Vincent Hein: «Toutes nos idées formulées visent à l’amélioration de la prospérité, de la compétitivité, de l’attractivité ou du vivre-ensemble au Luxembourg». (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne/archives)

Vincent Hein: «Toutes nos idées formulées visent à l’amélioration de la prospérité, de la compétitivité, de l’attractivité ou du vivre-ensemble au Luxembourg». (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne/archives)

En dix ans, la Fondation Idea a multiplié les idées. Mais ont-elles toutes trouvé leur cible? Pour son directeur, Vincent Hein, l’impact qu’a pu avoir la fondation est réel, mais dur à quantifier. Un fait d’armes? Faire du 9 mai, Journée de l’Europe, un jour férié. Une idée maison traduite dans la loi.

La réaction première, il y a dix ans, lors de la création de la Fondation Idea, a été: qu’est-ce que c’est que ce «machin» que lance la Chambre de commerce et le patronat? Toute l’habilité de ce «machin» a été de conquérir, année après année, dans les médias, auprès de l’opinion publique et des instances politiques, cette image d’indépendance et d’agitateur d’idées qu’on lui accole désormais.

Identifier les défis

Dès le départ, la Fondation Idea s’est positionnée comme un laboratoire d’idées dont l’objectif, «en toute autonomie et en toute transparence», insiste son directeur, Vincent Hein, était d’alimenter le débat public, «de mettre en avant et de trouver des solutions aux grands défis du pays. D’oser des diagnostics et aussi de faire des propositions.»

Pour ce qui est des diagnostics, Idea a visé juste. «Notre première publication était une analyse de la croissance au Luxembourg. Si on regarde aujourd’hui les conclusions de cette étude – toujours disponible sur le site d’Idea –, on se rend compte à quel point les défis d’alors sont encore aujourd’hui des sujets qui nous animent beaucoup. Quasiment aucun n’est périmé.» Ce qui vaut pour la croissance vaut aussi pour d’autres sujets, comme la compétitivité, l’attractivité, le nation branding ou encore les cessions d’entreprises. Cent fois sur le métier…

«Nous voulons identifier les grands défis qui se posent au pays. Ceux qui sont sous-débattus et que l’on essaie de thématiser dans le débat public et ceux qui sont surdébattus, mais pas toujours sous les bons angles du point de vue de l’analyse critique et de la capacité à générer des solutions. Nous voulons également produire des connaissances économiques nouvelles – et c’est notre différence majeure avec le monde scientifique – en engageant dessus un débat public. L’alimentation du débat public est vraiment quelque chose de central dans notre manière de travailler.»

Lois «made in Idea»

Pour ce faire, la Fondation Idea a multiplié les formats ces dernières années. Pour résumer, en 10 ans, Idea, ce sont 549 publications et 1.266 articles de presse. Pour rester dans le concret, quelques idées du think tank ont trouvé une traduction dans la loi. C’est le cas de la journée du 9 mai– la Journée de l’Europe – qui est devenue un jour férié. L’idée avait été lancée par Michel-Edouard Ruben, un historique de la fondation en 2018. En 2018 toujours, Idea a lancé l’idée d’un «coup de pouce de 100 euros» au salaire social minimum. Le législateur accordera une hausse de 106 euros. En 2018, année faste, l’idée d’adapter le régime fiscal applicable aux impatriés est lancée. Et transcrite dans la loi en 2021. En 2020, Idea suggère de durcir les conditions d’utilisation des chèques-repas pour soutenir le secteur de l’horeca. Cela sera introduit dans la loi. Tout comme sera réintroduit le transfert des plus-values. D’autres propositions devraient également trouver leur chemin dans les tables de la loi. Comme la mobilisation de l’instrument fiscal pour décourager la conservation improductive des biens. Idée de 2016 reprise dans l’accord de coalition du gouvernement Frieden.

De l’intuition à la pratique

Mais cela n’est que «la partie émergée de l’iceberg» pour Vincent Hein. D’autres propositions – «des intuitions» –, sans avoir à être transcrites dans la loi, sont devenues des pratiques concrètes. Ce fut le cas pour les recommandations contenues dans le document de travail de Michel-Edouard Ruben publié au début de la crise du Covid, «la santé d’abord, l’économie ensuite». Autres recommandations ayant donné lieu à des actions concrètes: la multiplication des bureaux décentralisés loués par des entreprises pour que leurs salariés y travaillent occasionnellement ou plus fréquemment. Idée millésimée 2016.

D’autres propositions enfin continuent d’animer les débats. Les partis politiques se sont approprié certaines idées qui ont figuré en bonne place dans les programmes. Vincent Hein donne les exemples suivants: l’objectif de codéveloppement transfrontalier (LSAP); faire valoir le droit à l’expérimentation dans l’aménagement du territoire transfrontalier (déi Gréng); intégrer la Grande Région dans la planification territoriale (CSV); l’impôt sur la détention des terrains non construits (CSV), le renforcement de la coordination entre l’aménagement du territoire et les communes (LSAP) et le soutien des fusions et de la collaboration intercommunale régionale (DP). «Nous avons fait 50 propositions pour la campagne de 2023. La plupart des groupes, des fractions des sensibilités représentées à la Chambre des députés nous ont reçus. Certaines nous ont même reçus plusieurs fois.»

Et il y a ces deux sujet-clés que sont le logement et les pensions.

Côté logement, en 2019, la fondation publiait le très prophétique «Logement au Luxembourg: le pire serait-il à venir?». On y est. «Nous avons été les premiers à poser officiellement la question de savoir si la politique du logement devait avoir pour seule fonction de faciliter l’accès à la propriété.»

Côté réforme des régimes de pensions luxembourgeois, Idea publiait en 2017 «un projet quasiment livré clés en main». À l’époque, elle notait que le régime était généreux et qu’il ne corrigeait pas les inégalités qui existent sur le marché du travail. On y trouvait deux séries de chiffres savoureux: le rendement du système des retraites – comprendre le rapport entre les cotisations versées et les prestations reçues oscillait en fonction des revenus du travail des retraités entre 6,45% et 7,45%. De quoi faire rougir les banques. Et ce d’autant plus que le délai de récupération – comprendre le point où on a reçu ce que l’on a cotisé – oscillait entre 68 mois et 79 mois.

Crédibilité urbi et orbi

Dans tout cela, ce qui rend le plus fier Vincent Hein, c’est la crédibilité acquise – «une crédibilité que nous devons entretenir au quotidien». «Nous sommes de plus en plus sollicités quand il y a de grandes initiatives de réflexion stratégique au pays. Luxembourg Stratégie nous avait contactés pour faire partie d’un comité scientifique, Luxembourg in Transition, sa grande initiative sur l’aménagement du territoire. Nous avons été également sollicités par la ministre de la Santé et de la Sécurité sociale sur la réforme des pensions. Et nous recevons beaucoup de demandes régulières émanant des décideurs politiques et des fonctionnaires pour débattre de sujets d’actualité.»

Cette crédibilité dépasse les frontières du Luxembourg, dans la Grande Région et au-delà. «Il y a de plus en plus d’experts qui nous contactent pour nous demander notre point de vue sur un sujet et, en retour, lorsque nous sollicitons des experts extérieurs, nous n’essuyons plus de refus.»

Dans les six mois à venir, Idea va se pencher de nouveau sur la question des pensions avec une série de quatre études. Les deux premières posent des diagnostics quant à la viabilité du système et au coût d’une réforme selon quelle soit faite tôt ou tard. Une troisième étude listera une trentaine de pistes de réformes qui pourraient exister en s’inspirant d’autres systèmes en Europe. Et enfin, Idea terminera avec une quatrième étude qui proposera un ou plusieurs scénarios de réforme. «Il y a vraiment plusieurs combinaisons possibles dans ce domaine.»

«L’objectif n’est pas d’avoir raison, mais d’alimenter le débat. Toutes nos idées formulées visent à l’amélioration de la prospérité, de la compétitivité, de l’attractivité ou du vivre-ensemble au Luxembourg. Et surtout, sur tous ces sujets, nous aimerions être challengés», conclut Vincent Hein, pour qui il y a de la place au Luxembourg pour d’autres think tanks, et donc plus d’émulation intellectuelle.