Christophe Braun, de Capital Group, explique que le fait d’être devenu père pendant le confinement de l’année dernière et d’avoir dû dire adieu à un autre membre de sa famille pendant la pandémie lui a montré l’importance de pouvoir «dézoomer». (Photo: Capital Group/Illustration: Maison Moderne)

Christophe Braun, de Capital Group, explique que le fait d’être devenu père pendant le confinement de l’année dernière et d’avoir dû dire adieu à un autre membre de sa famille pendant la pandémie lui a montré l’importance de pouvoir «dézoomer». (Photo: Capital Group/Illustration: Maison Moderne)

Christophe Braun partage son expérience et celle de sa famille pendant la pandémie dans cet épisode de «Lessons learned», la série Delano au cours de laquelle un cadre financier partage ce qu’il a retiré d’une expérience particulièrement difficile de sa carrière.

Christophe Braun est directeur des investissements au bureau luxembourgeois de Capital Group, une société de fonds qui gère environ 2.600 milliards de dollars d’actifs dans le monde. Il affirme que consacrer du temps à sa famille et réduire ses déplacements professionnels ont amélioré ses performances au travail.

Aaron Grunwald: Quelle expérience souhaitez-vous partager aujourd’hui?

Christophe Braun. – «Comme pour beaucoup, la pandémie a eu, à bien des égards, un impact très profond sur ma vie personnelle et sur ma vie professionnelle. Elle a certainement remis en question, tout d’abord, mon équilibre entre les deux. Je pense qu’il y a eu beaucoup de défis, mais celui-ci primait parce que tout à coup vous étiez obligé de travailler depuis chez vous. Je suis quelqu’un qui a besoin de s’éloigner du travail, sinon je travaille 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. C’est ce que dirait ma femme et je dois bien le reconnaître. Mais lorsque j’ai soudainement dû non seulement ramener du travail à la maison, mais aussi y installer un bureau, cela a été très difficile. J’ai dû me remettre en question: quand et où faire une distinction claire entre vie privée et vie professionnelle lorsque tant de choses sont en jeu? Où tracer la ligne? Quel est le bon équilibre?

Personnellement, ces deux dernières années ont été de véritables montagnes russes sur le plan émotionnel, car je suis devenu père. Notre fille est née lors du premier confinement, à la fin du mois d’avril.

Votre premier enfant?

«Oui.

Vous avez donc pris votre congé paternité pendant le confinement?

«Oui… et pendant la pandémie, ma belle-mère a, pour la troisième fois, eu un cancer du sein. Un cancer en phase terminale. Ce qui rend encore plus complexe tout ce que nous avons traversé. Il y avait le confinement, il y avait la pandémie, c’était une personne à risque, alors que faire? Combien de mois lui restait-il à vivre? Nous voulions qu’elle puisse passer ce temps avec sa petite-fille.

Et pour compliquer encore les choses, nous avions entrepris des rénovations au moment où j’ai quitté Londres, où je travaillais, pour rentrer auprès de ma famille au Luxembourg. Nous avons rénové la maison pendant deux ans et les travaux étaient censés être terminés avant la naissance de ma fille, en mars. Évidemment, la pandémie a causé toute une série de retards. Nous nous étions engagés à louer l’appartement que nous occupions à un autre couple qui attendait un enfant et nous ne voulions pas les laisser vivre dans la rue.

Nous avons donc décidé d’emménager chez ma belle-mère et nous avons créé une bulle pour prendre soin d’elle. Elle pouvait passer du temps avec sa petite-fille et avec ma femme. Mon beau-frère est également revenu. Il a abandonné son emploi d’ingénieur en Indonésie et est rentré à la maison pour passer du temps avec sa mère. Son père, lui, était décédé d’un cancer il y a quatre ans. Je travaillais donc à domicile et j’essayais d’aider ma famille, de m’occuper de ma belle-mère, et de faire face à une énorme crise mondiale.

Vous savez, les marchés financiers ont chuté de 30% à 40%, une correction record. Vous le savez aussi, travailler à la maison isole. C’est ce que vous ressentez, c’est juste vous contre la pandémie, vous contre le monde. C’est là qu’on fait un zoom avant. Je pense que c’est ce que j’essaie de faire, ma leçon de vie, c’est zoomer et dézoomer.

Alors vous vous sentez très petit, très fragile. Et c’est comme les montagnes russes: vous devriez être heureux, vous êtes devenu père, vous avez ce potentiel devant vous, souriant, et puis la vie est si cruelle et vous devez commencer à dire au revoir aux gens. Et vous devez rester concentré, parce que vous avez un travail, vous avez d’énormes responsabilités. Vous gérez de l’argent, vous devez parler à des clients, et vous avez envie de leur dire ‘restez calme, ayez une vision à long terme’. Mais vous devez vous le rappeler et continuer à croire en ce que vous dites à vous-même et aux autres.

Nous n’avons toujours pas surmonté certains de ces événements, mais ma fille a maintenant 18-19 mois, elle court partout, elle est en bonne santé…

L’année dernière, j’ai décidé de prendre une série de congés parentaux pour permettre à ma femme de reprendre sa carrière en douceur, et pour passer plus de temps avec ma fille. Et je peux vous dire que cela a été une grande expérience personnellement, mais aussi professionnellement. Et c’est là que je veux dire que j’ai réalisé que l’interconnexion entre votre vie professionnelle et votre vie privée est beaucoup plus importante que je ne l’avais personnellement jamais pensé. Ainsi, prendre soin de soi sur le plan personnel signifie également prendre soin de soi sur le plan professionnel.

Comment l’avez-vous compris?

«Je pense que la pandémie m’a montré que l’on peut facilement se perdre dans les détails, se laisser submerger en se concentrant uniquement sur les problèmes, en faisant un zoom avant trop important et en ne faisant pas un zoom arrière suffisant. Et c’est ce qui s’est passé pendant la pandémie. Beaucoup de gens se concentraient trop sur la pandémie et perdaient de vue la situation dans son ensemble. Et je pense que la pandémie m’a aidé à me concentrer davantage sur la vue d’ensemble des choses et à accorder plus d’attention à la stratégie ou aux objectifs à long terme que j’ai en tant que professionnel de l’investissement.

Si vous me demandez quelle est ma perspective d’ensemble, je pense que je veux réduire les voyages d’affaires, et c’est ce que j’essaie de faire. Et ce n’est pas seulement parce que je suis père, bien que cela ait probablement un impact sur ce point. Ce n’est pas seulement à cause de l’ESG et de la COP26 à Glasgow. Je pense que la pandémie a montré quelque chose que nous savions tous depuis très longtemps: nous voyageons trop. Je pense que beaucoup de mes collègues, jeunes et moins jeunes, expérimentés et moins expérimentés, l’ont également constaté. La pandémie nous a forcés à le reconnaître. Non seulement à le reconnaître, mais, à en juger par les résultats, à agir. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes, n’est-ce pas? Les gens ont vu que des relations à long terme pouvaient être nouées via des solutions numériques.

Vous avez également déclaré que votre congé parental avait facilité votre vie professionnelle. Comment cela?

«En faisant un zoom arrière, en faisant une pause et en prenant un peu de distance. Réfléchir. Cela peut sembler très ringard. Je prévois de prendre quatre congés parentaux d’un mois. J’ai pris deux mois de congé jusqu’à présent, le mois de décembre sera le troisième. Cela m’a permis de recharger mes batteries. Non pas que s’occuper d’un enfant ne soit pas épuisant, mais c’est différent. J’ai continué à faire mes recherches, mais sous un angle différent. J’ai donc examiné la pandémie, et j’ai examiné les nouvelles opportunités d’investissement, car notre société change, adapte ses habitudes de travail, ses préférences et ses besoins en matière de consommation. Cela m’a vraiment aidé à prendre du recul et à avoir moins de pression pour être disponible tout le temps, tout en continuant à faire mon travail. Je pense que cela m’a définitivement aidé à améliorer la qualité de mon travail.

Que voudriez-vous que les gens sachent de votre expérience?

«Restez fidèle à vos convictions. Concentrez-vous sur le long terme, ne paniquez pas, ne perdez pas de vue les choses positives.

Vous savez, je viens d’apprendre que lorsque tout va bien et que tout est rose, chaque entreprise pour laquelle vous travaillez est la bonne entreprise… mais lorsque les soucis surviennent et que vous commencez à vous poser des questions, qu’il y a beaucoup d’incertitude, je pense que c’est à ce moment-là que vous voulez travailler dans un environnement, pas seulement travailler dans un environnement, mais vivre dans un environnement qui vous soutienne. Vous pouvez voir que je travaille toujours à la maison. Et c’est parfaitement acceptable pour tout le monde. C’est pour moi la grande leçon à retenir, l’endroit où vous travaillez n’est pas important, mais la façon dont vous travaillez est importante. Et c’est pourquoi nous avons essayé de mettre l’accent sur le ‘triple C’: communication, collaboration et culture.

Je l’ai déjà dit, il faut voyager moins. Je n’ai plus été assis dans un avion, en route pour le Japon, d’où je revenais avec l’effet du décalage horaire, mais tout à coup, je travaillais à la maison et j’étais capable de faire beaucoup plus de réunions d’entreprise. Et en fait, si vous revenez sur les deux dernières années, nous avons fait un tiers de plus de réunions d’entreprise que dans un monde prépandémique.

Vous voulez dire économiser sur le temps de voyage pour passer plus de temps à rencontrer les entreprises dans lesquelles vous investissez?

«… parce que, tout à coup, tous les analystes travaillaient à domicile, et nous pouvions organiser dans la même journée une réunion avec les entreprises dans lesquelles nous investissons: en Asie le matin, en Europe l’après-midi et une série de réunions avec des entreprises de la Silicon Valley le soir. Et alors que je faisais beaucoup plus de réunions, la qualité de nos engagements et de notre recherche ne s’est pas détériorée.»

Cet article a été écrit pour , traduit et édité pour Paperjam.