Marie-Paule Gillen reste attentive au projet de loi de 2020 – toujours en cours – pour instaurer des class actions. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Marie-Paule Gillen reste attentive au projet de loi de 2020 – toujours en cours – pour instaurer des class actions. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Avocate en droit bancaire, Marie-Paule Gillen observe des risques de transparence dans la digitalisation des produits financiers. Une transformation qui pose des questions en matière de protection des investisseurs.

 Vous présidez l’Association européenne pour le droit bancaire et financier (AEDBF) au Luxembourg. Quels en sont les objectifs?

. – «La vocation de l’AEDBF est de promouvoir le droit bancaire européen auprès de professionnels spécialisés dans les aspects juridiques des activités financières. Fondée à Paris en 1988, l’AEDBF a créé au fil des ans des comités nationaux dans différents pays européens. Tous les comités nationaux travaillent en étroite collaboration et, tous les ans, nous organisons un colloque européen dans une capitale. Cette année, c’est Luxembourg qui a été choisie comme lieu d’accueil de cette conférence européenne.

Cette conférence, organisée le 5 mai, s’est déroulée autour de la notion de clientèle. Qu’est-ce qui vous a amenés à ce thème?

M.-P.G. – «Les règles concernant la protection des consommateurs de produits d’investissement ont subi des évolutions très profondes au cours des deux dernières décennies. Il y a eu Mifid I en 2004, ensuite Mifid II en 2014 (directive sur les marchés d’instruments financiers, ndlr). L’évolution a été notable dans le sens où, au départ, ces règles visaient à organiser les professionnels en vue d’instaurer un marché européen des services financiers.

Le but de ces règles était aussi d’assurer une protection des consommateurs des services financiers, des investisseurs privés et professionnels, sur un level playing field grâce aux directives. La protection des investisseurs a donc été renforcée en améliorant leur accès à l’information des produits financiers qu’ils consomment. Plus ils sont informés, mieux ils sont protégés. La protection par la transparence a ainsi visé la responsabilisation des prestataires de services financiers.

Depuis lors, comment a évolué la protection de la clientèle?

M.-P.G. – «Toutes les règles encadrant la protection de la clientèle se trouvent aujourd’hui fortement impactées par les développements technologiques, les services financiers faisant l’objet d’une digitalisation très importante. Maintenant, les clients ont surtout accès aux services financiers par les services numériques alors que, dans le passé, ils allaient voir leur gestionnaire bancaire pour discuter de leur profil investisseur, afin de choisir des produits d’investissement leur correspondant.

Pour cela, des formulaires très élaborés permettaient de définir le profil investisseur pour renforcer la conscientisation sur les risques. Cela aussi pour responsabiliser les professionnels qui offrent ces services. Aujourd’hui, de plus en plus de clients utilisent leur smartphone pour faire des placements. Cette évolution porte atteinte à l’efficacité des règles qui ont été mises en place, sans que l’objectif final de la protection du consommateur et du bon fonctionnement des marchés financiers soit remis en cause, bien entendu. Mais l’évolution technologique va plus vite que le droit.

Un investisseur qui fait des investissements en ligne ou qui utilise son smartphone n’aura pas le même niveau de protection qu’avec la façon traditionnelle de le faire, car il y a la question de la rapidité.
Marie-Paule Gillen

Marie-Paule GillenAvocate spécialisée dans le droit bancaireCabinet DSM

Comment la digitalisation remet-elle en cause l’efficacité des textes de droit?

M.-P.G. – «Un investisseur qui fait des investissements en ligne ou qui utilise son smartphone n’aura pas le même niveau de protection qu’avec la façon traditionnelle de le faire, car il y a la question de la rapidité. Premièrement, le temps de réflexion que donnaient les comportements traditionnels disparaît. Deuxièmement, lorsque vous faites un investissement dans un produit financier, vous devez savoir de quoi il s’agit, connaître les risques, comprendre comment il est structuré et quel est son coût. Toutes ces informations-là, l’investisseur les a alors sur son petit écran de smartphone.

Prenez les prospectus de fonds, par exemple, composés de centaines de pages. Imaginez-vous les lire sur un smartphone. Le législateur européen a tenté de répondre dès 2009 à cette préoccupation dans le cadre de la directive portant refonte des règles sur les OPCVM. Celle-ci introduit des règles qui obligent les sociétés de gestion des OPCVM à publier des KIIDS (documents d’informations-clés pour les investisseurs), lesquels, dans la pratique, tiennent sur deux ou trois pages. Mais, aujourd’hui, deux ou trois pages à lire sur un smartphone sont peu praticables et ne correspondent plus aux usages.

La tendance des produits ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, ndlr) fait-elle aussi évoluer la notion de clientèle?

M.-P.G. – «Il y a eu deux directives en matière d’investissements ESG qui imposent de respecter une certaine taxonomie des produits financiers au regard de la finance verte et durable ainsi que des obligations de transparence et de reporting. Les producteurs de produits financiers développent des offres qui ont certaines caractéristiques respectueuses de l’environnement pour lesquelles les consommateurs manifestent un intérêt croissant. Ils ont des attentes, voire des revendications, quant au fait de pouvoir investir dans ce type de produits. Mais le risque est que ces produits ne correspondent pas à la couverture qu’on leur donne, c’est-à-dire le risque de greenwashing. Les banques doivent donc désormais approfondir certaines affirmations qu’elles font par rapport au marché et prendre des engagements. Le consommateur doit pouvoir se fier à ces informations lorsqu’il choisit un produit financier ESG.

Marie-Paule Gillen: «Sur le plan de l’efficacité des recours, les actions collectives sont certainement très intéressantes.» (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Marie-Paule Gillen: «Sur le plan de l’efficacité des recours, les actions collectives sont certainement très intéressantes.» (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Les clients doivent donc bénéficier de moyens de recours au cas où ils se sentiraient lésés. Qu’en est-il des actions collectives?

M.-P.G. – «Il n’y a pas de cadre légal actuellement au Luxembourg pour ce que l’on appelle les class actions (actions collectives). Un projet de loi a été déposé en 2020 pour instaurer une possibilité d’actions collectives, mais il n’est toujours pas passé. Il y a très peu de pays européens qui permettent ce type de recours. Ce genre d’action permettrait à des investisseurs privés de se regrouper lorsqu’ils constatent avoir été trompés par un produit. Des procédures longues et coûteuses au niveau individuel ont moins de chances d’aboutir. Sur le plan de l’efficacité des recours, les actions collectives sont certainement très intéressantes.

Un tel moyen de recours ne permettrait-il pas de rééquilibrer juridiquement la relation d’affaires entre une banque et ses clients? 

M.-P.G. – «Pour répondre à ce souci, la directive Mifid avait notamment créé le système de l’ombudsman – dont chaque institution financière doit disposer afin de recevoir les réclamations des clients et de rechercher éventuellement une solution non judiciaire. Les régulateurs ont également dû mettre en place une section, au sein de leurs propres entités, qui réceptionne les plaintes des consommateurs. Les régulateurs jouent aussi un rôle d’intermédiation en recherchant un règlement à l’amiable.

Lorsqu’ils reçoivent des plaintes de la part de clients, les régulateurs contactent les banques concernées et leur demandent des explications. Si les plaintes sont nombreuses et justifiées, ils peuvent aussi aller voir ce qu’il se passe dans cette banque. Dans ce rôle de conciliateur, il n’est pas possible d’aller plus loin si une banque estime qu’elle a joué correctement son rôle d’information auprès du client. Dans ce cas, c’est aux juges de prendre le relais.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de  parue le 27 avril 2022.

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