La grande salle d’audience était trop petite: des dizaines d’avocats sont venus soutenir leur confrère face aux juges, mardi après-midi. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

La grande salle d’audience était trop petite: des dizaines d’avocats sont venus soutenir leur confrère face aux juges, mardi après-midi. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

La première audience du procès de l’avocat André Lutgen, poursuivi devant le tribunal correctionnel pour intimidation et outrage à magistrat, a eu lieu mardi après-midi. Les avocats étaient présents en nombre pour soutenir leur confrère.

«C’est un véritable vaudeville. Et je me demande vraiment jusqu’où cela va aller, et quand cela va se terminer. C’est incroyable ce à quoi on assiste ici.» Le commentaire pourrait être assimilé à un simple effet de manche s’il ne venait pas d’un des avocats les plus connus et les plus respectés du Barreau de Luxembourg. Lui, comme des dizaines de ses confrères, était présent ce mardi pour soutenir Me André Lutgen,

Il est vrai que les premiers instants du procès tiennent de la comédie. Le tribunal est à peine installé que le président appelle chacun au respect des mesures Covid, alors que la salle est remplie de robes noires et de journalistes qui tentent de cohabiter du mieux possible. Tout le monde doit être assis, et ceux qui sont debout doivent se tenir à 2m de distance. Le port du masque est obligatoire, évidemment. Sans cela, pas d’audience, puisque le tribunal ne pourra se saisir du dossier. «Vous êtes tous des femmes et hommes de loi, vous devez la respecter», intime le président.

Un procès qui inquiète la profession

Des regards de biais, des grincements de dents, et Me Gaston Vogel, «venu soutenir mon excellent confrère Lutgen», hausse le ton: «Je ne porte pas de masque!» Le président Stéphane Maas menace de le faire évacuer, d’appeler la bâtonnière, déplore l’agressivité de l’avocat… qui remet son masque, mais vient se poster à quelques mètres des juges, bien assis et très attentif aux échanges qui suivront. 

Tout rentre finalement dans l’ordre après une dizaine de minutes. Pour que la bâtonnière, justement, prenne la parole pour rappeler que «ce procès inquiète beaucoup la profession, d’autant que le Conseil de l’Ordre n’a retenu aucune infraction déontologique dans le chef de Me Lutgen».

Un prévenu qui est appelé le premier à la barre, où il expliquera au fil du temps avoir voulu simplement «faire son travail d’avocat» sans intention de «faire obstruction à la justice». Il laisse assez vite la place au juge d’instruction avec qui il a eu des démêlés. Celui-ci expliquera plus tard ne pas avoir déposé de plainte suite au courrier d’André Lutgen, mais en avoir averti le Parquet, comme doit «le faire tout fonctionnaire». Une façon habille de se disculper de toute intention personnelle néfaste, puisque c’est le ministère public qui a ensuite agi. L’intention de nuire, il la renvoie dans l’autre camp, ayant «été dénigré auprès de personnes qui décident des suites de ma carrière, cela car Me Lutgen n’a pas obtenu ce qu’il voulait assez rapidement.»

Toujours est-il que le magistrat qui manie le droit et les procédures se constitue partie civile, avant de témoigner… ce qui, de facto, rend son témoignage impossible. Tout le monde comprend vite que le problème sera réel, et c’est l’incident de procédure. «Il l’a fait exprès, c’est habile de sa part», persifle un avocat alors que le tribunal est parti délibérer sur la situation. Pour finalement donner son accord au témoignage du magistrat dont la constitution de partie civile sera confirmée en fin d’audience par son avocat, qui réclamera 1 euro symbolique et 500 euros pour les frais de justice.

On échappe en tout cas à un embourbement en rase campagne, qui aurait été d’un assez mauvais effet.

Volume de travail et secret de l’instruction

Durant plus d’une heure, le juge d’instruction va alors, non sans mordant parfois, recontextualiser la chronologie des échanges et des missions demandées à l’expert suite à l’accident de travail aux conséquences mortelles. En offrant une belle résistance aux questions du président et des avocats d’André Lutgen, en se montrant cohérent dans ses développements, en faisant valoir un nombre important de dossiers et une permanence astreignante pour expliquer les difficultés à le contacter, en se réfugiant derrière le secret de l’instruction quand nécessaire ou en faisant encore appel… à la loi. En rappelant par exemple que celle de 1980 sur les missions des juges empêche ceux-ci de communiquer avec les parties en lien avec l’affaire par rapport à laquelle ils doivent prendre une décision. Dura lex, sed lex, mais la coutume tolère un appel discret pour avertir d’une mainlevée ou un e-mail pour une autre décision. De la simple courtoisie. Cela n’a pas été le cas.

Si besoin, le juge insiste: «Je n’ai pas à justifier de mes décisions».

Citée comme témoin, la procureure générale d’État, qui  a transmis l’e-mail d’André Lutgen au juge d’instruction, n’a pas vacillé. Pas question pour elle d’avoir voulu sortir «du cadre de [s]es missions». Elle a vu le courriel de Me Lutgen comme une demande de faire diligence et non comme une attaque, même si elle pense que d’autres moyens auraient pu être utilisés. Elle estimait en tout cas l’affaire morte-née après «avoir eu [s]es apaisements» sur la levée des scellés. 


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Fin du premier acte qui aura eu le mérite de planter le décor. Le second, attendu jeudi, devrait pour sa part mieux cibler les enjeux majeurs un peu occultés par le caractère ubuesque du procès: la liberté d’action de l’avocat et le choix des moyens pour assurer la défense des intérêts de son client, d’un côté, l’indépendance des magistrats, de l’autre. «Dans tous les cas, le jugement sera détonant, car il fâchera évidemment l’un ou l’autre camp», assure un autre plaideur.