Si le développement durable devient mainstream dans le monde de la finance, le greenwashing progresse également, principalement à cause d’un manque d’harmonisation des principes d’investissements. Ce contre quoi luttent les PRI. (Photo: Shutterstock)

Si le développement durable devient mainstream dans le monde de la finance, le greenwashing progresse également, principalement à cause d’un manque d’harmonisation des principes d’investissements. Ce contre quoi luttent les PRI. (Photo: Shutterstock)

Alors qu’un nouveau CEO arrive en la personne de David Atkin, qui remplace Fiona Reynolds, Marie Luchet, la directrice pour l’Europe continentale des PRI, nous parle des défis que doit relever le réseau, et notamment de l’enjeu de la data en matière d’investissement durable.

Les PRI (pour «Principes pour l’investissement responsable», également appelés UNPRI) sont un réseau international d’investisseurs soutenu par les Nations unies et fondé en 2006. offrant un menu d’actions possibles pour intégrer les questions environnementales, sociales et de gouvernance d’entreprise dans les pratiques d’investissement à travers toutes les classes d’actifs, en tenant compte de la stratégie d’investissement et des ressources propres à chaque organisation signataire.

David Atkin en prendra la direction ce 10 décembre. Cet Australien a exercé des deux côtés du miroir, un temps en siégeant au conseil d’administration du réseau, puis en tant que directeur général de plusieurs fonds de pension australiens. «C’est important pour une organisation comme la nôtre qui se targue d’être une organisation qui vient aider, tout en les challengeant, les investisseurs», explique Marie Luchet.

Aujourd’hui, le monde de la finance responsable évolue très vite et devient mainstream dans la plupart des classes d’actifs.
Marie Luchet

Marie Luchet directrice pour l’Europe continentalePRI

«Aujourd’hui, le monde de la finance responsable évolue très vite et devient mainstream dans la plupart des classes d’actifs», analyse Marie Luchet. «Nous travaillons sur l’intégration des enjeux ESG dans toutes les classes d’actifs et on voit que ce qui n’était jusqu’à présent considéré que comme un petit plus à part s’intègre désormais dans les pratiques des investisseurs à la fois en termes de gestion du risque, de prise de décision et d’opportunités.» Mais toute médaille a son revers, insiste-t-elle: «Le risque de greenwashing croît dans les mêmes proportions.»

«C’est un enjeu pour l’industrie pour laquelle, en Europe en tout cas, on essaie de gérer cela avec des réglementations comme la taxonomie ou la SFDR, mais aussi pour nous en tant qu’organisation.»

92 signataires au Luxembourg

Le réseau PRI revendique aujourd’hui 4.375 investisseurs membres et signataires venant de 85 pays, dont 92 signataires au Luxembourg, 5 investisseurs institutionnels, 78 gestionnaires d’actifs et 9 prestataires de services. «Nous sommes ce qu’il convient d’appeler une ‘big tent organisation’, c’est-à-dire que l’on va accueillir aussi bien des investisseurs qui sont au début de leurs pratiques en matière d’investissements responsables que d’autres qui en sont à un stade bien plus avancé. Et notre vocation est de faire avancer tout le monde, quel que soit son niveau, et donc d’avoir des outils et des services pour tous et de faire en sorte, une fois que les investisseurs nous ont rejoints, qu’ils agissent et qu’ils ne s’endorment pas sur le fait qu’ils aient signé les PRI. Je ne vous cacherais pas que c’est complexe.»

Quand les investisseurs signent – et donc adhèrent – aux PRI, ils ont trois obligations: payer leur cotisation, faire un reporting annuel et implémenter des critères minimums.

Obligatoire, le reporting est déclaratif. «En général, de par mon expérience, les investisseurs ont plutôt tendance à faire ce qu’ils disent, même si évidemment une tendance à l’enjolivement existe.»

Les critères minimums sont plus contraignants. «Lorsqu’un investisseur nous rejoint, il a deux ans pour instaurer une politique d’investissement responsable qui couvre la majorité de ses encours sous gestion; nommer une personne qui sera en charge de cette politique et instaurer une supervision de cette politique au niveau exécutif.»

Une réflexion est en cours au sein des PRI pour renforcer ces critères, et notamment passer l’actuel délai d’implémentation de deux à un an. «Mais tout cela doit être fait en accord avec nos investisseurs, que nous devons pousser et accompagner. Pas question de les perdre en route.»

Le défi des datas

Aujourd’hui, l’enjeu majeur pour continuer d’avancer est celui des données, insiste Marie Luchet. «L’accès aux données, mais aussi leur fiabilité et leur vérification.»

«C’est un enjeu qui concerne tout le monde. Mais comme il n’existe pas de standard commun en matière d’investissement responsable – et sachant que les PRI sont une organisation mondiale –, il est difficile d’avancer. Et même s’il existe des initiatives réglementaires qui poussent vers cette standardisation – notamment en Europe –, c’est la diversité des interprétations qui prévaut à la fois au niveau des entreprises et au niveau des investisseurs.»

Pour illustrer les différences culturelles qui peuvent exister entre les États-Unis et l’Europe, la question de la diversité est un très bon exemple.

De l’autre côté de l’Atlantique, la diversité – «dans tous ses aspects, hommes, femmes, mais aussi race, handicap, etc.» – est quelque chose de stratégique dans les décisions d’investissement, alors qu’en Europe continentale, c’est la question de la taxonomie – autrement dit la question de la classification des activités économiques afin de déterminer lesquelles peuvent être considérées durables ou vertes – qui est au cœur des débats. Des débats qui peuvent être houleux, comme en matière d’énergie nucléaire, que les Français considèrent comme une technologie indispensable pour lutter contre le réchauffement climatique, alors que pour d’autres, dont les Allemands, le nucléaire n’est absolument pas responsable.

De telles divergences peuvent se retrouver dans le domaine de la gouvernance. «En France et en Europe du Sud, vous avez pas mal d’entreprises avec un actionnariat familial, ce qui est tout à fait accepté. Chez les Anglo-Saxons, la séparation directeur général-président est fondamentale et l’indépendance des directeurs aussi.»

«Des dénominateurs communs arrivent cependant à se dégager, principalement quand il s’agit de données quantitatives, qui servent de base à des décisions d’investissements.»

Renforcer la qualité des reportings sera la mission prioritaire de David Atkin, le nouveau CEO des PRI. «La qualité du reporting des PRI doit se renforcer, correspondre aux attentes des investisseurs, et trouver sa place au sein de tous les écosystèmes de reporting existant à l’heure actuelle. C’est notre enjeu principal en interne, et il y a beaucoup de choses à faire», insiste Marie Luchet.