Quels challenges pose la crise du coronavirus à une institution comme la CSSF?
– «Face aux risques que la pandémie de coronavirus (Covid-19) représente pour le secteur financier, la CSSF protège ses agents, maintient ses missions de surveillance et use de toute la flexibilité que lui confère le cadre réglementaire européen pour accompagner les acteurs de la place financière. Le Covid-19 est tout d’abord et avant tout une tragédie humaine.
Cependant, ces trois derniers mois ont démontré que la propagation du virus avait des conséquences importantes sur l’économie et, par effet de contagion, sur les marchés financiers, les banques, fonds d’investissement et autres entités surveillées.
Nous supportons le secteur financier par un dialogue très actif et par le biais de communiqués de presse et de questions-réponses qui sont mis à jour aussi souvent que nécessaire. La CSSF se coordonne aussi avec les autorités européennes telles que la Banque centrale européenne (BCE), l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) et l’Autorité bancaire européenne (ABE), mais également avec d’autres institutions luxembourgeoises, comme la Banque centrale du Luxembourg (BCL).
Comment la CSSF a-t-elle pu poursuivre son activité au quotidien?
«Pour pouvoir assurer la continuité de notre surveillance, mais également l’accompagnement des entités surveillées, nous avons naturellement dû en premier lieu songer à la santé de nos propres agents. La CSSF a ainsi activé son BCP (business continuity plan).
Nous avons mis en place une stratégie de réintégration prudente et progressive de nos locaux à partir du 25 mai, avec une présence d’environ 11% les trois premières semaines.
Dans le cadre de sa stratégie de modernisation (CSSF 4.0), la CSSF a effectué des investissements technologiques importants, et ses agents ont la possibilité de travailler et d’interagir avec les entités surveillées à distance, par des canaux digitaux et sécurisés. Ainsi, nous sommes très rapidement passés en mode off-site. Pendant la période de confinement, moins de 2% des agents de la CSSF se trouvaient sur site, sans que cela n’interfère sur notre mode opératoire.
Comment s’organise maintenant la reprise du travail en présentiel dans les bureaux de la CSSF?
«Nous avons mis en place une stratégie de réintégration prudente et progressive de nos locaux à partir du 25 mai, avec une présence d’environ 11% les trois premières semaines.
De nombreuses dispositions ont été prises afin d’assurer la protection de la santé de nos agents: plan de désinfection global de nos bâtiments et infrastructures techniques, mise à disposition de masques réutilisables, de gel hydroalcoolique, de gants à usage unique, ou encore de lingettes désinfectantes; mise en place de mesures de distanciation sociale et communication via visuels et livret; identification des personnes vulnérables et vivant avec des personnes vulnérables (qui évidemment ne retournent pas au bureau pour l’instant).
Nous pourrions théoriquement accueillir sur site à peu près la moitié de notre effectif. Mais nous le ferons de manière progressive en donnant la priorité aux fonctions essentielles et en mettant en place un système de rotation. Pour l’instant, le télétravail reste privilégié, même si la norme à la CSSF, comme partout ailleurs, est pour l’instant le travail sur site.
Quels impacts la crise du Covid-19 a-t-elle pu avoir sur les exigences de la CSSF en matière de reporting et sur les contrôles?
«Nous avons émis un certain nombre de recommandations au secteur et allégé une partie de la charge administrative en prolongeant, par exemple, les délais de présentation des rapports réglementaires. Cela a été fait parallèlement à l’action législative, ainsi qu’à l’action des autorités de l’UE.
Il faut se rendre compte que nous surveillons directement presque 50.000 emplois directs, qui représentent avec leur famille à peu près 150.000 personnes.
De manière plus générale, nous sommes restés en contact avec tous les acteurs de la place financière, et notamment les associations professionnelles, mais aussi le ministère des Finances. Toutes les réunions avec les entités surveillées ont été maintenues par conférence audio ou vidéo, et nous avons traité les dossiers en cours et les nouveaux dossiers normalement.
Quel bilan tirez-vous de la mise au télétravail généralisée des entreprises du secteur financier?
«Même si personne n’était préparé spécifiquement à une pandémie, la grande majorité des professionnels avaient mis en œuvre des BCP qui permettaient généralement le travail à distance. Le secteur financier était donc globalement bien préparé et a évité jusqu’à présent des problèmes opérationnels majeurs. Nous avons été très vigilants dès le début de la crise, et nous avons encouragé le télétravail et la mise en œuvre des BCP dès début mars, donc deux semaines avant le début du confinement.
Il faut se rendre compte que nous surveillons directement presque 50.000 emplois directs, qui représentent avec leur famille à peu près 150.000 personnes. En l’absence de discipline, le secteur pourrait facilement être une source de problèmes majeurs. D’après notre analyse, le secteur a été discipliné, mais nous restons vigilants, et avons préconisé le télétravail au-delà du 25 mai.
Cette crise va-t-elle accélérer certaines transformations du secteur financier?
«Je vois trois impacts principaux, à plus long terme. Premièrement, le télétravail sera amené à se développer dans le secteur. Cela aura un impact positif sur les coûts, car les entités supervisées auront besoin de moins d’espaces de bureaux, ainsi que sur l’environnement, en raison de la diminution du trafic. Sans oublier l’impact positif sur l’équilibre vie privée/vie professionnelle des collaborateurs concernés. Deuxièmement, la crise va également accélérer la digitalisation.
Contrairement à la situation de 2008/2009, la place financière n’est pas à l’origine de cette crise.
Ce sera positif pour notre écosystème, notamment pour les start-up, les fintech et les prestataires de services spécialisés. Troisièmement, la mise en œuvre du Green Deal de la Commission européenne sera plus que jamais d’actualité. Le financement sera public, mais aussi privé, d’où l’importance de la finance durable. Il faudra rapidement finaliser les travaux en matière de taxonomie et de transparence, notamment par la mise en place d’un reporting non financier. Nous soutiendrons pleinement cette évolution.
Craignez-vous des faillites dans le secteur?
«Contrairement à la situation de 2008/2009, la place financière n’est pas à l’origine de cette crise. Il s’agit d’abord d’une crise sanitaire, qui est peu à peu devenue une crise économique. Nous ne connaîtrons l’étendue de cette crise que dans quelques mois, au plus tôt au troisième trimestre de cette année. Bien que le secteur financier soit mieux équipé qu’il y a 10 ans pour faire face aux situations d’urgence – et ce, grâce à un cadre juridique plus solide et plus performant –, il n’est pas immunisé.
Aujourd’hui, nous avons une situation qui n’est pas dramatique, tant au niveau de la rentabilité des acteurs de la place financière que des bourses. Ceci étant, la situation pourrait se dégrader. Si, par exemple, de nombreuses entreprises n’étaient pas capables de rembourser leurs emprunts, cela pourrait affecter la solvabilité des banques, et la crise économique pourrait se transformer en crise financière. Cette crise serait alors plus violente que celle de 2008/2009 en raison de la crise de l’économie réelle sous-jacente.
Nous avons aujourd’hui une réglementation et un cadre institutionnel qui sont beaucoup plus robustes qu’avant la crise.
est-il un soulagement?
«Ce n’est ni soulagement ni agacement. Nous n’avons pas découvert le thème de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme avec l’annonce de l’évaluation du Grand-Duché par le Gafi. C’est un sujet sur lequel nous nous sommes beaucoup investis depuis des années et pour lequel nous continuerons de nous investir après la visite du Gafi. Nous étions prêts à les accueillir en 2020; nous le serons également en 2021.
Dans des périodes de crise comme le coronavirus, l’évolution de la surveillance du secteur financier peut-elle permettre de minimiser les dégâts?
«Une crise ne peut jamais être évitée. La prise de risque est quelque chose d’inhérent au secteur financier. Sans risque, il n’y a pas de finance. Mais beaucoup de choses ont changé depuis 2008. Nous avons aujourd’hui une réglementation et un cadre institutionnel qui sont beaucoup plus robustes qu’avant la crise. Le G20 a modifié la gouvernance de la réglementation internationale, en créant le FSB (Financial Stability Board) en avril 2009.
Au niveau européen, nous avons également assisté au changement de l’infrastructure de la surveillance au niveau bancaire depuis novembre 2014. Un transfert de compétences vers la BCE a été décidé: environ 130 grands groupes bancaires sont désormais surveillés directement par la BCE. Et les autres banques sont surveillées au niveau national dans la zone euro, pour le compte de la BCE. Comme déjà souligné, une éventuelle contagion de la crise économique aux banques dépendra de l’évolution du Covid-19, d’une éventuelle deuxième ou troisième vague d’infections et de la reprise économique. Et il est trop tôt pour se prononcer.
Le cadre réglementaire est-il désormais abouti?
«Il a beaucoup évolué. Au niveau bancaire, nous avons aujourd’hui une union bancaire avec trois piliers: la surveillance centrale (SSM, Single Supervisory Mechanism) au niveau de la BCE, la résolution en cas de défaillance, et la garantie européenne des dépôts (qui n’est pas encore achevée). De plus, le cadre de Bâle III a donné lieu à l’établissement de nouveaux ratios de solvabilité et de liquidité. C’est cependant encore un chantier en cours.
Après la CRD IV (Capital Requirements Directive) et CRR (Capital Requirements Regulation), nous nous sommes mis d’accord sur CRD V et CRR II l’an dernier, pour une application en août 2021. Au final, grâce à ces évolutions réglementaires, les banques disposent de davantage de capital et de liquidités, qui plus est de meilleure qualité, qu’avant la crise. Les banques luxembourgeoises disposent quant à elles de niveaux de liquidité largement supérieurs aux exigences minima.»
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