Août 2018, Knauf Insulation revient sur sa décision de s’installer au Luxembourg et entame des travaux à Illange, zone au départ censée accueillir des milliers d’entreprises chinoises. (Photo: Paperjam)

Août 2018, Knauf Insulation revient sur sa décision de s’installer au Luxembourg et entame des travaux à Illange, zone au départ censée accueillir des milliers d’entreprises chinoises. (Photo: Paperjam)

Lassée des va-et-vient avec l’Administration de l’environnement, en 2018, Knauf Insulation avait finalement décidé de s’installer à Illange, de l’autre côté de la frontière. Deux ans plus tard, l’usine de yaourt grecque de Fage semble partie… pour rester.

Leurs bidons de lait sous le bras, les Grecs de Fage pensaient, en juillet 2016, commencer leur production le lendemain. Quatre ans plus tard, alors que l’usine devait commencer à produire fin 2018, le lait a eu le temps de tourner, et administrations et communes continuent à s’interroger sur l’opportunité d’accueillir cette entreprise, ses 219 millions d’euros d’investissement en deux phases et ses 300 à 400 emplois.

Face au succès rencontré en Italie (70,77 millions de dollars sur 128,8 millions de dollars de chiffre d’affaires l’an dernier) et au Royaume-Uni (43,9 millions de dollars), Fage a un besoin vital de cette nouvelle unité de production pour l’Europe, comme Knauf Insulation avait besoin de la sienne en son temps.

À la différence du leader européen de produits d’isolation pour le bâtiment, Fage n’aurait pas entamé de discussions avec la zone industrielle d’Illange, en Moselle, en amont de son arrivée au Luxembourg. Le conditionnel s’impose parce qu’en France, les interlocuteurs peuvent être multiples, du patron de la nouvelle région – Grand Est –, Jean Rottner, aux préfets (représentants de l’État localement) en passant par le président du département ou d’autres personnalités politiques ou du monde économique. Sans que les uns soient au courant de ce que les autres négocient.

«Nous respectons la règle de la première touche», explique un business developer de l’agence de développement Moselle Attractivité, joint par Paperjam, «et Knauf avait choisi le Luxembourg entre nous et le Luxembourg avant de faire machine arrière. Là, il faudrait que les Grecs disent: ‘Ok, on arrête de discuter’, pour que nous nous mettions en contact avec eux. S’ils ont choisi le Luxembourg et dessiné un cercle de 100 kilomètres autour, il y a d’autres possibilités pour eux, à Sarrelouis ou à Hambach par exemple.»

2,5 millions de litres d’eau par jour, un des aspects

En 2019, Fage a investi 30,8 millions d’euros dans l’achat de 15 hectares à Bettembourg-Dudelange, mais cette question-là est presque annexe au Luxembourg. Le terrain reviendrait à l’État sans difficulté. La vraie question semble être: est-ce que les Lorrains seraient capables d’offrir 2,5 millions de litres d’eau par jour aux industriels grecs?

«Impossible à dire en l’état», répond le développeur français. «Quand vous êtes un industriel et que vous voulez implanter une usine quelque part, vous commencez par regarder où cela fait du sens, vous établissez un cahier des charges, puis, outre la seule localisation, vous regardez les questions de logistique, de main-d’œuvre, de fiscalité. Tout joue un rôle. Pour juger de la faisabilité de Fage à Illange, il faudrait connaître le détail de leur cahier des charges!»

Sur son site internet, l’agence de développement indique que la zone a encore 34 hectares disponibles, voire 50, puisque 26 hectares ont été provisoirement alloués à de la production photovoltaïque si aucun industriel n’en veut.

La fiche technique de l’ancienne mégazone, qui devait accueillir des milliers d’entreprises chinoises à sa création par le patron du département et ex-maire de Yutz Patrick Weiten, évoque l’eau à deux reprises:

- les eaux industrielles sont à traiter sur le site par l’industriel et un réseau spécifique est à mettre en place pour un rejet dans la Moselle;

- l’alimentation en eau est garantie par le Syndicat mixte de production d’eau Fensch-Lorraine de Fontoy. La quantité et la qualité des eaux domestiques sont garanties par la présence à proximité du site d’une canalisation en acier de diamètre 300. Pression disponible: 13 bars – 150m3/j et 6L/s en débit de pointe.

Le précieux lait

L’autre aspect du dossier pour l’industriel est le prix du lait. Si son bénéfice a diminué de plus de 20% en 2019, Fage explique dans son rapport annuel que c’est en grande partie dû à la hausse du prix du lait en Grèce, où son produit de base a augmenté de 30,1% l’an dernier, et aux États-Unis, où la hausse atteint 13,1%.

Luxembourg, sous-entend l’industriel, serait une base idéale pour avoir accès à du lait à de meilleurs prix. Selon LTO Nederland et European Dairy Farmers, les prix moyens sur 12 mois tournent autour de 313,60 euros la tonne en Belgique, 342,60 aux Pays-Bas, 349,30 en France et 323,40 en Allemagne.

Et au Luxembourg? Difficile à dire puisque le Grand-Duché ne donne pas d’informations à ces deux réseaux de producteurs européens, pas plus que Luxlait, que nous avons sollicitée. Le seul chiffre fourni par le service d’économie rurale du ministère de l’Agriculture établit la moyenne annuelle à 339,5 euros la tonne. Très loin des 394,10 euros la tonne en Italie, premier marché pour ses yaourts en Europe.

Selon nos informations, Fage a déjà signé des accords de fourniture de lait qui lui garantissent à la fois un prix correct au regard des tarifs pratiqués dans le sud de l’Europe et l’accès aux volumes dont il a besoin. D’où l’intérêt de rester dans la région.