Indien et programmeur, le profil type de ceux qui ont obtenu une blue card, ces dix dernières années au Luxembourg. (Photo: Shutterstock)

Indien et programmeur, le profil type de ceux qui ont obtenu une blue card, ces dix dernières années au Luxembourg. (Photo: Shutterstock)

Pour la première fois, en 2021, le nombre de cartes bleues délivrées par les autorités luxembourgeoises à des travailleurs non européens a passé le cap symbolique des 1.000. La législation à venir sera plus conciliante face aux besoins croissants du marché.

Il n’y a pas de problème de carte bleue: quand nous avons une demande, nous l’examinons et si elle remplit tous les critères, nous la validons. Régulièrement sollicité sur le sujet, celui qui était alors ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire, Nicolas Schmit (LSAP), répondait ne voir aucun problème dans l’obtention de ce statut, mis en place en Europe pour recruter des employés hautement qualifiés non européens face à une pénurie de plus en plus manifeste de talents et de possibilités de formation.

Aujourd’hui, le Luxembourg enregistre son plus haut niveau historique de délivrance de cartes bleues. Après une année «Covid» qui a forcément mis un frein au recrutement puisque personne ne pouvait bouger de chez lui et qui fausse légèrement la statistique, 1.006 personnes ont été autorisées à travailler dans une entreprise établie au Luxembourg l’an dernier. Le total se partage entre 653 nouveaux arrivants et 353 renouvellements de carte bleue. Un chiffre ridicule à la fois au regard des 12.000 postes vacants, en fin d’année, sur le marché de l’emploi, mais aussi des 28.858 cartes bleues délivrées en Allemagne fin 2019, des 2.104 cartes en Pologne ou des 2.036 cartes en France.

En dix ans, selon le ministère des Affaires étrangères qui est aux manettes sur le sujet, ces autorisations de travail ont été délivrées à 23,3% d’Indiens, 16,2% d’Américains et 10,5% de Russes, pour ne rester que sur les trois premières nationalités recensées dans les statistiques du ministère.

Salaire supérieur, coût de la vie aussi

Plusieurs phénomènes peuvent expliquer ce chiffre, de la difficulté d’avoir de la visibilité à l’international pour une start-up dans le monde très feutré, plus sûrement, le niveau de salaire à atteindre pour espérer un feu vert de l’immigration. Aujourd’hui, un employeur doit proposer un salaire supérieur à 83.628 euros annuels, soit une fois et demie le salaire annuel brut moyen, ou «seulement» 66.902,40 euros pour une liste de 12 catégories de métiers: mathématiciens, actuaires et statisticiens; analystes systèmes; concepteurs de logiciels; concepteurs de sites internet; programmeurs d’applications; concepteurs et analystes de logiciels; spécialistes de bases de données; administrateurs systèmes; spécialistes réseaux d’ordinateurs; autres (bases de données et réseau).

Si le montant de base a l’air plus élevé que chez nos voisins (56.400 euros en Allemagne, 56.112 en Belgique pour la carte bleue et 43.395 euros pour les «personnels hautement qualifiés» et 53.386 euros en France), ces si désirés travailleurs doivent ensuite pouvoir se loger au pays dignement ou espérer une joyeuse vie personnelle quand ils ne sont pas occupés.

Des besoins plus larges que la tech

Trois catégories de métiers se les partagent quasiment à égalité: les concepteurs et analystes de logiciels et de multimédia (17,3%), les spécialistes des fonctions administratives (17%) et les spécialistes de la finance (16,5%) – poids de la Place oblige.

Ce qui apporte de l’eau au moulin de Michel Beine, professeur d’économie internationale à l’Université du Luxembourg et membre du conseil scientifique d’IDEA, qui , regrettait que cette liste des métiers «favorisés» n’ait pas été actualisée depuis sa publication… en 2015.

«Si ce secteur est sans doute celui souffrant le plus de la pénurie de travailleurs avec les qualifications requises et contribue le plus à la pénurie de qualification au niveau global, il est néanmoins loin d’être le seul connaissant ce phénomène», y explique le professeur. «D’autres secteurs font face à des difficultés de recrutement (…). Des secteurs essentiels pour l’économie luxembourgeoise comme celui de la comptabilité ou de l’audit pour n’en citer que quelques-uns connaissent également des difficultés de recrutement.»

Les remarques de M. Beine s’accompagnent désormais d’un problème qui s’est accru: trouver les candidats dotés des bonnes compétences, surtout dans le domaine technologique face aux grands noms de la technologie «talentovores». 91% des candidats ne postulent pas à une offre parce qu’ils ne pensent pas avoir les bonnes compétences, 42% des entreprises dans la finance et 39% dans le domaine technologique pensent qu’ils ne les ont pas et les recruteurs ne perdent pas le temps sur 87% des profils qu’ils croisent pour cette raison, selon le de Monster, rapport mondial et donc pas centré sur le Luxembourg.

Moins d’exigences dans les années à venir

L’intérêt de s’appuyer sur des rapports globaux est de coller à une compétition mondiale autour des talents, où le Luxembourg peut jouer sur sa qualité de vie, son système de santé (même menacé par la pénurie de personnels soignants), sur la protection de la famille ou les congés payés, tandis que d’autres mettent en place des dispositifs très spécifiques autour de la formation professionnelle continue, de la flexibilité du temps de travail ou encore du télétravail.

Et les employeurs ont intérêt à être convaincant parce que les 28-34 ans sont à la fois les mieux formés et les plus sceptiques, ne dédaignant pas faire du job-snacking avant de décider où s’établir durablement et parfois pas du tout pour des raisons professionnelles.

Trouver la bonne carte bleue est devenu tellement compliqué que l’Union européenne a décidé de revoir son dispositif: baisse de la limite salariale, alignement de l’expérience nécessaire sur le temps nécessaire à obtenir une qualification (surtout dans deux métiers, managers, technologies de l’information et des communications et spécialistes des technologies de l’information et des communications), reconnaissance accrue de l’expérience professionnelle plutôt que du diplôme, obligation de motiver un refus ou encore accélération du processus, pour l’instant fixé à trois mois entre le dépôt complet de la demande et la décision, etc.

Un nouveau projet de loi pour transposer la nouvelle directive européenne est en cours d’élaboration, indique le ministère.