L’économie luxembourgeoise ne se résume pas uniquement à sa place financière. Le pays mise aussi sur une diversification de son économie, avec le développement de secteurs d’activités qui nécessitent des spécialistes de haut niveau. Mais si «le Grand-Duché a toujours pu compter et compte encore aujourd’hui sur son attractivité, tant pour la main-d’œuvre que les capitaux, pour faire croitre ces secteurs émergents, il devra davantage faire reposer sa compétitivité sur les talents internes», souligne la Fondation Idea dans son dernier document de travail.
Combien de talents seront nécessaires pour mener cette diversification économique avec succès? Aucune donnée précise n’a été définie selon Idea, mais une récente étude de PwC indique par exemple que dans le domaine de la Data Science, «le manque de compétences est le principal frein à l’intégration des outils d’IA par les entreprises luxembourgeoises. L’Union européenne estime dans sa boussole numérique que 20 millions de spécialistes de l’informatique seront nécessaires d’ici 2030. C’est l’équivalent de 30.000 experts en la matière pour le marché du travail luxembourgeois, un chiffre qu’il faudra fortement dépasser pour devenir une économie leader sur les technologies des données», prévoit la Fondation.
Alors, parmi les leviers qui pourraient être utilisés pour renforcer cette compétitivité et capter les talents internes au pays, Idea mise sur les bourses d’études, «qui sont des outils efficaces pour favoriser ce mouvement, dans un contexte national d’une forte mobilité étudiante, d’où la nécessité d’innover dans ce domaine», décrit l’économiste Jean-Baptise Nivet, auteur du rapport qui propose la création de trois nouvelles bourses d’études, spécifiquement dans le domaine des Stim.
Ces nouveaux dispositifs se concentreraient, dans l’idéal, sur les deux premiers cycles de l’enseignement supérieur et n’auraient pas vocation à se substituer à ceux déjà existants, mais plutôt «d’alimenter le Luxembourg en talents susceptibles de faire la différence sur les spécialisations économiques choisies au niveau national». Un système de bourse luxembourgeois est en effet déjà en place, reposant en grande partie sur l’aide financière de l’État aux études supérieures, en plus de quelques bourses spécifiques publiques «encore peu nombreuses». «Il est ainsi proposé d’innover en mettant en place de nouveaux programmes d’aides à l’enseignement supérieur qui visent explicitement à soutenir les étudiants ayant choisi les domaines Stim pour leurs études. Ils sont aujourd’hui relativement peu nombreux dans le pays, la plupart partant à l’étranger pour étudier», est-il noté dans le rapport.
Une bourse ranking Stim
Ce nouveau système reposerait sur l’instauration d’un bonus pour les étudiants des matières scientifiques. Plus précisément, «le Luxembourg pourrait mettre en place un bonus pour les étudiants bénéficiaires d’une aide aux études supérieures qui respecteraient la double condition de suivre un cursus du premier ou deuxième cycle universitaire du domaine des Stim et d’être accepté dans une université du top 150 de l’un des trois principaux classements mondiaux des universités. Ce bonus consisterait dans le doublement du plafond des aides et prêts pour frais d’inscription, soit de 3.800 euros à 7.600 euros, et un supplément de 20% du total des bourses versées par l’État, ce qui prend mécaniquement en compte les critères sociaux et familiaux dans le montant du bonus alloué», projette la Fondation Idea. L’objectif de cette bourse serait ainsi de favoriser le développement de futurs talents internes. De tels dispositifs existent déjà dans d’autres pays, comme en Roumanie où les étudiants en sciences, ingénierie et mathématiques peuvent bénéficier d’un bonus de 33% sur le montant de leurs bourses allouées.
Une bourse d’excellence grand-ducale
S’inspirant des modèles allemands et français, Idea propose la mise en place d’une bourse au mérite, afin de soutenir les jeunes ayant obtenu d’excellents résultats. «Les autres critères d’attribution de cette bourse seraient le projet universitaire du candidat ainsi que le lien entre ce projet et la prospérité future du Luxembourg. L’apport possible à la diversification économique serait une partie de ce dernier critère sans être indispensable pour la sélection du candidat. Enfin, des qualités telles que la motivation, la créativité ou la maturité des candidats, ainsi que leurs contributions extrascolaires, seraient prises en compte lors des entretiens, dernière étape de sélection. Cette bourse d’excellence pourrait, dans un premier temps, être attribuée à une vingtaine d’étudiants du premier cycle universitaire par an, avec une diversification des profils et des lycées de provenance. Le nombre maximum de lycéens sélectionnés par établissement devrait être de quatre. Comme c’est le cas ailleurs dans le monde, les candidats pourraient être présentés par leur lycée qui ferait ainsi une présélection de quatre élèves. Cette bourse d’excellence serait d’un montant de 2.000 euros par semestre», propose Idea.
Une aide aux études supérieures bilatérale
Le troisième système de bourse proposé par Idea, une aide aux études supérieures bilatérale, reposerait sur des partenariats entre des institutions d’enseignement. L’Uni a déjà développé de tels partenariat, avec l’université de Fudan (Chine) ou celle de Montréal par exemple, «toutefois, au sein d’un pays où plus de 80% des résidents vont étudier à l’étranger, les seuls partenariats de l’Université du Luxembourg sont insuffisants pour former les talents nécessaires à la diversification économique», pointe Idea. La Fondation suggère alors de développer des partenariats entre le Luxembourg et des programmes universitaires du premier et du deuxième cycle de l’enseignement supérieur qui reposeraient sur la création d’une bourse d’études à destination des étudiants qui auraient un lien avec le Luxembourg.
«L’aide aux études supérieures bilatérale financerait tout ou partie des frais d’inscriptions ainsi que le budget nécessaire à la vie courante de l’étudiant dans la ville de destination. Les cursus visés devraient être de haut niveau et porteraient, par exemple, sur l’informatique et les sciences du numérique, les sciences des données ou la biologie moléculaire, soit des savoirs de pointe liés aux spécialisations économiques ambitionnées par le Luxembourg», détaille Jean-Baptiste Nivet. Cette aide pourrait être financée par un partenariat public/privé, comme en Allemagne, pour un montant de 300 euros par mois financés donc à 50% par l’État luxembourgeois, et à 50% par un partenaire privé.
Et s’ils ne reviennent pas…?
Mais si la suggestion d’Idea semble pertinente au regard des enjeux de diversification économique dans laquelle le Luxembourg veut s’engager, un écueil demeure: encore faut-il que les étudiants reviennent au Luxembourg une fois diplômés. Dans le dernier rapport du ministère sur les chiffres clés de l’enseignement supérieur, environ 15.000 résidents étudiaient dans un autre pays que le Luxembourg sur l’année scolaire 2022-2023. Et seuls 12,4% des étudiants bénéficiaires d’aides aux études supérieures étaient inscrits dans un établissement luxembourgeois pour l’année scolaire 2022-2023, soit la quatrième destination après la France (27,6%), la Belgique (22,9%) et l’Allemagne (15,9%). S’agissant des seuls bénéficiaires résidents, la part des inscrits au Luxembourg passe à 19,2%, derrière l’Allemagne (21,7%) et devant la Belgique (17,1%) et la France (11,7%).
«La mobilité particulièrement élevée des Luxembourgeois est à prendre en compte pour le développement de politiques de formation des talents de la diversification économique», insiste Jean-Baptiste Nivet. Dans ce cas, l’économiste préconise de transformer partiellement certaines de ces bourses en prêts pour les étudiants qui, une fois diplômés, feraient le choix de ne pas revenir au Luxembourg. Ou, plus radical encore: «Que toutes les aides proposées prennent la forme de prêts, prêts qui deviendraient non-remboursables après une période de travail au Luxembourg, par exemple trois ans.»
Pour l’heure, aucune de ces bourses n’est effective, mais la Fondation espère que la sphère politique se saisira de cette suggestion. «Il s’agit bien de propositions de la part d’Idea. À voir comment elles seront reprises dans les mois et années à venir par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche», nous indique Jean-Baptiste Nivet.