Me André Lutgen est inculpé d’intimidation et d’outrage à magistrat. (Photo: Caroline Martin, Caro-Line Photography/archives)

Me André Lutgen est inculpé d’intimidation et d’outrage à magistrat. (Photo: Caroline Martin, Caro-Line Photography/archives)

Ténor du Barreau, Me André Lutgen est inculpé d’intimidation et d’outrage à magistrat. Son procès débute ce mardi devant le tribunal correctionnel. Cette affaire soulève nombre de questions importantes pour la profession d’avocat.

L’audience devait initialement avoir lieu dans un local relativement discret du tribunal de Luxembourg. Finalement, c’est dans la grande salle d’audience que le procès de Me André Lutgen débutera mardi, et se poursuivra jeudi.

Le caractère inédit de ce procès – un avocat poursuivi suite à une plainte d’un juge d’instruction – et sa médiatisation vont contribuer à attirer plus de monde qu’habituellement. Mais aussi car cette affaire soulève une série de questions fondamentales pour la profession d’avocat et donc les justiciables.

Poursuivre un avocat pour ‘intimidation d’un magistrat’ parce qu’il a pris l’initiative de s’adresser à un membre du gouvernement est une attaque frontale à l’indépendance de l’avocat et au libre choix de ses moyens d’action.
Me François Prum

Me François Prumavocat d’André Lutgen

«C’est une affaire qui est effrayante alors qu’elle touche à l’ADN de la profession d’avocat», souligne , qui assure la défense d’André Lutgen avec Me Maximilien Lehnen. «L’article 33 de la loi modifiée du 10 août 1991 sur notre profession dispose en effet: ‘… Dans l’exercice de sa profession, l’avocat est maître de ses moyens…’ Poursuivre, au nom de l’indépendance de la justice et du principe de la séparation des pouvoirs, un avocat pour ‘intimidation d’un magistrat’ parce qu’il a pris l’initiative de s’adresser à un membre du gouvernement est une attaque frontale à l’indépendance de l’avocat et au libre choix de ses moyens d’action.»

La séparation des pouvoirs n’est en effet «pas du ressort de l’avocat, il n’en a même rien à faire, il peut écrire à qui il veut», poursuit François Prum. «Mais cette initiative irrite les magistrats, c’est évident.»

Le procureur général d’État attendu avec impatience

Depuis des années, la justice lutte pour son indépendance. «C’est vrai, et c’est pour cela qu’il y a un souhait dans les rangs des juges de vite mettre en place un Conseil supérieur de la magistrature, qui nommera les magistrats par exemple, ce qui est actuellement un privilège du ministre de la Justice.» Cet organe sera aussi en charge des mesures disciplinaires éventuelles et décidera des mandats des uns et des autres, des désignations à certains postes. «Mais aucun avocat n’osera jamais saisir le CSM contre un magistrat puisque c’est ce même CSM qui décide des suites des carrières, des affectations… Ce serait vu comme de l’intimidation et il risquerait alors de se voir poursuivi.»

L’avocat se dit en tout cas impatient d’entendre «la conception que le procureur général d’État peut avoir quant à  la séparation des pouvoirs, mais aussi sur la liberté des avocats et les textes qui la régissent».

Pour Me Prum, si condamnation il doit y avoir, «ce sera très grave, car cela placera toujours l’avocat sous la coupe du Parquet.»

Une condamnation inimaginable de par les faits eux-mêmes, et leur nature, ce qui sera largement plaidé à l’audience. «Le mail que le procureur général d’État envoie à Me Lutgen pour se plaindre de son initiative est une démonstration en soi que ce qui est reproché à mon client est non fondé. Soit Mme Solovieff estime qu’il n’y a pas intimidation et on en reste là. Soit elle estime qu’il y a intimidation… mais alors elle ne peut pas mettre le juge d’instruction concerné en copie de son mail, ce qui a pourtant été fait.»

Non-lieu du Conseil de l’Ordre

Et, enfin, de rappeler que «l’avocat prévenu a bénéficié d’une décision de non-lieu de la part des instances disciplinaires ordinales». Et la recommandation sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat, adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 25 octobre 2000, prévoit que «les avocats ne devraient pas subir ou être menacés de subir des sanctions ou ne faire l’objet de pression d’aucune sorte lorsqu’ils agissent en conformité avec la déontologie de leur profession». Ce qui a été confirmé dans le cas de Me Lutgen. «Poursuivre, voire condamner un avocat malgré une décision ordinale à son bénéfice, revient à placer une nouvelle fois la profession tout entière sous la tutelle du ministère public. De telles initiatives sont incompatibles avec les principes régissant l’état de droit.»

La défense d’André Lutgen plaidera évidemment l’acquittement. Et reste sereine, malgré les enjeux qui vont donc au-delà de la simple personne de leur confrère. «Je reste confiant que la justice luxembourgeoise appréciera sereinement le cas d’espèce et acquittera Me Lutgen qui n’a rien à se reprocher», conclut Me Prum.