La lettre qui symbolisera la reprise dépendra notamment du succès des stratégies de déconfinement. (Photo: Shutterstock)

La lettre qui symbolisera la reprise dépendra notamment du succès des stratégies de déconfinement. (Photo: Shutterstock)

Le déconfinement progressif entraînera inévitablement une reprise de l’activité économique. Mais quelle en sera sa puissance? Les économistes se risquent à des prévisions prenant les lettres de l’alphabet à témoin, osant quelques entorses par rapport à la calligraphie classique.

Depuis le début de la crise sanitaire, les analystes économiques tentent des paris pour déterminer la forme de la reprise économique qui suivra la phase de confinement et l’arrêt de nombreuses activités économiques. Reprise en forme de V, de U, de W, voire de L… L’alphabet est fortement sollicité pour modéliser le scénario de redémarrage.

Détaillons quelque peu les différents modèles:

V – Si la reprise prend la forme d’un V, cela revient à dire qu’après une chute vertigineuse de l’activité, la reprise se fera tout aussi forte. C’était le modèle envisagé en début de période de confinement, lorsque les populations espéraient pouvoir faire la fête, en imaginant que le virus aurait été vaincu après trois ou quatre semaines de confinement.

U – Un schéma en U voudrait dire que le déconfinement ne s’est pas très bien déroulé et que l’activité restera ralentie plus longtemps que prévu. Mais elle finira par repartir.

L – Le L, qu’aucun économiste ne souhaite, est limpide: après la dégringolade, rien ne se passe. Le virus continue sa partie de cache-cache et les économies s’enlisent dans la stagnation.

W –Le W pourrait symboliser les vagues successives de déconfinement/confinement et le fait que l’économie pourrait rechuter après être pourtant bien repartie.

Pour passer de l’alphabet aux mathématiques, certains parlent aussi d’une «racine carrée»: une remontée rapide après le déconfinement, mais une activité qui plafonnera ensuite sur le moyen et long terme.

Certains voient enfin dans leur boule de cristal le logo de Nike. Pas parce qu’ils sont en manque de pratique sportive, mais parce que la reprise pourrait se faire à un rythme moins soutenu et être plus longue que prévu.

Alors que la majorité des pays d’Europe ont lancé les opérations de déconfinement, comment les économistes voient-ils concrètement se dessiner la reprise que tous espèrent?

Un V, mais un peu penché

Stratégiste de marché chez Pictet Asset Management à Paris, Frédéric Rollin fait le pari d’une reprise en forme de V, mais sans négliger les risques qui pèsent encore par rapport à ce scénario. «Selon la capacité des populations à juguler la pandémie, la reprise du travail après le confinement pourrait ne se faire que lentement, d’autant que les avancées en termes de médicaments ne semblent pas très concluantes actuellement», pointe-t-il.

Le second risque, selon lui, tient au comportement des ménages et des entreprises. «Les entreprises ont dû fortement s’endetter pour survivre à cette crise, elles pourraient donc désormais adopter des comportements très prudents, voire des scénarios de désendettement, ce qui ralentirait la croissance», analyse le stratégiste de Pictet.

Les ménages font face à une situation plus saine. Mais la forte remontée du chômage risque de les pousser à la prudence, et donc à prendre des mesures d’épargne. Un comportement qui pourrait aussi toucher les ménages aisés, mais eux, parce qu’ils pensent qu’un jour ou l’autre, les États vont devoir récupérer les aides octroyées par de nouvelles mesures fiscales.

«Face à ces risques, je penche donc pour un V, mais dont la branche de droite serait un peu plus penchée, signe que la reprise se produit plus lentement que la chute», conclut Frédéric Rollin.

Un V, mais un peu tronqué

Philippe Ledent croit aussi à un scénario en V, «parce que la chute a été telle que le fait de rouvrir les activités va, par un effet naturel, faire rebondir les marchés». La question cruciale, selon l’expert économiste d’ING Belux, est de savoir jusqu’à quel point l’économie va rebondir. Parviendra-t-elle à atteindre rapidement la hauteur de la barre de gauche, le niveau d’avant-crise? Ce n’est pas gagné!

«Il faut se méfier de l’illusion d’optique», prévient-il. «Si, après une chute de 30% à 40% de l’activité, celle-ci ne remonte qu’à 90% de son niveau antérieur, on aura l’impression de voir un V, mais la situation restera dramatique.» Il estime qu’à la fin de l’année 2020, la zone euro sera à 94% ou 95% de son ancien niveau, soit une chute du PIB de 5%.

Une partie du chômage partiel risque en effet de se transformer en perte d’emplois, et la demande risque de ne pas être au rendez-vous après la réouverture, les gens ayant tout simplement modifié leurs plans d’investissement.

«C’est à ce niveau qu’on risque de voir surgir les vrais dégâts la crise», observe l’économiste. «Il est déjà clair pour la plupart des analystes que 2020 sera une année perdue, qu’il faudra attendre 2021 pour un retour de la croissance… en espérant qu’il y ait un vaccin. Dans notre scénario, nous prévoyons un retour à la situation d’avant-crise en 2023.»

Un V qui pourrait devenir un U

Plus optimistes que la moyenne, les investisseurs ont clairement misé sur l’option d’un V franc. «Les investisseurs en actions se préoccupent du moyen terme et espèrent que l’ampleur des mesures de relance mondiales soutiendra les entreprises pendant le second semestre de l’année, permettant une croissance économique et des bénéfices plus importants que prévu à partir de 2021», explique Kirsty Clark, investment specialist dans l’équipe Actions de M&G.

Mais elle n’exclut pas qu’à mesure de l’avancée dans la saison des résultats, de mauvaises nouvelles surgissent en matière de bénéfices et remettent en cause le climat haussier. Elle note aussi que les incertitudes restent profondes quant à la viabilité de secteurs importants de l’économie comme l’hôtellerie, le tourisme ou les compagnies aériennes.

«Si la récession inflige des dommages à long terme aux bilans des entreprises et/ou au marché du travail, une reprise en U prolongée est une vraie possibilité», analyse Kirsty Clark.