Pour la Fondation Idea dirigée par Vincent Hein, le climat général est peu propice aux investissements dont le niveau recule depuis deux ans. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Pour la Fondation Idea dirigée par Vincent Hein, le climat général est peu propice aux investissements dont le niveau recule depuis deux ans. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Le consensus des membres de la Fondation Idea est que la croissance ne sera que de 0,7% pour 2024 et de 1,8% pour 2025. Ce qui inquiète la Fondation, c’est un marché de l’emploi qui se grippe et une croissance qui devient structurellement baissière, ce qui menace le modèle économique luxembourgeois.

Le modèle économique luxembourgeois pourra-t-il passer le cap d’une deuxième récession en quatre ans? Le directeur de la Fondation Idea, Vincent Hein, ne veut pas se montrer pessimiste. Mais pour lui, l’actuelle situation de polycrise met en avant les «angles morts» du système: l’incapacité de créer des logements en nombre suffisant, les effets du vieillissement démographique, l’assèchement progressif du bassin d’emploi transfrontalier ou encore la saturation des infrastructures.

«Tout cela met le système sous pression. À paramètres inchangés, en particulier sans nouveaux gains de productivité, des limites à la croissance luxembourgeoise existent», estime-t-il. «Alors qu’il est désormais possible d’affirmer que l’économie luxembourgeoise a bien résisté aux soubresauts inédits de la pandémie de Covid grâce à une politique gouvernementale volontariste («Et kascht, wat et kascht» – «Ça coûte ce que ça coûte») et à un positionnement sectoriel favorable, le nouveau cycle qui s’est ouvert depuis 2022 avec la guerre en Ukraine apparaît au fil des bulletins économiques comme un épisode plus difficile à encaisser. Avec la récession de 2023, le Grand-Duché a quitté le podium des insolents growth performers de la zone euro en période de crise, le bilan des quatre années écoulées le classant autour de la huitième place sur 20 en matière de croissance économique», poursuit-il. Pour lui, le nouveau gouvernement s’installe dans une séquence où se cumulent ralentissement, incertitudes, défis à relever et attentes à satisfaire et où les marges de manœuvre diminuent.

L’atteinte de l’objectif gouvernemental de voir achever jusqu’à 6.000 logements par an au Luxembourg s’éloigne.
Vincent Hein

Vincent HeinDirecteurFondation Idea

Trois secteurs économiques souffrent plus particulièrement: la finance, la logistique et la construction. En revanche, l’IT, l’horeca, l’industrie et les secteurs marchands ont bien évolué. Mais pas assez cependant pour servir de relais aux deux locomotives de la croissance que sont la place financière et le secteur de la construction.

La contribution du secteur financier dans la valeur ajoutée brute de l’économie recule de 7%. «La dégradation des activités de la place financière se reflète dans le fort repli des exportations nettes du Luxembourg en 2023 et le climat général est également peu propice aux investissements dont le niveau recule depuis deux ans», analyse la Fondation Idea.

Dans le secteur du logement dont la part dans la valeur ajoutée brute de l’économie recule de 7,7%, «l’activité est en berne». Avec un recul du pouvoir d’achat immobilier de l’ordre de 30%, la baisse de la demande (solvable) en logements s’est accompagnée d’une sensible diminution des transactions dans l’ancien de l’ordre de 36% et dans le neuf (-70%). Chute également du nombre d’autorisations de bâtir délivrées, passant à 4.558 en 2023 contre 4.709 en 2022. Enfin, en 2023, 1.600 emplois ont été perdus. Autant de chiffres mis bout à bout qui laissent à penser aux économistes de la Fondation que «l’atteinte de l’objectif gouvernemental de voir achever jusqu’à 6.000 logements par an au Luxembourg s’éloigne».

Croissance, emploi et productivité en déclin

Si le Statec table sur une croissance du PIB de 2% dans son scénario principal – hypothèse reprise dans le projet de budget déposé le 8 mars dernier –, les membres de la Fondation Idea entrevoient pour 2024 une croissance de 0,7% et de 1,8% en 2025. Moins que les difficultés conjoncturelles, c’est l’affirmation de tendances devenant structurelles qui l’inquiète: une croissance structurellement baissière et un marché de l’emploi qui se grippe.

Sur le marché de l’emploi, 2023 se caractérise par une baisse significative de la dynamique de création d’emploi – 8.300 emplois créés en 2023 contre 15.200 créés en 2022 – et une progression du chômage. Le Statec voit pour 2024 une hausse de l’emploi de 1,3% – «un niveau historiquement faible» – et une progression du chômage de 5,9%. Les heures totales travaillées ont également quelque peu décroché de l’évolution de l’emploi, dans un contexte d’absentéisme croissant, de progression du temps partiel et d’extension des congés légaux, relève la Fondation Idea.

En parallèle, un défi majeur apparaît pour le pays sur le plan macroéconomique avec une baisse de la croissance tendancielle (passée de +4,8% par an entre 1995 et 2007 à +2,3% par an depuis 2010) couplée à un tassement de la productivité apparente du travail et à un dérapage des coûts salariaux qui ont décollé en 2022-2023 dans le sillage des indexations, creusant l’écart déjà grandissant entre salaires (+36% depuis 2016), inflation (+19,8%) et productivité (+19%).

«L’ensemble de ces évolutions gagnerait à être observé de plus près dans une perspective de maintien de la compétitivité du Luxembourg à moyen et long terme, mais également de la soutenabilité des finances publiques et des systèmes de protection sociale», conclu Vincent Hein.

Le modèle luxembourgeois menacé

Toutes ces évolutions devraient impacter les comptes publics.

0,7% de déficit public en 2023, 1,2% en 2024 et en 2025 et des déficits probables jusqu’en 2027: Si ce déficit peut paraître raisonnable au regard de la situation européenne, la trajectoire de moyen terme, qui table toujours sur un déficit de -0,9% du PIB en 2027, est une anomalie pour un pays qui n’a jamais connu plus de deux soldes budgétaires négatifs successifs en trente ans et s’inscrit dans un contexte où les dépenses publiques ont sensiblement augmenté en comparaison à la richesse nationale ces dernières années», commente Jean-Baptiste Nivet, économiste senior.

«Face au vieillissement de la population et une conjoncture moins favorable sur le marché de l’emploi, les excédents de la Sécurité sociale devraient s’affaiblir jusqu’en 2027 où le système sera en déséquilibre», poursuit Jean-Baptiste Nivet.

«La possibilité que le ralentissement économique actuel se poursuive pour des facteurs structurels, sans réels gains de productivité dans l’économie et l’administration publique, mettrait un frein à un modèle économique, mais aussi des finances publiques, basé depuis plusieurs décennies sur l’attractivité et la dynamique du pays. Reste à savoir s’il faudra aller chercher cette croissance de la productivité «avec les dents»», conclu Vincent Hein.