Le Luxembourg et Engie attaquent la décision de la Commission européenne qualifiant les rescrits dont a bénéficié Engie d’aides d’État. (Photo: Paperjam)

Le Luxembourg et Engie attaquent la décision de la Commission européenne qualifiant les rescrits dont a bénéficié Engie d’aides d’État. (Photo: Paperjam)

Engie et le Luxembourg ont exposé, mardi, leurs arguments devant le Tribunal de l’UE, contestant la décision de la Commission européenne assimilant les rulings accordés à l’entreprise à des aides d’État.

Ambiance électrique dans la salle d’audience du Tribunal de l’UE. Au cœur du débat: les rulings régissant le traitement fiscal entre 2004 et 2015 d’Engie, ou plus précisément de GDF Suez Global LNG Holding, GDF Suez LNG Supply et GDF Suez LNG, trois sociétés établies au Luxembourg.

Lesdites décisions fiscales anticipatives, validées par l’Administration des contributions directes – en l’occurrence par «le désormais célèbre M. Kohl», ne manque pas de souligner le représentant de la Commission –, concernent le transfert d’activités soit commerciales soit de trésorerie entre la holding, une société intermédiaire et la filiale. Le schéma a été appliqué à deux groupes de sociétés. Le principe: la holding transfère ses actifs dans la filiale, dont les bénéfices sont convertis en actions auprès de la société intermédiaire, laquelle les remet à la holding en vertu d’un contrat prépayé à terme.

«Il s’agit d’un montage particulièrement artificiel destiné à éviter toute forme d’imposition, à l’exception d’un montant dérisoire convenu avec l’administration fiscale», avance Bruno Stromsky, représentant de la Commission. «La société intermédiaire n’a aucune fonction économique, ne supporte aucun risque. Ses bénéfices sont toujours nuls, et elle remplit une fonction uniquement fiscale.» Et la holding n’est pas non plus taxée, puisqu’elle reçoit les bénéfices sous forme de participations. Au final, GDF Suez n’a payé que 0,3% d’impôts durant une dizaine d’années. Les conditions d’un abus de droit sont donc remplies, pour la Commission.

La Commission ne conteste pas les règles appliquées par le Luxembourg, ne dit pas qu’elles sont illégales, discriminatoires ou sélectives, et reconnaît que n’importe quelle société pourrait adopter la même structure… mais elle n’aime pas le résultat.

Me Denis Waelbroeckreprésentant du Luxembourg

«La Commission interprète l’article 107 du traité sur l’UE (relatif aux aides d’État, ndlr) d’une manière totalement inédite: elle ne conteste pas les règles appliquées par le Luxembourg, ne dit pas qu’elles sont illégales, discriminatoires ou sélectives, et reconnaît que n’importe quelle société pourrait adopter la même structure… mais elle n’aime pas le résultat, qui va, selon elle, à l’encontre d’un ‘principe fondamental commun à tous les États membres selon lequel les impôts sur le revenu doivent être perçus en fonction des capacités contributives du contribuable’», plaide Me Denis Waelbroeck, représentant le Luxembourg. «Cela revient à nier l’utilité du code fiscal et conduit à une extension potentiellement infinie du concept d’aide d’État, dans un domaine éminemment sensible, qui plus est.»

Le Grand-Duché, tout comme Engie, critique la méthode «novatrice» de la Commission. Même l’Irlande a soutenu le Grand-Duché dans cette affaire. «L’Irlande est très préoccupée par la notion de sélectivité, alors que la structure utilisée par Engie est ouverte à tous les opérateurs sur le marché», argumente Me Barry Doherty, entendu en vidéoconférence depuis Dublin. D’ailleurs, la Commission a consulté les structures d’autres groupes «similaires» – une méthode inédite –, mais seul le cas Engie lui est paru contestable.


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«La Commission s’est arrogé le droit d’interpréter souverainement le droit luxembourgeois», tempête Me Benoît Le Bret, représentant Engie. «Son raisonnement se réduit à un seul principe: toute entreprise devrait être taxée sur la base de sa comptabilité et en fonction de ses capacités contributives. La législation fiscale a pourtant pour effet d’apporter des ajustements» au-delà des seuls bénéfices déclarés.

Les requérants soulignent encore l’«incohérence» de la position de la Commission au sujet du traitement des transactions intragroupes sur un même territoire. «Elle ne peut pas reprocher au Luxembourg de respecter la directive mère-filles» de 1990, grince Me Le Bret. D’autant qu’en l’espèce, aucun enrichissement n’a eu lieu, puisque les bénéfices de la filiale LNG Supply ont à peine suffi à éponger les dettes accumulées après la perte d’approvisionnement en provenance du Yémen en raison de l’instabilité dans le pays. La société a même dû être recapitalisée à hauteur de 100 millions d’euros.

«La Commission réécrit le droit fiscal luxembourgeois. Or, ce n’est pas son rôle», reprend Me Waelbroeck, rappelant l’insistance de Margrethe Vestager sur la réforme de la loi sur l’impôt sur les revenus, intervenue quelques jours avant la publication de la sanction à l’encontre des rulings d’Engie.

La joute des avocats, corrigeant la partie adverse au détour d’une réponse à la juge rapporteur Vesna Tomljenović, s’est poursuivie mardi après-midi. Les juges de la 7e chambre élargie, présidée par Marc van der Woude, doivent décider si les rulings accordés à Engie relevaient bien d’une aide d’État, et au-delà, si l’audacieuse politique de concurrence menée par Margrethe Vestager peut s’appuyer sur des méthodes «novatrices», comme la comparaison entre entreprises. Et ce, sans violer la souveraineté fiscale des États membres.