Convictions – Natasha Lepage s’est engagée en mars dernier dans le mouvement. (Photo: Anthony Dehez)

Convictions – Natasha Lepage s’est engagée en mars dernier dans le mouvement. (Photo: Anthony Dehez)

Elle est l’un des visages de la lutte contre la crise climatique. Natasha Lepage a 16 ans et milite au sein de Youth for Climate Luxembourg. Elle compte bien faire entendre la voix de toute une génération qui veut garder l’espoir d’une issue viable pour notre planète. Entretien sans filet.

Comment a eu lieu votre prise de conscience écologique?

Natasha Lepage. – «Le travail de mes parents m’a amenée à vivre plusieurs années en Inde, en Indonésie et au Sénégal. En Inde, après une journée à 38 degrés, une vague de froid provoquée par un cyclone a fait chuter les températures nocturnes à 6 degrés. Ce n’était pas du tout habituel durant cette période. Des gens sont morts de froid cette nuit-là. Ce fut un choc.

Vous êtes ensuite revenue au Luxembourg...

«À la fin de l’été 2011. J’ai alors constaté que la population du pays, et de l’Europe en général, n’a pas conscience que sa manière de vivre au quotidien, comme prendre la voiture chaque matin, a une conséquence sur le dérèglement climatique. Elle n’en voit pas les effets. Mais d’autres pays les subissent directement. Ce sont eux qui font face à des catastrophes naturelles ou à des vagues de chaleur. J’ai alors pris conscience de l’injustice qui peut exister entre les privilégiés qui consomment et ceux qui en subissent les conséquences.

Puis vous avez commencé à militer...

«Au début, je me suis crue seule et sans possibilité d’agir. J’essayais d’être active au niveau de la famille et de l’école. Puis j’ai constaté qu’il y avait un mouvement au Luxembourg avec de nombreux membres. Je suivais ce que Greta Thunberg faisait, mais je n’avais aucune idée que des jeunes se réunissaient ici aussi. Je me suis engagée au sein de Youth for Climate en mars dernier. , je me suis dit que c’était de ça que j’avais besoin.

Il y a tellement de priorités. Tout est lié. On ne peut pas décider de se focaliser sur une chose, puis oublier le reste.
Natasha Lepage

Natasha LepageYouth for Climate Luxembourg

Nous avons tous rejoint ce mouvement avec des raisons différentes, mais pour la même cause: on veut faire en sorte que la crise climatique soit mise sur un plan aussi important que ce qu’elle est dans la réalité, avec le niveau d’urgence qu’elle réclame. Or, pour l’instant, la population ne parle que de réchauffement climatique, pas encore de crise.

Quelle est votre revendication prioritaire?

«C’est très difficile à dire. Il y a tellement de priorités. Tout est lié. On ne peut pas décider de se focaliser sur une chose, puis oublier le reste.

Avec Youth for Climate, nous avons décidé, en nous référant à ce que disent les scientifiques – parce que nous-mêmes ne savons pas, nous nous informons auprès des scientifiques –, qu’arrêter le recours aux énergies fossiles est un des points les plus importants.

Mais si arrêter le recours aux énergies fossiles est très important, ce n’est pas pour autant suffisant. Il faut aussi agir sur les autres aspects. Un système de recyclage des déchets plus adapté, c’est également essentiel. C’est une multitude de points aussi importants les uns que les autres.

Mais par où commencer? Comment agir concrètement?

«Le plus urgent est de mobiliser les gens afin qu’ils prennent conscience de la crise climatique. On croit que tout le monde est convaincu, mais pas du tout. Les gens voient les informations dans l’actualité, mais n’en tirent pas les conséquences. L’être humain est un peu inconséquent de ce point de vue: il voit les faits, mais n’y croit pas.

Chacun doit avoir son propre point de départ. Ce n’est pas à nous de dire aux gens ce qu’ils doivent faire.
Natasha Lepage

Natasha LepageYouth for Climate Luxembourg

Donc l’essentiel pour nous est de mobiliser les gens, d’une part pour qu’ils changent leurs pratiques, d’autre part pour pouvoir nous tourner du côté du gouvernement en leur montrant que ce n’est pas seulement une minorité, mais tout le monde qui réclame ce changement.

Qu’est-ce que vous conseillez aux gens pour agir?

«Chacun doit avoir son propre point de départ. Ce n’est pas à nous de dire aux gens ce qu’ils doivent faire. Certains commencent en ­modifiant leur mode de vie. D’autres considèrent que ce n’est pas assez, qu’il doit y avoir une action gouvernementale et qu’il est nécessaire de faire pression sur nos dirigeants. Si une personne décide que devenir végane est sa manière d’agir pour l’environnement, je la soutiens. Chacun doit pouvoir agir de la manière dont il le souhaite, selon ses possibilités.

Comment avez-vous modifié votre propre mode de vie?

«Je suis encore mineure, donc j’habite chez mes parents et je reste dépendante d’eux. Mais je les conseille: nous essayons d’acheter bio, plus local, sans emballage plastique. Malheureusement, ce n’est pas tout le temps possible: ces produits ont un prix élevé, les emballages plastiques subsistent, et parfois, il n’y a pas d’alternatives.

J’ai aussi décidé de consommer moins de viande. Mais ce n’est pas tout le temps évident. À l’école, il y a parfois des plats végétariens. Mais il m’est arrivé de refuser de la viande et de me retrouver avec un simple bol de riz. Avec des alternatives, à un prix raisonnable, il est certain que la population changera son mode de consommation.

On sait très bien que nombreux sont ceux qui prétendent vouloir un changement sans jamais agir par la suite.
Natasha Lepage

Natasha LepageYouth for Climate Luxembourg

À l’avenir, envisagez-vous d’avoir une voiture?

«Je ne sais pas si avoir mon permis en vaut la peine. D’un côté, la voiture pollue, mais de l’autre, il faut rester libre de se déplacer. Pour le moment, je prends le train ou le bus. Mais pour me rendre à certains endroits, je dois demander à mes parents de me conduire, parce qu’il n’existe pas d’autres moyens. Si on veut un modèle de société sans voitures, il faudra davantage de transports publics. Mais le gros problème, au Luxembourg, est qu’une grande part des ménages possèdent plus de trois voitures. Est-ce normal? Est-ce le cas dans les autres pays? Seulement parce qu’ici, les gens peuvent se le permettre...

Faites-vous toujours confiance aux politiciens?

«Je n’ai pas le choix: ils ont mon futur entre leurs mains. Les décisions qu’ils vont prendre maintenant auront des conséquences sur ce à quoi va ressembler mon avenir.

Mais ce n’est pas une relation de confiance. Nous devons rester mobilisés pour leur faire comprendre ce que nous voulons. Sinon, rien ne va se passer. La plupart des politiciens ont passé la moitié de leur vie. Celle-ci est derrière eux et ils agissent dans leur intérêt, en mettant davantage la priorité sur ce qu’ils font pour la période actuelle que sur ce qu’ils vont laisser comme pays aux générations suivantes.

Certains partis vous semblent-ils plus crédibles que d’autres?

«Au sein de Youth for Climate, nous sommes apolitiques. Lors des élections européennes, nous n’avions pas dit pour quel parti voter, mais de voter pour le parti qui avait pour priorité la crise climatique. Nous nous réjouissons que, désormais, différents partis mettent le climat en numéro un. Mais ils doivent agir. On sait très bien que nombreux sont ceux qui prétendent vouloir un changement sans jamais agir par la suite.

Si les générations passées avaient agi, je n’aurais pas besoin d’aller dans la rue.
Natasha Lepage

Natasha LepageYouth for Climate Luxembourg

Attendez-vous encore quelque chose de la part de sommets internationaux comme le G20?

«Nos dirigeants pourraient décider de tout changer et d’agir en faveur d’une transition écologique s’ils étaient convaincus par le nombre de personnes descendues dans les rues. Mais comme après chaque grande conférence de ces dernières années, il est aussi possible que rien ne se passe.

Avez-vous envie de faire de la politique?

«Je ne sais pas. Ce n’est pas mon rêve ­d’enfance. Honnêtement, quand je vois la façon de faire des politiciens actuels, ça ne me donne pas envie de travailler avec eux. Cela dit, les jeunes d’aujourd’hui deviendront les politiciens de demain.

En voulez-vous aux générations passées?

«Sincèrement, oui. Si les générations passées avaient agi, je n’aurais pas besoin d’aller dans la rue. Des gens nous reprochent de sécher les cours. Mais je ne le fais pas parce que j’en ai envie. Je préfèrerais ne pas avoir à le faire. Je préfèrerais pouvoir penser à mon avenir et pas aux conséquences de la crise climatique. Donc oui, j’en veux aux générations passées.

Et vis-à-vis de vos parents?

«Ma mère, qui approche de la cinquantaine, se sent coupable. Elle sait que si elle et sa génération avaient fait quelque chose, ma génération et moi n’aurions pas besoin de nous préoccuper de cela et de descendre dans la rue.»

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