Thomas Veit, portfolio manager chez Edmond de Rothschild (Europe). (Photo: Maison Moderne)

Thomas Veit, portfolio manager chez Edmond de Rothschild (Europe). (Photo: Maison Moderne)

Le virage récent et brutal des banques centrales américaine (Fed) et européenne (BCE) est sujet à interprétation. Si l’hypothèse d’une pause est la plus probable, il subsiste le risque que les banques centrales se soient montrées trop sensibles à l’évolution des marchés financiers en fin d’année dernière.

La question se pose à l’heure où les deux principales banques centrales viennent de prendre une soudaine nouvelle orientation dans leur politique monétaire. Une réponse catégorique serait présomptueuse au vu des incertitudes planant sur l’économie mondiale: guerre commerciale sino-américaine, Brexit, élections européennes et craintes sur la croissance.

Pourtant, avec un cycle économique débuté il y a près de 10 ans, il est aujourd’hui primordial d’analyser ces développements, car ils devraient donner le ton des prochains semestres sur les marchés financiers.

Un revirement des deux côtés de l’Atlantique

En deux ans, la Fed a remonté ses taux d’intérêt directeurs à sept reprises, les portant dans une fourchette comprise entre 2,25% et 2,50%. De plus, elle est engagée depuis plus d’un an à réduire la taille de son bilan en ne rachetant qu’une partie des obligations arrivant à échéance. En fin d’année dernière, la Fed tablait encore sur 2 à 3 hausses de taux supplémentaires en 2019.

De son côté, la BCE a stoppé son programme d’achat d’actifs (plus généralement connu sous le nom de «quantitative easing» ou «QE») en décembre et programmait une première remontée de ses taux directeurs après l’été 2019. On semblait alors se diriger vers une année 2019 marquée par un début de réalignement des politiques monétaires américaine et européenne avec un retrait progressif des mesures accommodantes en zone euro.

Jerome Powell a annoncé que les membres de la Réserve fédérale avaient décidé de faire une pause dans la remontée des taux.

Thomas Veitportfolio managerEdmond de Rothschild (Europe)

Ce début d’année a rebattu les cartes. En effet, lors de son discours en janvier, Jerome Powell, le président de la Fed, a annoncé que les membres de la Réserve fédérale avaient décidé de faire une pause dans la remontée des taux, en estimant que les niveaux actuels correspondaient aux pressions inflationnistes à moyen terme. De plus, il n’a pas exclu de stopper la réduction du bilan au cours de l’année, ce qui permettrait à la Fed d’injecter d’éventuelles nouvelles liquidités dans le marché obligataire souverain américain.

Ces annonces accommodantes viennent d’être suivies par la BCE qui, à son tour, a pris une série de mesures d’assouplissement monétaire. D’une part, elle prolonge la période sans remontée de taux jusqu’au moins la fin de l’année 2019. D’autre part, elle lance une nouvelle salve de prêts à taux préférentiel pour les banques européennes, plus connue sous le nom de TLTRO («targeted longer-term refinancing operations»). Les banques pourront ainsi, sous certaines conditions, contracter des emprunts sur deux ans à taux 0% auprès de la BCE entre septembre 2019 et mars 2021.

Ces revirements soudains des politiques monétaires interviennent dans un contexte de baisse des prévisions de croissances mondiales et dans un climat géopolitique tendu.

Qui des marchés ou des banques centrales influent sur l’autre?

Ces dernières années, les banques centrales ont pris garde de ne pas surprendre les marchés et de toujours «prévenir avant d’agir». L’instauration de la «forward guidance» par la BCE en est un parfait exemple. Cet instrument de politique monétaire a pour but d’influencer les anticipations du marché quant à l’évolution des taux. Ceci a permis aux marchés financiers de s’adapter en douceur aux différentes décisions.

Cependant, il semble justifié de se demander si cette fois, ce ne sont pas les marchés financiers qui ont influencé le comportement des banquiers centraux. En effet, le fléchissement des chiffres économiques (notamment de la croissance du PIB et de confiance en l’économie) a débuté au premier trimestre 2018 en Europe et entre le deuxième et troisième trimestre aux États-Unis.

Les marchés actions européens et américains ont reculé de 10% à 15% au dernier trimestre et le marché des obligations High Yield entre 3,50% et 5% sur la même période.

Thomas Veitportfolio managerEdmond de Rothschild (Europe)

Le Brexit est un sujet en discussion depuis près de trois ans. Quant à la guerre commerciale, elle a été lancée par Donald Trump l’année dernière. Cela n’a pas empêché les banques centrales de conserver le même ton durant toute l’année 2018. En parallèle, toutes ces nouvelles ont fait réagir les marchés financiers assez brutalement en fin d’année dernière. Les marchés actions européens et américains ont reculé de 10% à 15% au dernier trimestre et le marché des obligations High Yield entre 3,50% et 5% sur la même période. A contrario, les rendements sur les bons d’État allemand (déjà extrêmement bas) et américain ont chuté de 50bps et 60bps, sous l’effet d’une recherche de sécurité de la part des investisseurs.

Les indicateurs économiques et les problèmes géopolitiques ne se sont pas plus dégradés sur le début d’année, mais les banques centrales ont suivi les craintes exprimées par les marchés financiers pour stopper la normalisation (pour la Fed) et même ajouter de la souplesse pour la BCE (à peine trois mois après avoir stoppé son QE).

Rebond des marchés ou nouveau risque?

À ce stade, ce revirement soudain doit être interprété comme une réaction temporaire à une contraction de l’économie et à la pression des marchés financiers. Il semble prématuré de parler de fin de normalisation ou de nouvelle période d’assouplissement prolongée.

Cela a permis aux marchés à risque de rebondir sur le début d’année, mais il ne faut pas négliger les impacts d’un tel agissement, en termes de perte potentielle de crédibilité pour les banques centrales. En effet, une amélioration des indicateurs économiques pourrait les contraindre à un nouveau virage à 180 degrés. Ce manque de prévisibilité pourrait contribuer à accroître la volatilité sur les marchés financiers.