La transformation digitale des institutions financières est un processus long, incluant un changement organisationnel et technologique. Dans ce contexte, accepter son erreur et délaisser une idée qu’on avait commencé à développer mais qui ne s’est pas avérée payante est une qualité primordiale.

Comment réussir sa transformation digitale? Cette question taraude de nombreux acteurs économiques au Luxembourg, notamment dans le secteur financier. Si la réponse n’est pas si simple à trouver, c’est parce qu’elle n’est pas unique et dépend essentiellement de la vision que chacune de ces institutions se fait du métier. «Un projet de transformation digitale n’est pas un projet IT comme un autre, explique Pascal Martino, Partner, Banking leader & Deloitte Digital co-leader. Il s’agit d’un véritable programme de transformation de l’entreprise, qui ne va jamais s’arrêter. Pour réussir à le mener à son terme, il faut donc, tout d’abord, être capable de se projeter à moyen et long termes, savoir quelle est sa vision, où l’on veut emmener son activité. Cette idée directrice très forte doit par ailleurs être soutenue par un leader qui peut rester suffisamment longtemps en place pour la concrétiser.»

Une organisation ouverte

Cette manière de concevoir la transformation digitale est diamétralement opposée aux habitudes du monde de l’entreprise, dans lequel on fixait auparavant un objectif à cinq ou sept ans, avant de passer à l’exécution du plan tel qu’élaboré. Cette organisation ne peut plus fonctionner aujourd’hui. «À notre époque, quand on parle de long terme, on est dans une durée d’environ trois ans, poursuit Pascal Martino. Il faut donc mettre en place une organisation ouverte, au sein de laquelle les priorités seront très régulièrement revues: tous les ans, voire plusieurs fois par an.» Lors de ces révisions, il faudra évaluer avec froideur les succès engendrés par les idées qui ont commencé à être développées… mais aussi les échecs. «Soit une idée a fonctionné et la technologie mise en place peut continuer à être développée, soit ce n’est pas le cas et il faut accepter qu’on se soit trompé et qu’on doive abandonner cette idée. Cette capacité de ‘fast fail’ est très importante car elle permet de ne pas perdre trop de temps sur des projets mal embarqués.»

Ce qui est clair, c’est que le changement technologique va de pair avec le changement organisationnel.
Pascal Martino

Pascal MartinoPartnerDeloitte Luxembourg

Toutefois, ce mode de fonctionnement implique un changement tout aussi profond d’une série d’autres éléments organisationnels: les cycles budgétaires devront notamment être raccourcis pour s’adapter à la nouvelle manière de fixer et de revoir les priorités. Au-delà, le management devra aussi être adapté. «Il faut pouvoir faire confiance aux équipes qui travaillent de leur côté sur un nouveau développement. Et si le travail qu’elles ont mené ne donne rien, il faut pouvoir dire que ce n’est pas grave. Il y a encore un gros travail à faire à ce sujet au Luxembourg. Ce qui est clair, c’est que le changement technologique va de pair avec le changement organisationnel. Dans les études que nous avons menées dernièrement auprès de grandes banques de la Place, on constate que les deux aspects sont totalement corrélés au sein des sociétés qui ont réussi leur transformation digitale», illustre Pascal Martino.

Une intégration douce des profils digitaux

La question du recrutement ne peut pas être écartée du débat, tant elle apparaît être essentielle pour mener à bien le processus de transformation digitale des institutions financières. Le challenge est toutefois de taille pour les banques, qui doivent parvenir à attirer des profils qui sont relativement inédits dans ce secteur: designers UX et UI, graphistes, développeurs, etc. «Les banques sont en réalité confrontées à un triple défi: trouver ces profils plutôt rares sur le marché, parvenir à les attirer dans le secteur bancaire et arriver à les garder une fois qu’on a réussi à les convaincre, détaille le Digital co-leader de Deloitte. Ces personnes sont en recherche d’un environnement de travail différent, mais on ne peut pas tout changer pour eux, sans tenir compte des autres collaborateurs de la société. Pour utiliser une image que j’affectionne, on peut dire que l’arbre organisationnel doit plier, mais ne peut pas rompre.»

Aujourd’hui, nous sommes capables de recruter et de faire accepter des personnes qu’il aurait été inimaginable d’embaucher il y a encore quelques années.
Pascal Martino

Pascal MartinoPartnerDeloitte Luxembourg

Concrètement, on commencera par intégrer l’un ou l’autre profil qui est 100% impliqué dans le digital, tout en connaissant l’univers de la banque. Petit à petit, il sera plus simple de convaincre d’autres profils «digitaux» de rejoindre la structure et d’être bien acceptés par le reste des équipes. «Nous avons fonctionné selon ce principe quand nous avons créé Deloitte Digital, explique encore Pascal Martino. Aujourd’hui, nous sommes capables de recruter et de faire accepter des personnes qu’il aurait été inimaginable d’embaucher il y a encore quelques années. Je pense que le monde financier doit travailler de la même façon.»

Si elle peut être anxiogène, la transformation digitale doit toutefois, selon Pascal Martino, être envisagée de manière positive. «Le digital peut nous apporter beaucoup au quotidien, et pas seulement dans le secteur financier. En outre, je suis très optimiste sur les capacités du Luxembourg à relever ce défi et à se différencier des autres pays, notamment en devenant le ‘safeguard’ de la donnée aux niveaux européen et mondial.»