dans un autre, je peux vous assurer que la valeur ajoutée ressort très clairement. De plus, dans l’équation du financement entre émetteurs et investisseurs, les acteurs du financement sont de moins en moins séduits par cet oligopole américain.»

On va pouvoir dire que, pour un euro de chiffre d’affaires, il y aura tant de centimes d’impact sur l’environnement, le social et la gouvernance.
Marc Lefèvre

Marc Lefèvreregional head – Western EuropeScope Group

L’enjeu pour Marc Lefèvre est de ne pas perdre la bataille de l’ESG. «Rappelez-vous l’IFRS. Nous avons perdu la guerre face aux Américains qui ont imposé cette norme et ne l’appliquent même pas. L’Europe est certainement mieux-disante sur les sujets extrafinanciers. Les questions environnementales et sociétales sont l’un des fers de lance de la présidence française de l’Union européenne. Ne laissons pas les Américains nous dicter le livret de messe.»

La bataille est lancée. Sur deux fronts.

Celui de l’émergence d’un acteur européen d’abord. Si Scope a procédé dans ce but à l’acquisition de l’agence allemande Euler Hermes Rating en janvier 2021, ses concurrents américains ne sont pas en reste. «Selon une étude de l’AMF les fournisseurs de données ESG qui avaient une vraie couverture mondiale ont quasiment tous été rachetés par nos grands concurrents américains.»

L’autre front est celui de la qualité et de la pertinence des données.

La méthodologie de Scope est basée sur une analyse quantitative de données publiques et non sur des datas que les émetteurs eux-mêmes fournissent. «Du déclaratif qui n’a de valeur que pour l’agence qui a envoyé le questionnaire.» À partir de ces données, Scope va reconstituer la chaine de valeur et analyser la «supply chain» des émetteurs pour pouvoir analyser leur impact ES et G. Une reconstitution qui va jusqu’à la monétisation des impacts. «Nous sommes les seuls à avoir cette approche. On va pouvoir dire que pour un euro de chiffre d’affaires, il y aura tant de centimes d’impact sur l’environnement, le social et la gouvernance.» Une méthodologie qui est applicable à toutes les tailles de sociétés – y compris les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) – et à tous secteurs. «FCI et nous sommes très impliqués dans le financement de l’économie réelle. Les PME et les ETI, c’est l’innovation, la croissance et l’emploi. Donc on doit pouvoir aider ces sociétés. L’ESG est un changement de paradigme qui a un impact considérable sur les marchés financiers et ces marchés financiers doivent aider au financement de toutes les sociétés, y compris les PME et les ETI», insiste Marc Lefèvre.

Contraintes d’optimisation

La méthodologie de construction des indices FCI ESG ne repose pas que sur des mécanismes d’exclusion. Les critères ESG sont approchés comme étant des «contraintes d’optimisation». Une approche qui permet de s’adapter à l’évolution du niveau d’exigence des régulateurs et des professionnels. «Les fonds d’investissement et les banquiers privés n’ont pas forcément les mêmes niveaux d’exigence.»

Autrement dit, les indices FCI ESG pourront s’adapter au fur et à mesure que les standards vont évoluer.

Qui, dans un contexte où il y a une multitude d’approches, va arbitrer cette guerre et dire quels sont les indices qui deviendront les standards de marché au niveau global?

Le marché, espèrent Luc Neuberg et Marc Lefèvre, pour qui il faut éviter que ce soit le régulateur qui doive, face à un marché défaillant, imposer des normes. Et pour eux, qualité et transparence seront les clés pour s’imposer.

Cet article a été rédigé pour la newsletter Paperjam Green, le rendez-vous mensuel pour suivre l’actualité en matière d’environnement, de climat, de mobilité, de RSE et de green finance.