Les réacteurs de la centrale de Doel, dans le port d’Anvers, ont été modernisés afin de pouvoir fonctionner jusqu’en 2025. Mais la CJUE considère que les travaux auraient dû être précédés d’une évaluation environnementale. (Photo : Shutterstock)

Les réacteurs de la centrale de Doel, dans le port d’Anvers, ont été modernisés afin de pouvoir fonctionner jusqu’en 2025. Mais la CJUE considère que les travaux auraient dû être précédés d’une évaluation environnementale. (Photo : Shutterstock)

La Belgique n’aurait pas dû allonger la durée de vie de ces centrales nucléaires et ordonner des travaux de modernisation sans procéder aux évaluations environnementales requises.

Dans un arrêt rendu lundi, la Cour de justice de l’UE pointe la prolongation de la durée de vie des deux centrales nucléaires qui devaient initialement cesser de produire de l’électricité en 2015 d’après un calendrier établi en 2003.

Fin juin 2015, le Parlement belge a accordé 10 années supplémentaires aux réacteurs nucléaires 1 et 2 de la centrale nucléaire de Doel, assortissant cette prolongation de travaux d’envergure afin de les moderniser et de garantir le respect des normes de sécurité pour un montant de 700 millions d’euros.

Une mesure prise à la veille de la conférence sur le climat de Paris (COP21) et qui avait suscité un tollé parmi les associations de défense de l’environnement en Belgique, dénonçant le choix d’investir dans le nucléaire en parallèle au développement des énergies renouvelables.

[Le projet de modernisation] doit être considéré comme étant d’une ampleur comparable, en termes de risques d’incidences environnementales, à celui de la mise en service initiale des centrales.

Cour de justice de l’UE

Les associations Inter-Environnement Wallonie et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen ont saisi la Cour constitutionnelle belge afin d’obtenir l’annulation de cette décision au motif que la prolongation a été adoptée sans évaluation environnementale et sans procédure associant le public, au regard de plusieurs conventions environnementales belges et des directives EIE (concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement), «habitats» et «oiseaux».

La Cour constitutionnelle s’est tournée vers la CJUE afin de savoir si l’adoption d’une loi prolongeant la durée de la production industrielle d’électricité par des centrales nucléaires requiert effectivement des évaluations des incidences sur l’environnement.

La Cour de justice estime que le projet de modernisation et de remise à niveau des deux réacteurs «doit être considéré comme étant d’une ampleur comparable, en termes de risques d'incidences environnementales, à celui de la mise en service initiale des centrales», et, «par conséquent, un tel projet doit impérativement être soumis à l’évaluation de ses incidences environnementales prévue par la directive EIE». En outre, la centrale de Doel étant située à proximité de la frontière avec les Pays-Bas, le projet aurait également dû faire l’objet d’une procédure d’évaluation transfrontière avant l’adoption de la loi de prolongation de la durée de vie.

[La prolongation] peut exceptionnellement être maintenue si ce maintien est justifié par des considérations impérieuses liées à la nécessité d’écarter une menace réelle et grave de rupture de l’approvisionnement en électricité de l’État membre concerné.

Cour de justice de l’UE

La directive «habitats» impose également une évaluation de l’incidence du projet de modernisation sur les sites protégés concernés. S’il s’avère que ces sites risquent d’être affectés, «seule la nécessité d’écarter une menace réelle et grave de rupture de l’approvisionnement en électricité de l’État membre concerné est de nature à constituer une raison de sécurité publique susceptible de justifier sa réalisation, ce qu’il revient à la Cour constitutionnelle de vérifier», considère la Cour.

La Cour n’exige toutefois pas l’arrêt immédiat des réacteurs. «Le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que ces évaluations soient effectuées à titre de régularisation alors que le projet est en cours de réalisation ou même après qu’il a été réalisé», avance-t-elle, posant toutefois deux conditions: «D’une part, que les règles nationales permettant cette régularisation n’offrent pas aux intéressés l’occasion de contourner les règles du droit de l’Union ou de se dispenser de les appliquer et, d’autre part, que les évaluations ainsi effectuées ne portent pas uniquement sur les incidences futures de ce projet pour l’environnement, mais prennent en compte l’ensemble des incidences environnementales survenues depuis la réalisation du projet».

Les juges du Kirchberg indiquent enfin que ces mesures «peuvent exceptionnellement être maintenues si ce maintien est justifié par des considérations impérieuses liées à la nécessité d’écarter une menace réelle et grave de rupture de l’approvisionnement en électricité de l’État membre concerné, à laquelle il ne pourrait être fait face par d’autres moyens et alternatives, notamment dans le cadre du marché intérieur». Un maintien toutefois à durée limitée «au laps de temps strictement nécessaire pour remédier à cette illégalité».

Le gouvernement belge ne s’avoue pas vaincu

Un arrêt accueilli comme une victoire par les associations requérantes. «C’est un précédent important au niveau européen pour tous les pays qui pensent prolonger des centrales», estime Sarah Van Dyck, chargée de mission Énergie au sein de Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen, citée par RTBF. «Mais aussi pour la Belgique, où certains partis pensent encore à prolonger la durée de vie des centrales. C’est la preuve que des décisions sur l’énergie nucléaire ne peuvent plus être prises dans des arrière-chambres politiques, mais qu’il faut un procédé démocratique transparent auquel les citoyens doivent être associés.»

Les associations attendent maintenant l’arrêt de la Cour constitutionnelle belge qui devrait logiquement déclarer illégale la prolongation de la durée de vie de Doel 1 et 2.

«Il appartient désormais à la Cour constitutionnelle belge de trancher la question de l’équilibre entre les exigences légales environnementales et les exigences liées à la sécurité d’approvisionnement du territoire», a commenté lundi la ministre de l’Énergie, Marie-Christine Marghem, citée par RTBF.