La faillite de OneWeb, une des trois constellations qui voulaient venir titiller SES et O3b mPower, pourrait redistribuer les cartes à plus grande échelle. (Photo: Shutterstock)

La faillite de OneWeb, une des trois constellations qui voulaient venir titiller SES et O3b mPower, pourrait redistribuer les cartes à plus grande échelle. (Photo: Shutterstock)

SES tiendra son assemblée générale ce jeudi au château de Betzdorf, comme chaque année le premier jeudi d’avril. Coronavirus ou pas, l’heure est aux choix stratégiques. Des deux mariages en gestation, l’un aurait du plomb dans l’aile: Eutelsat serait tenté par le rachat de OneWeb, en faillite.

Un virus infiniment petit peut avoir un effet papillon terrible dans l’infiniment grand, l’espace. En 14 ans, la Softbank n’avait jamais enregistré de pertes trimestrielles. Il fallait bien que ça arrive un jour. En novembre dernier, les Japonais annoncent 6,5 milliards de dollars de pertes après l’introduction en bourse catastrophique de WeWork et les débuts désastreux d’Uber en bourse, autre grand investissement du groupe.

Il y a dix jours, la Softbank décide de couper les vivres à OneWeb. Lancée par le fondateur d’O3b (rachetée à prix d’or par SES), la société de Greg Wyler devait lancer de 700 à 2.000 satellites en orbite pour créer depuis le ciel un réseau internet concurrent à ceux d’Elon Musk (Starlink) et de Jeff Bezos (Kuiper). 2.000 au début et 700 ensuite, face aux difficultés. 74 sont effectivement en orbite, pas assez pour offrir le service visé par Wyler et donc espérer générer assez de revenus pour s’en sortir financièrement.

Eutelsat changerait de projet?

La semaine dernière, la société britannique est obligée de se déclarer en faillite aux États-Unis, incapable de payer ses dettes. Elle a un mois pour trouver un repreneur. Et, disent les spécialistes, cela pourrait intéresser… Eutelsat.

«Eutelsat n’a pas de projet de constellation LEO à large bande et nous pensons qu’il pourrait trouver un intérêt à regarder OneWeb pour ses droits orbitaux et des licences d’accès au marché pourraient être utiles pour l’opérateur français», analyse par exemple Sami Kassab, de la banque d’investissement Exane BNP Paribas.

«L’échec de OneWeb», poursuit-il, «devrait profiter aux opérateurs de satellites en place, en particulier à SES. SES est la seule entreprise à avoir une infrastructure à large bande non GEO sur le marché à ce stade. Elle doit lancer son réseau de deuxième génération (mPower) l’année prochaine et fera face à moins de concurrence, car OneWeb et LeoSat sont en faillite.»

Seulement, SES avait un autre plan dans le viseur, disent différentes sources: le «mariage» de sa partie vidéo avec l’opérateur français. À l’occasion de la publication des résultats annuels, M. Collar annonce des discussions, «menées au sein de SES, où nous réfléchirons à la création de deux ‘pure-players’ sur deux verticales au travers de la séparation de la partie ‘Networks’, sous le contrôle de SES, dans l’idée d’arriver à un focus stratégique et opérationnel. Nous allons également discuter avec des agences de notation, des spécialistes des questions fiscales et des investisseurs», détaille Suzanne Ong, basée à La Haye et qui dirige désormais la communication externe.

La consolidation dans le secteur de la vidéo est un élément de langage récurrent du CEO de SES, Steve Collar. «Je ne dirais pas que c’est une obsession», se défend-il régulièrement. «Je ne dirais pas que c’est quelque chose qui fait absolument partie de nos plans, mais je pense que la consolidation dans notre industrie sera utile. Cela fait longtemps que l’on spécule à propos de cela.»

Les «foreign companies» face à Musk

L’autre société, qu’on l’appelle SES-Data, SES-Network ou SES-X selon la mariée à qui l’on pourrait déclarer sa flamme, doit permettre de contourner un autre problème. Les discussions sur la 5G américaine ont montré comment l’opinion publique américaine, poussée à la fois par les élus républicains et par les opérateurs de télécoms américains, regarde ces opérateurs européens de satellites comme des «foreign companies».

Face à deux géants qui vont se lancer – d’ici 2023 – dans la fourniture de connectivité depuis le ciel, Musk et Bezos, SES-X pourrait devenir une société américaine avec un partenaire de premier plan et donc mieux profiter de la manne gouvernementale américaine. Qui? Microsoft, assurent là encore ceux qui regardent la société de près.

Dans la corbeille des mariés, sur les 9,7 milliards de dollars finalement accordés par le Trésor américain – loin des 30 à 40 milliards de dollars annoncés en début de négociations –, SES récupèrera 4 milliards de dollars en deux parties, la première en 2021 et l’autre en 2023, une manne vitale tant pour financer le milliard de dollars que la société doit sortir l’an prochain pour ses deux satellites (O3b mPower et SES-17) que pour se désendetter. 

«Il n’y a aucune raison de penser que SES ne serait pas le propriétaire de Networks […]. Aucune décision ne sera prise avant la fin de l’année», désamorce directement le service Communication revu et corrigé depuis les Pays-Bas. Exit Markus Payer, que SES avait expédié à Washington surveiller les discussions avec la FCC sur le plan 5G, bonjour Aaron Graham, silencieux à côté de son patron lors du point presse expédié au pas de charge au château de Betzdorf, mais fin connaisseur des États-Unis.

L’État ne préjuge pas des analyses en cours

«L’État soutient la société dans ses réflexions stratégiques face aux défis du secteur, notamment celle qui vise à analyser la faisabilité et le bien-fondé d’une séparation structurelle de son activité ‘data’, à fort potentiel de croissance à l’avenir. Les modalités d’une telle séparation ne sont actuellement pas encore identifiées, et il n’appartient pas à l’État de préjuger des analyses en cours», fait savoir le Premier ministre et ministre des Communications, .

La nouvelle structure pourrait également aller chercher des fonds en bourse. «Nous allons explorer cette possibilité. Nous avons dit que nous allions explorer l’activité Networks. Accéder à du capital extérieur sera clairement une de ces options. Mais je ne voudrais pas aller trop loin sur ce que nous allons faire», a sobrement répondu le CEO de SES.

«Nous avons beaucoup parlé de notre multiorbite mondiale, multifréquence réseau, et nous y sommes uniques. Nous sommes uniques dans la capacité à gérer les réseaux à travers nos constellations GEO et MEO. Nous sommes uniques dans le développement du cloud avec Microsoft, dans le développement de l’orchestration et dans le développement d’un système qui nous permettra de gérer dynamiquement les ressources à travers notre architecture satellite», assure-t-il pour balayer cette ronflante concurrence américaine. 

Un cauchemar? Pas sûr. , qui avait déjà obtenu l’autorisation, en 2018, d’augmenter le capital social de l’entreprise de 10% maximum sans que l’État ne participe à ce tour de table, doit absolument faire entrer des capitaux frais pour nourrir la croissance de Networks. Si un investisseur devait entrer au capital d’une nouvelle société, pour l’instant seulement imaginée, ce serait le moment idéal: mieux vaut prendre 20, 30 ou 40% du capital social quand l’action est à son plus bas, ce qui réduira aussi la prime d’émission, sorte de corbeille du marié.

Nul doute que ce jeudi à Betzdorf, – mais la grande salle du château est assez grande pour accueillir tout le monde sans que cela soit problématique – il y a fort à parier que les petits actionnaires, entre un dividende encore une fois coupé en deux à 0,40 euro après onze ans d’augmentation de 10% par an et la perspective de cette nouvelle société, voudront faire entendre leur voix.