Le pays a connu le succès des Ucits. Va-t-il capitaliser sur la vague de fond de l’ESG pour écrire un nouveau chapitre vertueux? François Mousel et Olivier Carré (PwC Luxembourg) soulignent l’importance de se saisir du sujet, y compris au niveau gouvernemental. (Photo: PwC Luxembourg)

Le pays a connu le succès des Ucits. Va-t-il capitaliser sur la vague de fond de l’ESG pour écrire un nouveau chapitre vertueux? François Mousel et Olivier Carré (PwC Luxembourg) soulignent l’importance de se saisir du sujet, y compris au niveau gouvernemental. (Photo: PwC Luxembourg)

Comment dresser des perspectives en pleine seconde vague de Covid-19? Quelles sont les tendances structurelles qui, virus ou pas, forgeront l’avenir du secteur financier et l’économie dans son ensemble? Éléments de réponse avec Olivier Carré et François Mousel, associés chez PwC Luxembourg, en marge de la présentation mercredi des résultats 2020 du Big Four.

Premier constat: l’incertitude liée à la crise inédite que nous vivons va demeurer. Et il va falloir continuer à composer avec celle-ci à plus long terme, tant en interne que dans les relations client.

«Ce qui aurait pu être un changement temporaire devient progressivement un changement structurel», résume , associé et clients and markets leader de PwC Luxembourg. «Il s’agit, dans un premier temps, d’éviter un nouveau ‘lockdown’ complet, alors que les mesures – nécessaires – prises lors du premier confinement pèsent et vont peser lourdement sur les acteurs économiques et sur les finances publiques.»

Forcé de répondre aux difficultés vécues par les entreprises par des aides ou des reports de paiement de charge, le gouvernement va devoir juguler le poids de la dette.

«Nous partons d’une situation financière très saine sur le plan des finances publiques, ce qui nous permet, dans un premier temps, une marge de manœuvre large en termes de prise de mesures. Mais afin d’absorber le déficit qui en résultera, nous devons en parallèle imaginer une relance économique en nous appuyant sur des secteurs porteurs dans lesquels le Luxembourg est compétitif et qui permettront à l’État d’engranger des recettes fiscales supplémentaires dans le futur. Je pense naturellement au secteur financier (et surtout à celui des fonds alternatifs), mais aussi à l’économie des données. Et surtout, ne pas envisager des hausses fiscales généralisées – ceci est un discours populiste, aberrant d’un point de vue économique et indigne de responsables politiques d’une petite économie ouverte comme le Luxembourg.»

«Une énorme opportunité pour l’ensemble du pays»

Lorsque le brouillard formé par le virus se dissipe, trois lettres apparaissent comme des fils rouges pour les prochaines années, indiquent les experts de PwC Luxembourg: ESG.


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«Tant les attentes des investisseurs que les changements réglementaires vont faire converger vers ce nouveau paradigme qui fera que l’évaluation d’une performance financière sera mise au même niveau que l’impact social ou environnemental obtenu par l’investissement», résume , associé et financial services market leader chez PwC Luxembourg. «Nous parlons d’un changement structurel aussi important que celui qui a émergé autour des Ucits dans les années 80 et qui a donné le succès que l’on connaît à la place financière luxembourgeoise.»

Ce cheminement vers une meilleure prise en compte des aspects environnementaux et sociaux dans le développement économique implique une série de changements dans l’industrie financière et, par corolaire, dans le monde non financier.

«Les entreprises auront besoin de capitaux dans le contexte de cette transition. Or, ces capitaux ne seront accordés à l’avenir qu’en fonction de la transparence et de la mise en conformité aux nouveaux standards de durabilité. D’ailleurs cette ‘redirection’ intentionnée des capitaux vers des activités plus durables implique dans le futur un changement du risque de valeur des investissements moins ou non durables. Une nouvelle donne impactant la gestion de portefeuille et le comportement des investisseurs», précise Olivier Carré.


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Et de revenir sur un agenda précis auquel les acteurs doivent être attentifs. «2021 sera l’année du début de la transition, l’année très importante sera 2022 avec la coïncidence de la 1re partie de la taxonomie européenne et des changements annexes à la réglementation de base dans Mifid, AIFMD ou encore Ucits. Si on considère ces différents éléments dans leur intégralité, on se rend compte que notre place financière est touchée à quasi tous ses différents échelons. Ce qui crée aussi une énorme opportunité pour l’ensemble du pays et des acteurs qui y évoluent, si le changement est accompagné de politiques volontaristes.»

Des objectifs politiques concomitants

Pour que l’alignement soit complet et effectif, le gouvernement est d’abord attendu sur le plan législatif, d’autant plus que l’objectif rejoint l’intitulé de l’accord de coalition pour la période 2018-2023: «ambitieux, équitable et durable».

«Au départ, les éléments et la matière paraissent techniques, mais la conséquence même est facilement compréhensible par le grand public, à savoir faire en sorte que le financement des activités économiques durables soit avantagé par rapport au financement des activités non durable», ajoute Olivier Carré.


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Face aux autres pays qui veulent aussi devenir des «champions verts» et attirer des acteurs économiques durables, le Luxembourg a tout intérêt, selon les experts, à faire jouer à nouveau son agilité et tirer profit de ses chemins courts.

«En tant que pays, soit vous observez cette évolution, soit vous essayez de l’accompagner de manière proactive pour en devenir un premier champion», résume François Mousel. «La réduction de la taxe d’abonnement pour les fonds durables annoncée dans le cadre de la présentation du budget 2021 de l’État est une première excellente initiative, mais on pourrait aller plus loin dans ce qui serait in fine une refonte plus complète du système fiscal des sociétés et collectivités en taxant structurellement moins les activités qui répondront au critère de durabilité, comme mesuré objectivement par la taxonomie européenne à venir. Ce qui ferait du Luxembourg un pionnier en la matière, en parfaite adéquation avec l’accord de coalition du gouvernement en place. Serait-ce une idée à creuser pour une réforme fiscale à concrétiser en 2022?»

Le «new normal» du business development

Se positionner sur l’ESG, capitaliser sur le succès du private equity et des fonds alternatifs, attirer de nouveaux acteurs vers le Luxembourg et de nouveaux clients… l’agenda dépendra aussi du contexte international.

Premier élément déterminant pour les prochains mois: le résultat de l’élection présidentielle américaine qui se tient le 3 novembre. «Il reste difficile d’anticiper un résultat en raison des spécificités du système électoral américain qui affiche aujourd’hui un léger biais vers les républicains», résume Olivier Carré. «Je reste d’avis que chacune des deux options présente des avantages et des inconvénients, avec des politiques différentes qui nous impacteront.»

Incertitude également autour du Brexit. Quelle sera la position du Royaume-Uni quant à l’enjeu de l’ESG? L’Europe pourrait, à cet égard, creuser un avantage, vu l’absence de cadre clair du côté du Royaume-Uni. «Nous aurons aussi besoin, quoiqu’il arrive, d’une Union européenne pérenne, et nous devons rester positionnés à Luxembourg comme hub d’accès à l’Union européenne», ajoute François Mousel. «De plus, nous avons toujours bien travaillé à la fois avec les Américains et les Chinois. Nous devons rester une plateforme de rencontre économique politiquement neutre, ce qui est bénéfique pour chacun de ces deux grands blocs voulant faire des activités en Europe.»

Capter l’intérêt de nouveaux investisseurs, maintenir le lien avec les clients existants. Le tout sans voyage ou en voyageant a minima. Les auditeurs et consultants ont appris, depuis huit mois, à travailler avec cette nouvelle normalité.

«Nous nous sommes évidemment adaptés aux circonstances avec un recours de facto au virtuel, puisque les déplacements internationaux ont été suspendus en très majeure partie au niveau du réseau de PwC», indique Olivier Carré. «Nous avons en revanche fortement intensifié nos actions de content marketing autour de l’expertise de notre firme et du pays. Nous remarquons que l’investissement consenti depuis plusieurs années dans des relations profondes de ‘trusted advisor’ avec nos clients s’avère sans prix afin de traverser cette période très particulière. Cette relation préexistante a été essentielle pour continuer à se parler, négocier, évoquer des points sensibles à distance. La prospection s’avère en revanche plus difficile, mais l’organisation d’événements virtuels nous permet quand même de créer une certaine communauté et d’interagir avec les participants.»

Pour retrouver l’informel en présentiel et redonner tout son sens à la relation interpersonnelle, il faudra encore patienter.