Geoffroy Bazin: «Il faut faire attention à répondre à de nouvelles attentes, comme des services digitaux plus personnalisés.» (Photo: Edouard Olszewski)

Geoffroy Bazin: «Il faut faire attention à répondre à de nouvelles attentes, comme des services digitaux plus personnalisés.» (Photo: Edouard Olszewski)

Passionné de voile, Geoffroy Bazin ne navigue jamais à vue. Neuf mois après avoir pris la succession de Carlo Thill en tant que responsable pays pour BNP Paribas et président du comité exécutif de BGL BNP Paribas, il livre sa première interview. Entre la formation du personnel pour affronter la digitalisation et le développement de nouveaux outils pour mieux assurer les demandes de la clientèle, Geoffroy Bazin partage les grandes lignes du prochain plan stratégique de la banque.

Cette interview est parue dans l’édition d’avril 2019 de . Retrouvez la première partie .

La digitalisation est un processus qu’on ne peut plus esquiver...

.- «C’est certain, d’autant que la conjoncture en Europe se dégrade et que les banques vont devoir continuer à vivre dans un monde de taux d’intérêt bas, et même négatifs. La digitalisation simplifie ou allège des tâches et permet donc des gains de productivité significatifs. Elle permet aussi d’accélérer les ventes et de renforcer le contrôle des risques, elle est donc très importante pour la modernisation.

Mais vis-à-vis du client, il faut faire attention à répondre à de nouvelles attentes, comme des services digitaux plus personnalisés. Par ailleurs, dans les nouveaux usages bancaires, tout n’est pas encore acquis pour tout le monde. Certaines personnes ont toujours besoin de sécurité et de conseils, et cela passe par du contact humain. Il faut donc envisager le bon rythme de développement technologique au niveau des usages digitaux.

Les importants coûts du digital seront-ils un jour transférés vers les clients? Des services deviendront-ils payants pour éponger ces investissements?

«Oui, il le faudra. Car toute entreprise commerciale doit trouver le meilleur tarif par rapport à la valeur qu’elle délivre au client grâce à son produit. Avec l’évolution actuelle des taux d’intérêt, le modèle ancien, où le produit était peu facturé parce que la banque assurait sa marge par la transformation sur les taux d’intérêt à partir de dépôts à court terme et de crédits à moyen terme, est révolu. L’investis­sement réalisé dans les produits digitaux a pour objectif de créer de la valeur pour les clients. L’enjeu est donc, pour nous, de les facturer à leur juste valeur en s’assurant que les clients sont prêts à payer ce prix.

Aujourd’hui, les banques traditionnelles sont en compétition avec les néobanques, qui offrent des prix très faibles mais ne gagnent pas d’argent. Notre objectif est de développer un modèle dans lequel on valorise le prix payé par le client par du service et de la capacité à l’accompagner dans ses projets de vie. Mais il est évidemment important que le client reconnaisse que ce service vaut quelque chose. Pour faire l’analogie avec le secteur automobile, je dirais qu’une banque vend une voiture déjà équipée de nombreuses options de base. Si un client souhaite des options plus spécifiques, haut de gamme, elles lui seront alors facturées.

« Notre force est de pouvoir nous adosser à un groupe comme BNP Paribas qui a investi dans ces développements. » (Photo: Edouard Olszewski)

« Notre force est de pouvoir nous adosser à un groupe comme BNP Paribas qui a investi dans ces développements. » (Photo: Edouard Olszewski)

En matière d’innovation justement, où en êtes-vous dans l’implémentation du paiement instantané?

«C’est effectivement un sujet devenu stratégiquement important dans la mesure où l’espace des paiements n’est plus uniquement réservé aux banques et aux grands consortiums de cartes de crédit, mais il est aussi observé par les fintech et les Gafa. En plus, de nouvelles réglementations nous imposeront bientôt de pouvoir garantir à nos clients qu’un versement sera fait en quelques secondes seulement, grâce à la technologie.

Notre force est de pouvoir nous adosser à un groupe comme BNP Paribas qui a investi dans ces développements. Nous avons donc déployé, au niveau du groupe, une plate-forme qui permettra ces paiements au niveau domestique, mais également pour les paiements transfrontaliers. Or, c’est à ce niveau que réside l’intérêt pour le Luxembourg, qui est au centre de nombreux flux cross-border. En ce qui concerne les paiements domestiques, la masse critique est faible.

Concrètement, à partir de quand le paiement instantané sera-t-il possible au Luxembourg?

«Nous allons nous équiper de cette plate-forme informatique dans le courant de cette année. Elle sera d’abord utilisée pour les paiements standard au niveau des entreprises qui sont soumises à d’importants volumes de transactions. Dans un second temps, nous l’utiliserons pour le paiement instantané, pour des petits montants de l’ordre de quelques centaines d’euros. Le jour où nous aurons le business case, les usages et l’intérêt de promouvoir cela auprès de nos clients, nous pourrons utiliser la plate-forme.

Le monde bancaire propose de plus en plus de services que l’on n’attend pas d’une banque. Entendez-vous diversifier vos activités au-delà du secteur bancaire?

«Effectivement. C’est important, car dans la nouvelle économie de partage qui se développe, beaucoup de nouveaux usages se dessinent. En se penchant sur le vaste dossier de la mobilité, on s’aperçoit qu’une banque peut offrir de nombreux services. On pourrait, par exemple, imaginer devenir un acteur crédible au niveau d’une plate-forme de covoiturage sur laquelle les navetteurs se partageraient les frais pour éviter de prendre la voiture seuls.

Affirmer encore plus notre leadership en tant qu’entreprise engagée en matière de développement durable.
Geoffroy Bazin

Geoffroy BazinPrésidentBGL BNP Paribas

Avoir une banque adossée à ce type de service peut apporter un plus. Je ne dis pas que ça nous rapportera beaucoup d’argent, mais nous gagnerons de la connexion avec nos clients, de la confiance et, d’une certaine manière, nous reviendrons à notre métier traditionnel qui est de conseiller avec confiance, d’être le banquier partenaire le plus crédible dans le coaching financier. Évidemment, nous n’y sommes pas encore. Par contre, depuis l’an dernier, nous proposons déjà du leasing automobile à nos clients privés à travers notre réseau , la société de leasing automobile du groupe BNP Paribas.

Actuellement, on parle beaucoup, dans le monde bancaire, de finance durable...

«Effectivement, et nous voulons, nous aussi, affirmer encore plus notre leadership en tant qu’entreprise engagée en matière de développement durable. Nous avons, au niveau du groupe, déjà développé pas mal d’initiatives, mais qui restent peu connues. Nous sommes, par exemple, un des leaders mondiaux dans l’émission de green bonds. Au Luxembourg, nous travaillons notre stratégie, afin d’être positionnés, d’ici la fin de l’année, comme acteur-clé, aux côtés de l’État luxembourgeois et d’autres partenaires, sur des sujets tels que la transition énergétique, le financement et l’accompagnement de l’entrepreneuriat social, la jeunesse, et l’économie solidaire.

Nous sommes notamment à l’origine de la société Microlux, un établissement de microcrédits installé au Luxembourg. Ensuite, nous voulons accompagner tous nos clients en les équipant de produits de finance durable. Nous en avons déjà à destination des entreprises, des clients privés et des investisseurs. Mais il faut encore faire preuve de pédagogie pour mieux les faire connaître. Nous allons d’ailleurs en lancer d’autres en cours d’année pour bien montrer que nous ne restons pas au niveau du discours.

 Ce n’est donc pas nouveau, le secteur bancaire s’est continuellement transformé, que ce soit à la suite de crises ou d’évolutions informatiques majeures.
Geoffroy Bazin

Geoffroy BazinPrésidentBGL BNP Paribas

En Belgique, on a récemment parlé de la perte de 2.000 emplois sur deux ans et de la fermeture d’un certain nombre d’agences chez BNP Paribas Fortis. Une situation de crise que pourrait aussi vivre la filiale luxembourgeoise?

«Notre situation n’est pas comparable, mais, dans l’ensemble, les banques n’échappent pas au besoin de transformation. La digitalisation permet de faire beaucoup de gains de productivité, elle est incontournable, et nous anticipons qu’elle entraînera des réductions significatives du besoin de postes à l’avenir, comme l’informatisation l’a fait dans le passé. Ce n’est donc pas nouveau, le secteur bancaire s’est continuellement transformé, que ce soit à la suite de crises ou d’évolutions informatiques majeures. Il faut donc se préparer, anticiper le fait que l’on aura, à l’avenir, besoin de moins de personnel. C’est notre rôle en tant qu’employeur responsable de faire en sorte d’organiser cela dans la durée. C’est aussi pour cela que nous investissons pour permettre à nos collaborateurs de comprendre la révolution digitale et pour les préparer aux emplois de demain.

Selon les premières informations données par le groupe, l’activité retail s’est bien comportée en 2018. Vous pouvez donner un peu plus de détails sur l’année écoulée?

«Nos chiffres officiels ne seront publiés que début avril, mais je peux déjà dire que 2018 a connu une activité dynamique sur le plan commercial. La collecte des dépôts auprès de la clientèle des particuliers et des entreprises a augmenté de quasiment 12%, un rythme très soutenu, donc. En matière de crédits, les besoins en financements immobiliers les ont fait augmenter de 8%. Enfin, dans l’activité de banque privée, nous avons collecté plus de 2 milliards d’euros d’actifs auprès de notre clientèle internationale, ce qui constitue un record pour nous. À côté de cela, la mise en œuvre des réglementations, le contrôle des risques et la digitalisation demandent toujours d’importants efforts financiers.

Que faut-il attendre de 2019?

«Sauf crise majeure, nous voyons l’exercice en cours dans la continuité de 2018. L’activité économique devrait rester soutenue au Luxembourg. Les besoins restent importants au niveau des entreprises en matière de services bancaires et nous envisageons les mêmes conquêtes de volume en matière de dépôts et crédits.»