Alexandra Oxacelay, directrice de Stëmm vun der Strooss, a su mobiliser ses équipes pour poursuivre son action sociale, tout en prenant toutes les précautions pour protéger leur santé. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Alexandra Oxacelay, directrice de Stëmm vun der Strooss, a su mobiliser ses équipes pour poursuivre son action sociale, tout en prenant toutes les précautions pour protéger leur santé. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Stëmm vun der Strooss n’a jamais mis un terme à ses activités au cours des derniers mois. Malgré la crise sanitaire et ses multiples embûches.

Alexandra Oxacelay ouvre la fenêtre de son bureau, se penche pour jeter un œil sur le bout de trottoir de la rue de la Fonderie, puis nous invite à faire de même. «Vous voyez, il y a déjà du monde», dit-elle. En effet, alors que le restaurant de Stëmm vun der Strooss, l’association qu’elle dirige, ouvrira ses portes dans plus de 30 minutes, la file est déjà conséquente.

Sous un méchant petit crachin d’automne qui vous refroidit plus qu’il ne vous mouille patientent des gens, dont les points communs sont une précarité vécue au quotidien et l’envie d’un repas chaud. Tous acceptent de parler, mais pas de donner leurs noms, qui seront donc ici fictifs. Par méfiance, un peu. Par souci de sécurité, parfois. Par dignité, le plus souvent.

Restauration et contact social

«Ce n’est pas facile de vivre comme cela, mais on s’en contente», explique Kamel, qui a quitté l’Afrique du Nord pour venir travailler ici dans la construction. Il n’a jamais pu ou voulu demander de titre de séjour, n’a donc jamais été déclaré par ses employeurs, a toujours été logé ici ou là, ne sachant pas toujours ce qu’il en sera le lendemain. Quand la crise sanitaire a frappé, il a donc été un peu plus démuni encore. Quelques fois par semaine, il se met à table au sein des locaux de Stëmm, «et c’est déjà bien, vraiment. Pour le reste, je me débrouille. Mais rentrer chez moi, je n’y pense pas. Plus rien ne m’attend là-bas. Je suis heureux d’être ici.» Le Luxembourg n’a pourtant pas été son eldorado. «C’est mon pays, maintenant», réagit-il. «Regardez: on a quand même beaucoup de choses ici. Allez voir ailleurs, là où on n’a droit à rien.»

Ivan, lui, a moins de 30 ans et est originaire des pays de l’Est. Il a appris le français, qu’il parle presque sans accent. Arrivé au Luxembourg,  la dépression et la rudesse de la rue l’empêchent d’aller de l’avant. «Je vis dans un squat, mais je fais ma toilette tous les jours», dit-il d’emblée, pour affirmer qu’il refuse de se laisser aller. Le repas qui lui sera servi, cela compte, évidemment. Mais le restaurant, c’est aussi l’opportunité d’avoir des contacts sociaux, qu’il évite par ailleurs, «car ils sont trop source de problèmes dans la rue. Et des problèmes, je n’en veux pas.» Le confinement, il l’a donc vécu comme un calvaire. Les bibliothèques avaient fermé. Or, «c’est là que je passe mes journées, à lire ou à discuter avec des gens. Du coup, j’ai été coupé des autres personnes durant des semaines. Je ne sais pas si je vais être capable de le supporter encore. Sans doute que oui, il faudra bien…» Ivan ne le dit pas, mais des épreuves, il en connaît d’autres tous les jours.

Derrière lui, Malika tente comme elle le peut de distraire ses deux enfants. Pas simple quand on a faim. Au passage, elle salue l’une ou l’autre personne. Des habitués, eux aussi.

Leur dénominateur commun: être dans le besoin

«On a vu un changement avec la crise sanitaire», explique la directrice. «Au départ, ceux pour lesquels nous sommes là sont les SDF, les gens de la rue. Mais ce sont des personnes qui ne sont pas habituées à respecter des règles. Avec le Covid, beaucoup ne sont plus venus.» Car les règles ont changé. «Nous ne pouvions plus accueillir autant de gens en même temps, mais des groupes de 20. Avant, on avait jusqu’à 120 personnes par service. Ici, à Hollerich, on fournissait environ 300 repas entre 11h30 et 16h30. Maintenant, on est à 140 par jour.»

Avant la crise, le restaurant de Luxembourg servait environ 300 repas. Il ne peut plus en proposer que 140 par jour. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Avant la crise, le restaurant de Luxembourg servait environ 300 repas. Il ne peut plus en proposer que 140 par jour. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

En mars, Stëmm a proposé des repas dans des barquettes à ses bénéficiaires pour protéger ses salariés et ses travailleurs sociaux. Et tant pis si, temporairement, il a fallu manger en plein air. «Du coup, certains de nos ‘clients’ sont partis, et d’autres sont arrivés», poursuit Alexandra Oxacelay. «Mais tous, de toute façon, sont des gens dans le besoin.» Par contre, il n’y a plus eu d’accès aux douches, plus de distribution de vêtements, mais bien de masques fournis par l’État. Il a fallu aussi travailler avec moins de personnel.

Je me disais: si nous, on ferme, mais qui donc va rester ouvert?

Alexandra OxacelaydirectriceStëmm vun der Strooss

«Mais on n’a pas fermé un seul jour et c’est une grande fierté», pointe la directrice. «C’était vraiment important. Je me disais: si nous, on ferme, mais qui va encore rester ouvert? En faisant cela, on a aussi voulu rassurer. Il y a eu beaucoup de choses à gérer, mais les équipes ont été formidablement réactives.»

Les travailleurs en réinsertion ont ainsi trouvé un nouveau modus vivendi, en organisant autrement les équipes. «Avec le Covid, le moral a baissé d’un coup. Mais il est vite remonté, car il fallait que cela bouge. Bien entendu, il y avait un peu de stress, car on va aussi dans les hôpitaux. Mais, au final, on se sent plus utiles qu’à la maison.» Même constat dans les cuisines, où on prépare moins de plats, «mais où on doit gérer les stocks autrement. Si c’était mieux avant? Oui, bien entendu. Mais on aura appris des choses. Et puis, je trouve qu’il y a plus de respect de la part des gens.»

Beaucoup de chaleur humaine et des besoins immenses

Stëmm vun der Strooss, c’est maintenant 47 salariés sur cinq sites, deux restaurants sociaux, des ateliers thérapeutiques, de la réinsertion socioprofessionnelle, beaucoup de chaleur humaine et de la solidarité. Mais aussi des besoins énormes. «On a besoin de plus de locaux, de plus de place, de plus de personnel…», martèle Alexandra Oxacelay. «Pour pouvoir aider plus de monde.» Un appel est d’ailleurs lancé pour aider à financer la couverture de la cour des locaux de Hollerich, ce qui agrandirait le réfectoire.

Et de l’aide, du soutien, il en arrive. Souvent dans la discrétion. «La crise sanitaire en a été l’exemple. Spontanément, de nombreuses entreprises ou des particuliers sont venus nous aider. Financièrement ou même d’un point de vue matériel. Comme on ne savait pas vers quoi on allait, je disais aux équipes de prendre, de prendre, de prendre… À un tel point que les frigos étaient trop pleins! Mais tout a eu son utilité», s’amuse-t-elle.

Sur le trottoir, la file est encore plus longue. Les vigiles vont laisser entrer les 20 premières personnes, qui auront 20 minutes pour se restaurer, pas plus. Un autre effet indésirable du Covid. «Oui, aujourd’hui, il y a vraiment du monde», confirme la directrice. Le menu du jour propose notamment des boulettes et des féculents. «Quand c’est le jour du poisson, ils sont toujours moins nombreux. Finalement, tout se passe ici comme partout ailleurs…»

Stëmm vun der Strooss serait un peu comme un petit navire sur la mer déchaînée, il est ballotté dans tous les sens, mais flotte. «Je préfère l’image du roseau: on plie, mais on ne rompt jamais!», conclut Alexandra Oxacelay.