Peter De Proft, ex-directeur général de l’Efama, estime que l’industrie des fonds a atteint la maturité. (Photo: Maison Moderne/Archives)

Peter De Proft, ex-directeur général de l’Efama, estime que l’industrie des fonds a atteint la maturité. (Photo: Maison Moderne/Archives)

Comptant parmi les invités de la deuxième journée de l’Alfi Global Distribution Conference, ce 25 septembre, Peter De Proft, ancien directeur général de l’Efama, nous a confié sa vision de l’évolution de l’industrie des fonds, en Europe et au Luxembourg.

Peter De Proft a quitté ses fonctions de directeur général de l’Efama (European Fund and Asset Management Association) en décembre 2018 après 11 années de loyaux services. Ancien banquier, il a aussi présidé, entre mai 2009 et septembre 2011, l’International Investment Funds Association (IIFA). Même s’il s’exprime aujourd’hui à titre personnel, c’est un expert qui garde un œil critique et avisé.

En tant qu’observateur privilégié du secteur des fonds d’investissement, comment l’avez-vous vu évoluer en Europe au cours de la dernière décennie?

Peter De Proft. – «Dans un contexte difficile, le secteur s’est très bien développé. Les chiffres ont triplé et les asset managers se sont fortement professionnalisés. Il n’y a pas si longtemps, le secteur des fonds était un peu considéré comme le ‘little kid on the blocks’. Les banques et les bourses dominaient le secteur financier. Les fonds étaient considérés comme une deuxième catégorie. Mais sur les 10 dernières années, en Europe comme dans le monde, le secteur est a su atteindre maturité. En plus, malgré la forte concurrence qui existe, c’est aussi, dans le monde financier, l’industrie qui affiche la meilleure rentabilité.

Les fonds ont-ils profité des taux bas et de la difficulté des investisseurs à dénicher des produits qui offrent de bonnes performances?

«Les taux bas nous font entrer dans un nouvel environnement. Il faut s’y adapter. Si le secteur a gagné beaucoup au cours des dernières années, ce n’est pas vraiment lié à cette recherche de la performance. C’est parce qu’il a su évoluer. Il y a 15 ou 20 ans, si vous investissiez dans des fonds, vous étiez considéré comme quelqu’un qui ne s’y connaît pas en matière d’investissements. Il fallait suivre le monde des actions. Tout cela a bougé et va continuer à évoluer avec la nouvelle génération. Le système social né de l’après-guerre a montré ses limites. Les jeunes générations vont devoir s’adapter par rapport à l’enjeu des retraites, et les fonds joueront un grand rôle à l’avenir en Europe, comme c’est déjà le cas aux États-Unis.

Il faudra désormais être capable d’attirer une nouvelle force de travail qui maîtrise des nouvelles technologies.
Peter De Proft

Peter De Proft 

Les acteurs luxembourgeois parlent de plus en plus de la menace de concurrence des autres Places. Ressentez-vous une plus forte concurrence aujourd’hui entre Places européennes dans l’industrie des fonds?

«Tout au long de ma carrière, j’ai vu grandir deux grands centres pour l’industrie des fonds. L’Irlande et le Luxembourg. Le Grand-Duché a pour lui d’être au centre de l’Europe continentale et d’être un pays multilingue. L’Irlande, par la langue, attire les investissements américains, mais pâtit quand même d’un certain éloignement. Il y a une place pour ces deux centres, étant donné le know-how qui s’y est développé. Cette connaissance est particulièrement importante pour l’avenir.

Paris et Francfort suivent de loin, mais n’ont pas cette expérience. Par contre, étant donné l’évolution technologique qui se profile, il faudra être attentif au profil des personnes qui seront recrutées. Il faudra désormais être capable d’attirer une nouvelle force de travail qui maîtrise des nouvelles technologies, comme la blockchain, par exemple. Ce ne sont plus les mêmes profils que par le passé.

Quelle analyse faites-vous du développement de l’industrie luxembourgeoise des fonds au cours des dernières années?

«J’ai travaillé au Luxembourg à une époque pour la banque belge Nagelmackers. C’est un pays que je connais bien et que j’apprécie. Il bénéficie d’un professionnalisme reconnu aux niveaux européen et mondial. Le secteur des fonds y a connu une croissance impressionnante grâce, notamment, aux compétences des gens qui travaillent dans ce domaine.

Je suis d’ailleurs assez optimiste pour l’avenir de cette Place. Si elle parvient à trouver les bonnes personnes, Luxembourg restera le noyau dur de l’Europe. Il n’y a pas de raison que cela change. L’avantage d’un petit pays est d’être beaucoup plus ouvert et de savoir écouter. Ça attire très souvent les investisseurs et les acteurs qui veulent se développer. Sans négliger que le Luxembourg entretient des contacts partout dans le monde, des États-Unis à la Chine.

J’ai parfois été surpris par un réflexe nationaliste chez certains régulateurs.
Peter De Proft

Peter De Proft

Avec un peu de recul, avec quel œil regardez-vous les nombreuses réglementations qui se sont imposées à l’industrie des fonds depuis la crise financière?

«Selon moi, ces réglementations ont un effet positif. On peut effectivement trouver que c’est assez lourd, et ces réglementations peuvent effectivement créer des problèmes au niveau de leur implémentation. Mais la crédibilité, le cadre réglementaire, la transparence sont devenus très importants, et ces nouvelles règles créent un cadre positif.

Il y a peut-être des excès et des chevauchements, mais je suis convaincu que nous sommes en train de créer un cadre impressionnant en Europe. Il donne beaucoup de confort aux investisseurs. La critique est facile, mais on vient de loin. Je préfère donc voir le côté positif.

Le Luxembourg s’est récemment rebellé contre de nouveaux pouvoirs que l’Esma a voulu s’octroyer, notamment au niveau du contrôle de la délégation, estimant que le travail était bien assuré depuis Luxembourg. Vous comprenez cette position?

«Je ne vais pas parler du cas luxembourgeois en particulier, mais de manière générale, j’ai parfois été surpris par un réflexe nationaliste chez certains régulateurs. Je suis un Européen convaincu, je crois en l’unité européenne et, à ce titre, mon avis personnel est que les choses seraient plus faciles si nous avions un seul régulateur au niveau européen, comme c’est le cas aux États-Unis. Tous ces régulateurs nationaux travaillent très bien, mais le système en est un peu plus compliqué.»