Jean-Yves Leborgne, Portfolio manager, ING Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch / Archives Maison Moderne)

Jean-Yves Leborgne, Portfolio manager, ING Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch / Archives Maison Moderne)

Bien que les banques centrales soient en partie responsables du beau rallye boursier que nous connaissons en 2019, leur politique accommodante a aussi eu un impact certain sur le marché des taux, en particulier en zone euro où le rendement à 10 ans du Bund allemand est passé en territoire négatif depuis quelques mois maintenant.

Petit retour en arrière pour expliquer ce phénomène: inquiète depuis plusieurs mois de la détérioration de certains indicateurs macroéconomiques dans un contexte d’incertitude sur le Brexit et de tensions commerciales, la BCE avait commencé à préparer les marchés financiers à de nouvelles mesures pour soutenir la croissance et l’inflation en zone euro.

La réunion du 12 septembre dernier est venue confirmer ce que nous attendions: Mario Draghi a délivré tout ce qu’il pouvait malgré des oppositions de plus en plus fortes, notamment de certains gouverneurs des banques nationales comme Jens Weidmann (Allemagne) ou Klaas Knot (Pays-Bas). Une telle opposition publique est assez rare pour la BCE et démontre bien que la situation est complexe.

Le fait que la BCE ait vraiment mis tous les instruments possibles sur la table envoie un signal fort: elle fait tout ce qui est en son pouvoir. Le caractère «infini» du QE signifie simplement que les taux resteront bas aussi longtemps que nécessaire, soit pendant une très longue période.

S’il y a des doutes sur les perspectives futures de l’économie américaine, ils ne viennent pas tant d’une pression baissière sur les taux d’intérêt, mais plutôt des incertitudes entourant la guerre commerciale avec la Chine.
Jean-Yves Leborgne

Jean-Yves LeborgnePortfolio managerING Luxembourg

Du côté américain, on voit Mr Trump faire pression sur la Réserve fédérale pour qu’elle abaisse encore plus ses taux directeurs alors que le taux de chômage est au plus bas et que les sociétés du S&P 500 empruntent déjà à tour de bras, non pas pour investir, mais pour racheter leurs propres actions et en faire monter le prix. S’il y a des doutes sur les perspectives futures de l’économie américaine, ils ne viennent pas tant d’une pression baissière sur les taux d’intérêt, mais plutôt des incertitudes entourant la guerre commerciale avec la Chine. Une inversion plus prononcée de la courbe des taux n’est donc pas à exclure, ce qui en soit reflète la situation actuelle, mais aussi les craintes d’une récession en 2020.

Mais revenons quelques instants sur les agissements de la BCE. Mr Draghi a fortement accru la pression exercée sur les gouvernements nationaux pour qu’ils stimulent l’économie via des politiques budgétaires expansionnistes. Pour la première fois depuis des années, les mots de la déclaration introductive sur la politique fiscale ont été modifiés, appelant plus ouvertement les gouvernements qui disposent d’un espace budgétaire à agir de manière efficace et durable. Il est désormais clair que la politique monétaire est arrivée au bout de sa capacité à relancer la croissance et l’inflation en zone euro et que c’est dorénavant au tour des États de prendre le relais en menant des politiques de relance. Si la France a déjà largement ouvert les vannes de la baisse des impôts pour les ménages, il y a peu de chance pour que l’Allemagne se sépare de sa politique budgétaire orthodoxe.

L’incapacité des politiques à sceller des accords et des Banques centrales à être plus efficaces a des conséquences de plus en plus tangibles sur l’économie réelle.
Jean-Yves Leborgne

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Bref, l’incapacité des politiques à sceller des accords et des banques centrales à être plus efficaces a des conséquences de plus en plus tangibles sur l’économie réelle. Les marchés financiers n’aiment pas cette situation, et les investisseurs se tournent de plus en plus vers des obligations d’États et autres actifs sûrs comme l’or. Tout ceci donne un contexte exécrable en matière de taux. Et à vrai dire, cela ne risque pas de s’arranger: les rendements risquent de rester au plus bas encore un long moment, il suffit de voir le 30 ans américain flirter avec la barre des 2% pour s’en rendre compte. Cela donne très peu d’espoir de retrouver des rendements «normaux» à brève ou même moyenne échéance.

Le ralentissement cyclique continue aussi de peser sur les taux de change. À moins de retrouver un peu d’optimisme en matière de tensions commerciales, les devises exposées au commerce international (dont l’euro) continueront de souffrir. À moins d’un comportement très agressif de la Fed, une fourchette de taux EUR/USD de 1,05 à 1,10 ne nous semble pas improbable d’ici la fin de l’année.