Après un an et demi d’enquête, des centaines d’auditions et l’examen de 1,3 million de documents, le Congrès américain a publié un rapport qui invite à remettre de l’ordre dans la régulation des Gafa. (Photo: Shutterstock)

Après un an et demi d’enquête, des centaines d’auditions et l’examen de 1,3 million de documents, le Congrès américain a publié un rapport qui invite à remettre de l’ordre dans la régulation des Gafa. (Photo: Shutterstock)

Dommage que les vacances soient déjà derrière nous et que le Covid-19 soit toujours devant nous: le rapport de 442 pages que la Chambre des représentants américaine a rendu sur la nécessité de reprendre le contrôle sur Google, Apple, Facebook et Amazon aurait été le roman de l’été.

«Breaking news». Fin juillet 2019, le Washington Post annonce le lancement d’. Le cours de bourse des big tech accuse le coup. Les Gafa n’auraient peut-être pas dû énerver le bouillant président américain, Donald Trump.

Habitué à critiquer Amazon et son CEO, Jeff Bezos, le président s’en prend à Facebook, accusé de prêter sa plateforme à toutes sortes de déviances dans la propagande républicaine, russe, démocrate, tout le monde y passe. Investisseur des premières heures dans le réseau social de Mark Zuckerberg, Peter Thiel répond à Trump qu’il ferait mieux de regarder Google, alors même que l’investisseur préconisait l’émergence de ces «monstres» dès 2014 dans son ouvrage «De zéro à un»… Ambiance au pays de l’entrepreneur-roi.

«Donald Trump a nommé de nouveaux responsables au sein de la Federal Trade Commission (FTC) et de la Federal Communications Commission (FCC): des conservateurs plutôt anti-économie numérique. Le nouveau président de la FTC a clairement Facebook dans le collimateur. C’est aussi un partisan de la fin de la neutralité du net, avec des arguments qui peuvent s’entendre: des services comme Netflix ou YouTube, qui consomment au moins 30% de la bande passante aux États-Unis, doivent payer plus que les autres acteurs pour utiliser ces réseaux», .

Capitalisation boursière record

Les Gafa avaient déjà compris qu’ils allaient avoir des problèmes: une semaine plus tôt, ils ont envoyé leurs seconds couteaux à la deuxième session d’un hearing commencé en juin et intitulé «Online platforms and market power». N’empêche, les quatre CEO traînent les pieds comme des garnements à qui on promet un tirage d’oreille, . Ils ont autre chose à faire, invoquent les affaires, puis la crise du Covid-19.

Leur capitalisation boursière (9.100 milliards de dollars) – Microsoft comprise – dépasse même celle de la totalité des sociétés européennes cotées fin août, alors qu’en 2007, le marché boursier européen valait quatre fois plus que les big tech. Le virus est passé par là: Teams (Microsoft) a gagné 12 millions d’utilisateurs quotidiens en une semaine, les appels et messages via WhatsApp (Facebook) ont doublé entre février et mars, les 30% de commission qu’Apple prend sur les achats effectués via l’App Store lui permettent d’être la première à être valorisée 2.000 milliards de dollars (le 19 août), soit le PIB de l’Italie…

La partie finale donne l’ampleur du problème. Sur 45 pages, les membres de l’antitrust égrènent la liste des sociétés et des start-up rachetées pour une bouchée de pain ou à prix d’or pour tuer toute concurrence dans l’œuf. Avec 74 mentions, Microsoft échappe aux foudres du rapport, à la différence de Google (1.966), Amazon (1.867), Apple (1.285) et Facebook (945), dont le «charismatique» leader, Mark Zuckerberg, est cité 105 fois, contre 99 fois pour Jeff Bezos, 86 pour Tim Cook et 38 fois pour Sundar Pichai.

1,3 million de documents analysés

Le Congrès s’est réuni à sept reprises pour ce sujet pour lequel ont été produits près de 1,3 million de documents et communications internes, les soumissions de 38 des experts antitrust et des entretiens avec plus de 240 acteurs du marché. Jeff Bezos n’avait jamais été entendu par le Congrès, Tim Cook n’y était plus revenu depuis 2013.

Que préconisent les experts?

- Séparations structurelles pour interdire aux plateformes d’opérer dans des secteurs d’activité qui dépendent de la plateforme ou qui interagissent avec elle;

– Interdire aux plateformes de s’engager dans l’autopréférence;

- Exiger des plateformes qu’elles rendent leurs services compatibles avec les réseaux concurrents pour permettre l’interopérabilité et la portabilité des données;

- Exiger que les plateformes fournissent une procédure régulière avant de prendre des mesures contre les acteurs du marché;

- Établir une norme pour interdire les acquisitions stratégiques qui réduisent la concurrence;

- Améliorations apportées à la loi Clayton, à la loi Sherman et à la loi sur la Federal Trade Commission pour mettre ces lois en conformité avec les défis de l’économie numérique;

- Éliminer les clauses d’arbitrage forcé anticoncurrentiel;

- Renforcement de la Federal Trade Commission et de la division antitrust du ministère de la Justice;

- Et promouvoir une plus grande transparence et démocratisation des agences antitrust.

Et l’Europe dans tout cela? La publication n’a pas donné lieu à des commentaires particuliers, mais l’élargissement de la problématique bien au-delà de la seule fiscalité a dû plaire à la commissaire européenne à la Concurrence, pour avoir entamé les hostilités dès 2018 avec l’amende record de 4,3 milliards d’euros infligée à Google. Le montant des amendes se monte aujourd’hui à plus de 8 milliards de dollars.

L’Européenne a discrètement apporté sa caution à .

La Chine a, elle aussi, bien compris le problème qui risquait de se poser pour ses BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi): pour la première fois en une douzaine d’années, pour ses champions numériques, multipliant les amendes – relativement dérisoires – par 100!

La question est de savoir si ce rapport sera suivi d’effet? À un mois de la présidentielle américaine, rien n’est sûr. Le roman de l’été a les mêmes chances que les blockbusters d’Hollywood de nous réserver des suites addictives.