Dans un emploi précédent, l’équipe nouvellement formée par Maaret Davey a dû faire face à des licenciements après une fusion d’entreprises. La leçon qu’elle a tirée de cette expérience est qu’elle ne doit pas séparer son rôle de manager de son «moi tout entier». Crédit photo: ISL picture/Maison Moderne illustration

Dans un emploi précédent, l’équipe nouvellement formée par Maaret Davey a dû faire face à des licenciements après une fusion d’entreprises. La leçon qu’elle a tirée de cette expérience est qu’elle ne doit pas séparer son rôle de manager de son «moi tout entier». Crédit photo: ISL picture/Maison Moderne illustration

Maaret Davey partage ce qu’elle a appris lors d’une fusion dans le secteur financier dans le premier épisode de «Lessons learned».

Cette semaine, Delano lance «Lessons learned», une nouvelle série dans laquelle un cadre financier partage ce qu’il a appris d’une expérience particulièrement difficile au cours de sa carrière. L’idée est d’aider à la fois les pairs expérimentés et les jeunes professionnels s’ils devaient rencontrer une situation similaire au travail.

Aujourd’hui, Maaret Davey est manager dans une grande banque au Luxembourg. L’expérience partagée dans cette interview s’est déroulée chez un employeur précédent.

Aaron Grunwald: Quand cette expérience s’est-elle produite, où travailliez-vous et quel était votre rôle?

Maaret Davey - «Tout a commencé en 2017. J’étais nouvellement nommée chef d’équipe pour le KYC (know your customer) et la due diligence fiscale. Ce service était nouveau pour la banque. L’objectif était de créer une nouvelle équipe à partir de zéro et de répondre aux derniers changements juridiques et réglementaires qui se produisaient à l’époque. J’étais donc le chef d’équipe nouvellement nommé, et mon travail consistait à recruter une équipe de neuf personnes. Une fois que j’avais fini de recruter l’équipe et que nous étions prêts à nous lancer, nous avons eu l’annonce de l’acquisition de la banque.

Est-ce le défi que vous voulez partager aujourd’hui?

M.D. - «Oui. Comment motiver une équipe que vous avez en quelque sorte attirée dans une entreprise, en sachant que tout le monde ne fera pas partie de la suite de l’aventure. Évidemment, à l’époque, lorsque je constituais l’équipe, je ne savais pas que nous allions être rachetés et que tout le monde ne ferait pas partie de la liste des personnes transférées.

Donc les autres personnes ont été licenciées?

M.D. - «Oui… donc le plus grand défi était que, lorsque la notification d’acquisition est arrivée, nous avons été informés du nombre de personnes qui allaient être transférées dans la nouvelle structure et du nombre de personnes qui ne le seraient pas. Indépendamment des personnes qui déménageaient ou non, il fallait travailler durant toute la période précédant la date réelle d’acquisition. Le défi était de savoir comment garder une nouvelle équipe motivée, en sachant que certains n’auront plus de travail après, disons après un an environ, et que d’autres passeront dans une autre entreprise.

Chaque membre de l’équipe savait s’il allait déménager, ou non?

M.D. - «Tous le savaient… quelques semaines plus tard, on nous a donné la liste des personnes qui allaient déménager et la liste de celles qui ne le feraient pas. C’était ensuite à moi d’informer les membres de mon équipe, un par un, s’ils allaient rester ou être licenciés. Et, évidemment, comme j’avais une nouvelle équipe, certains d’entre eux avaient déménagé au Luxembourg. C’était un défi en termes de carrière professionnelle, mais c’était aussi un défi sur le plan humain. Parce que quelqu’un a chamboulé sa vie alors qu’il ne ferait pas partie de la liste des candidats sélectionnés.

Était-ce la première fois que vous deviez licencier du personnel de la sorte?

M.D. - «Oui, c’était la première fois.

Dites-moi comment avez-vous fait pour gérer cette situation.

«Je mise beaucoup sur la transparence et l’honnêteté, donc, après avoir eu des discussions individuelles avec tout le monde, j’ai convoqué une réunion où j’ai adopté l’approche suivante: nous restons une équipe jusqu’au jour où nos chemins vont se séparer. Que vous restiez ou que vous soyez licencié, nous ferons le même travail et nous nous entraiderons! J’ai également promis à ceux qui n’allaient pas rejoindre la nouvelle organisation que je les aiderais à trouver un nouvel emploi et que je leur donnerais des recommandations. Je les aiderais à passer des entretiens et à peaufiner leur CV. Nous avons aussi convenu de ne pas parler de qui partira et de qui restera. Évidemment, pour certaines personnes, c’était plus facile à faire que pour d’autres.

Au cours de la période de six à neuf mois qui a suivi, certains ont trouvé un nouvel emploi et ont décidé de partir. Certaines personnes qui avaient été désignées pour déménager ont décidé de ne pas le faire et ont cherché d’autres opportunités. Ce fut donc une période émotionnellement difficile, mais une très grande opportunité d’apprentissage.

Quels sont les obstacles qui vous ont paru les plus difficiles à surmonter?

M.D. - «Je pense que le plus dur a été d’annoncer que nous, en tant que nouvelle équipe, ne poursuivrions pas notre mission comme je l’avais envisagé. Parce qu’évidemment, les gens pensaient que je devais savoir ces choses, du style: ‘Vous deviez savoir que cela allait arriver, alors pourquoi nous avoir recrutés?’ Les conversations les plus difficiles ont été celles où les membres de mon équipe m’en ont fait le reproche et ont dit que, sur la base de fausses promesses, je les avais poussés à changer de vie, etc. Une personne en particulier a décidé de retourner dans son pays d’origine. Le plus difficile a été de la soutenir et l’aider à trouver un nouvel emploi dans son pays.

Vous saviez qu’ils étaient très contrariés et cela ne vous a probablement pas fait plaisir, mais comment avez-vous réagi?

M.D. - «Je ne me souviens pas exactement de ce que j’ai dit, mais, pour moi, il s’agissait de me présenter en tant qu’être humain, de dire que ce n’était pas quelque chose dont j’avais connaissance. Si j’en avais été consciente, j’aurais recruté différemment. Je n’ai jamais eu l’intention d’attirer qui que ce soit avec de fausses promesses. Être authentique et honnête m’a aidée dans ce processus. Cela m’a demandé pas mal de travail et j’ai également investi une bonne partie de mon temps libre pour aider cette personne, l’emmener dîner, boire un verre, et faire en sorte que cette expérience soit plus humaine.

Ce processus a duré plusieurs mois.

Avez-vous changé quelque chose pendant cette période ou avez-vous gardé la même approche?

M.D. - «Au début, j’essayais de ne pas divulguer certaines réalités inconfortables. Mais, au fur et à mesure que le processus avançait, j’ai décidé de tout dire. Au début, j’ai essayé d’être un leader fort, sans émotion propre. Une fois que vous vous autorisez à redevenir humain et que vous montrez vos émotions, les gens acceptent plus facilement la réalité.

Si vous deviez résumer cette expérience, quelle est la leçon que vous en avez tirée, et quels conseils donneriez-vous aux autres managers qui doivent faire face à une situation similaire?

M.D. - «Restez vous-même, mettez toute votre personnalité sur la table. N’essayez pas de séparer votre rôle de leader de votre personnalité. C’est aussi simple que cela.

Y a-t-il autre chose que vous souhaitiez partager à propos de cette expérience?

M.D. - «Je pense que la communication est aussi très importante. Parler ouvertement et honnêtement, et accepter le fait que les gens vont être en colère contre vous, accepter le fait qu’ils seront déçus par vous, et accepter le fait que tout le monde ne sera pas votre ami.

Pour moi, cela a été une prise de conscience, accepter que les gens aient besoin de quelqu’un à blâmer. En tant que leader, vous devez assumer cette responsabilité. Cela ne veut pas dire que vous devez la porter chez vous et vous sentir responsable de tout, mais cela signifie que vous devez donner à votre personnel la possibilité de se défouler sur vous, car vous êtes la seule personne en face d’eux. C’était donc assez difficile de faire office de punching-ball. Mais, en même temps, cela a donné l’opportunité au personnel d’évacuer ses ressentiments parce que, évidemment, il ne pouvait pas s’adresser à la direction. Cela leur a donné l’occasion d’exprimer tout ce qu’ils ressentaient sans aucun jugement.

Ils ont reporté leur frustration sur vous. Est-ce que cela les a vraiment aidés?

M.D. - «Oui, ça les a aidés. Ce qui était encore mieux, c’est que nous avions une équipe très forte, même si c’était une équipe très jeune. L’esprit d’équipe était donc déjà très fort. J’ai donc encouragé les membres de l’équipe à déjeuner ensemble, à dîner ensemble et je leur ai dit que, si je pouvais faire quoi que ce soit, ils pouvaient toujours m’en parler, mais qu’ils devaient aussi discuter entre eux. Et s’ils voulaient évacuer leur colère, je serais toujours là pour un lancer de fléchettes. Peut-être pas en personne, mais je pourrai leur prêter une photo de moi.»

Cet article a été écrit pour , traduit et édité pour Paperjam.