Anabel Witry: «Je pense que le futur va aller dans le sens d’une économie circulaire. Les différents ministères veulent d’ailleurs pousser le sujet.» (Photo: Romain Gamba)

Anabel Witry: «Je pense que le futur va aller dans le sens d’une économie circulaire. Les différents ministères veulent d’ailleurs pousser le sujet.» (Photo: Romain Gamba)

Fille d’architectes, elle avait commencé à tracer sa voie, paral­lèle à celle de l’entreprise familiale Witry & Witry. La transition d’une génération à l’autre permet à Anabel Witry d’apporter sa vision, nourrie par une expérience dans la communication. Une approche qu’elle partagera sur la scène du 10 × 6 Green Architecture ce mardi soir.

Retrouvez la première partie de ce grand entretien .

Comment dénommer ce projet ? Un quartier, un lieu de vie ? Un ensemble d’appartements ?

Anabel Witry. – «C’est comme un petit quartier. Si l’on considère les autres espaces du quartier du Kiem déjà en construction, on pourrait s’imaginer que l’ensemble fonctionne comme un quartier. C’est une expérimentation, mais cela s’est déjà vu en Suisse ou en Allemagne. Pourquoi pas au Luxembourg?

Autre innovation dans l’approche de ce projet, le promoteur va rentrer plus tôt dans la conception…

«L’objectif est d’éviter que nos idées ne lui conviennent pas, en raison des demandes du marché ou de ses prérogatives en matière de construction. Dans ce cas, nous voulons réaliser une construction en bois, mais avec des piliers en acier-béton. Nous avons longtemps discuté de ce point. Nous voulons nous laisser la possibilité de densifier, via deux étages supplémentaires, qui pourraient être construits ultérieurement.

En prenant le projet avec un peu de recul, en quoi ce quartier sera-t-il un modèle?

«Il le sera surtout sur le volet social, avec les espaces partagés. Ces facteurs sensibles, qui sont les relations humaines, sont devenus des questions compliquées à traiter en architecture aujourd’hui. Nous souhaitons réaliser un environnement bâti orienté vers les besoins des êtres humains en plus des volets écologique et économique.

Nous faisons en sorte de penser le bâtiment pour qu’il puisse être déconstruit.
Anabel Witry

Anabel WitrypartenaireWitry & Witry

Nous avons aussi misé sur la flexibilité dans sa conception en pouvant l’adapter à l’avenir avec un minimum d’intervention et de travail dessus. Les logements dessinés sont aussi modulables en fonction des besoins. Le choix des matériaux participe aussi à cette démarche, en tenant compte du cycle entier de la cons­truction, du début jusqu’au recyclage, si on regarde à long terme.

Parle-t-on d’approche cradle to cradle ou d’économie circulaire?

«Nous préférons le terme d’économie circulaire, pour vraiment concevoir le projet de bout en bout. C’est une approche qui est relativement nouvelle, puisque nous devons prendre des hypothèses sur les matériaux qui seront recyclables, à terme. Nous faisons en sorte de penser le bâtiment pour qu’il puisse être déconstruit, même dans ses parties a priori plus difficiles à cet égard, comme les chapes.

La technologie est incon­tournable dans la conception des bâtiments… encore faut-il trouver les solutions réalistes qui conviennent aux projets…

«L’économie circulaire a une incidence directe sur ce point. Je pense notamment au câblage, qui peut se concevoir en apparent, et non dans les murs, pour faciliter toute intervention ultérieure. Nous privilégions avant tout des solutions qui correspondent aux besoins réels des oc­cupants, comme des panneaux photovoltaïques.

Il est encore possible de réaliser des choses de façon pragmatique. Le danger est de trop 'charger' le bâtiment en technologies sans forcément savoir comment l’ensemble va évoluer avec le temps.

On ne doit pas forcément appliquer une norme, mais remettre en cause une certaine notion du confort.
Anabel Witry

Anabel WitrypartenaireWitry & Witry

Les constructeurs suivent-ils ces mouvements de fond?

«Beaucoup d’entre eux entrent dans la construction en bois. Je pense que le futur va aller dans le sens d’une économie circulaire. Les différents ministères veulent d’ailleurs pousser le sujet. Nous voulons contribuer à ce mouvement au sein de notre bureau.

Faut-il construire des unités d’habitation plus petites, compte tenu de la croissance de la population du pays?

«Oui. Cela passe par une réflexion ouverte. On ne doit pas forcément appliquer une norme, mais remettre en cause une certaine notion du confort, comme disposer de deux salles de bains, revoir la taille des chambres… On devrait aussi construire un peu plus dense.

Il reste beaucoup d’espaces entre les grandes maisons. Le projet du Kirchberg conduit à un ensemble de blocs avec des espaces libres ou verts et un parc généreux commun, plutôt que de multiplier les espaces verts pensés pour être utiles.

Faut-il construire plus haut au Luxembourg?

«Pensons déjà à utiliser les surfaces vides existantes dans le tissu urbain, qu’il s’agisse d’ici à Echternach ou des Baulücken dans la capitale. La construction en hauteur pourrait du reste s’appliquer, par exemple, dans des quartiers qui s’y prêtent, comme le Kirchberg. Mais il reste d’autres possibilités pour densifier avant de passer par une hauteur supplémentaire.

Les modèles de vivre-ensemble, de colocation, de cohabitation, devront se mettre en place comme dans d’autres pays. 
Anabel Witry

Anabel WitrypartenaireWitry & Witry

Quelle est votre vue sur la crise du logement, ou plutôt sur un marché qui n’est pas abordable pour tout le monde?

«Les prix commencent en effet à être problématiques, surtout pour les jeunes qui veulent acquérir leur premier bien. Des terrains constructibles appartiennent encore à l’État. C’est une grande chance, mais c’est la partie la plus faible parmi les terrains vierges disponibles.

Cela vous inquiète pour l’avenir du pays?

«On trouvera des solutions, comme les coopératives. Les solutions naissent souvent de l’urgence. Les modèles de vivre-ensemble, de colocation, de cohabitation, devront se mettre en place comme dans d’autres pays. Construisons plus dense et pas si grand… Faut-il toujours des maisons de 300 m2 pour quatre personnes?

Vous considérez-vous comme privilégiée via votre métier?

«Les contraintes sont parfois difficiles à gérer. On pourrait parfois rêver de cons­truire comme au Japon ou en Amé­rique du Sud, mais certaines choses doivent être construites, et d’autres ne peuvent pas l’être comme à l’étranger. Je vois plutôt ces contraintes comme des éléments qui font partie du challenge de concevoir de beaux projets.

L’architecture est au service de…

«Elle vise la société en général, car tout le monde voit ce que nous avons imaginé. Mais nous sommes avant tout au service des utilisateurs ou des habitants des bâtiments que l’on conçoit.»