Le phénomène frontalier n’est pas nouveau, mais il évolue. C’est même une nécessité, ressort-il de la dernière analyse publiée par le directeur de la Fondation Idea, Vincent Hein. du phénomène frontalier, qui pèse toujours aussi fortement dans le modèle luxembourgeois, bien qu’il montre quelques signes de ralentissement.
Les frontaliers, 228.000 selon les dernières données du Statec, ne peuvent plus être considérés «comme une variable d’ajustement» selon Idea. D’abord parce qu’ils sont surreprésentés dans les créations d’emplois (53% des créations d’emplois entre mars 2019 et mars 2024). «On en dénombre désormais 14.700 alors qu’ils étaient moins de 10.000 en 2019», souligne l’étude. Depuis 2022, sur 15.100 nouveaux salariés, 7.700 étaient des frontaliers. À l’inverse, les résidents représentaient 47% des créations d’emplois, une part plus faible.
De plus, certains secteurs d’activité sont particulièrement dépendants des non-résidents, comme l’horeca, les TIC, l’administration publique et la santé, où les frontaliers représentent 30% de l’emploi. Et même dans le contexte conjoncturel marqué par un ralentissement de l’emploi, les frontaliers étaient encore surreprésentés. Ils ont été moins impactés et cela même dans les secteurs d’activité qui ont le plus perdu d’emplois: la construction, l’industrie et le commerce. Dans ces trois branches d’activité, ils représentent 63% de l’emploi, mais ne représentent que 28% du recul de l’emploi.
Dans son décryptage, Vincent Hein avance plusieurs hypothèses qui pourraient expliquer ce phénomène: un niveau d’ancienneté moyen plus élevé chez les frontaliers, des départs prématurés de néo-immigrés ou encore des déménagements de résidents actifs. À cela s’ajoute le «bilan démographique de l’année 2023 (qui) fait par ailleurs ressortir un ralentissement de la croissance de la population» et une baisse du solde migratoire.
L’analyse de la Fondation Idea met aussi en avant des signes d’essoufflement du phénomène frontalier: les salariés venant d’Allemagne et de Belgique sont en léger recul (respectivement -0,3% et -0,1% au deuxième trimestre), pointe Idea, qui suggère d’étudier plus en profondeur les facteurs qui pourraient expliquer cette baisse. Une donnée ne change pas: les frontaliers français restent les plus nombreux et «représentent 51% des créations nettes d’emplois sur cette dernière année».
Des éléments stratégiques selon Idea
Partant de ce constat et face à la multitude d’enjeux auxquels est confronté le marché du travail (faible productivité du travail, difficulté à se loger, vieillissement de la population…), Vincent Hein suggère une stratégie en neuf points, pour «garantir la disponibilité et l’attractivité des travailleurs frontaliers dans les années à venir»:
1. Considérer les politiques d’activation et de formation des pays/régions limitrophes comme des leviers pour améliorer la situation sur le marché du travail luxembourgeois et réfléchir à des moyens d’y participer plus activement.
2. Se méfier du discours tendant à relativiser l’importance du télétravail dans les préférences des actifs/entreprises.
3. Étudier les causes de la dynamique baissière du nombre de frontaliers résidant en Allemagne et en Belgique.
4. Considérer que la multiplication des départs à la retraite dans les prochaines années va, à nombre de frontaliers constants, requérir davantage de recrutements.
5. Mieux connaître les besoins (et l’offre) de logement dans l’ensemble du «Grand Luxembourg».
6. Affiner les connaissances des dynamiques démographiques dans les territoires limitrophes, un modèle de projection intégré et partagé devenant de plus en plus indispensable.
7. Ne pas oublier les besoins en main-d’œuvre des économies limitrophes dans les projections et l’élaboration de projets de coopération.
8. Évaluer les risques et opportunités des modèles «d’offshorisation» de certaines activités économiques luxembourgeoises.
9. Tout faire pour garantir l’ouverture des frontières dans un contexte européen tendu sur la question.