Marc Saluzzi a été président de l’Alfi entre 2011 et 2015. (Photo: Maison moderne / archives)

Marc Saluzzi a été président de l’Alfi entre 2011 et 2015. (Photo: Maison moderne / archives)

Après le vote surprise mais souverain des Britanniques en mai, le Royaume-Uni se prépare au Brexit. Personne ne sait aujourd’hui quelle forme il prendra, mais il est clair que l’accès au marché unique des gestionnaires d’actifs britanniques n’est plus garanti sur le long terme. Certains de ces gestionnaires voudront bien légitimement réduire ce risque. Le Luxembourg devra alors leur apparaître clairement comme la meilleure option pour y parvenir.

La perte d’accès au marché unique n’est pas anodine pour ces gestionnaires. Si on ne considère que les Ucits, ce sont plus de 350 milliards d’actifs qui sont gérés dans des fonds de droit britannique, distribués à l’international en utilisant le passeport européen. De la même façon, plusieurs dizaines de gestionnaires britanniques ne disposent pas d’une société de gestion en dehors du Royaume-Uni, et pas des moindres. En cas de perte du passeport européen, ces gestionnaires devront se réorganiser et recréer une présence au sein du marché unique. En ce qui concerne les gestionnaires alternatifs (AIFM) ou les firmes Mifid, un passeport est possible pour les pays tiers, mais il est souvent limité et il faut encore l’obtenir.

Nous devons maintenant sortir du bois et dérouler le tapis rouge aux acteurs concernés.

Marc Saluzzi, ancien président de l’Alfi

Du point de vue de ces gestionnaires, il est urgent de considérer l’impact de ce changement de paradigme sur leurs affaires. Avec potentiellement plus de 100.000 emplois de la City susceptibles d’être redéployés en Europe continentale et en Irlande, il y aura clairement un «first mover advantage» pour ceux qui poseront rapidement les jalons de leur nouvelle organisation européenne. Les pools de ressources et les infrastructures disponibles dans la plupart des places financières européennes ainsi que la capacité de réaction de leurs autorités de contrôle ne sont pas en effet à même de garantir un traitement fluide des effets de ce choc à court terme.

Dans ce contexte, le Luxembourg et tous les acteurs de sa place financière, publics ou privés, doivent adopter une démarche proactive pour permettre à ces gestionnaires de se réinventer au départ du Luxembourg dans les meilleures conditions possibles. Après la prudence et la retenue nécessaires avant et durant le référendum, nous devons maintenant sortir du bois et dérouler le tapis rouge aux acteurs concernés. Notre capacité à accueillir ces nouvelles activités est non seulement une opportunité en termes d’emplois et de recettes fiscales, mais également le moyen de nous préserver des impacts d’une refondation de l’environnement réglementaire de l’industrie de la gestion de fonds.

Cette refondation, qui dépasse les contraintes d’un agenda réglementaire chargé, pourrait être le résultat de quelques changements très structurants:

1)    AIFM a introduit de mon point de vue deux évolutions réglementaires fondamentales. La première est de donner la primauté à la réglementation du gestionnaire par rapport à la réglementation du produit. Une évolution d’ailleurs souhaitée par une partie de l’industrie, y compris pour le produit Ucits. Ce faisant, la Commission et le Parlement européen ont semé les germes d’un changement significatif du rôle des différentes juridictions européennes dans cette industrie de la gestion. De la dominance des juridictions de fonds à celle des juridictions de sociétés de gestion, on voit clairement la menace pour le Luxembourg.

2)    La deuxième évolution apportée par AIFM, mais aussi par Mifid II, est la possibilité d’un passeport pour des acteurs non européens, là aussi il y a une différence notable avec Ucits. Cette possibilité pourrait d’abord offrir une opportunité à un Royaume-Uni hors UE de consolider définitivement l’industrie de la gestion alternative à Londres. Elle pourrait ensuite, si étendue aux Ucits, par exemple dans le cadre d’un accord de reconnaissance mutuelle avec un pays tiers, menacer le statut de première plateforme internationale de distribution de fonds du Luxembourg.

3)    Le dernier pilier de cette refondation pourrait résulter de l’émergence d’une autorité de contrôle européenne unique pour l’industrie de la gestion. Ceci n’est pas un risque théorique. La création d’un marché des capitaux européen intégré (CMU) pourrait en effet être l’occasion de s’inspirer de la réforme de la supervision bancaire au profit de la BCE. Par ailleurs, il est utile de se rappeler des discussions concernant la réforme des fonds monétaires pour deviner les intentions de la Commission et du Parlement européen dans ce domaine. Ces derniers avaient notamment proposé que tout fonds monétaire de plus de 10 milliards d’actifs soit placé sous la supervision directe d’Esma. La création d’une telle autorité unique en Europe constituerait une avancée majeure sur le chemin de l’intégration des marchés de capitaux en Europe, mais elle menacerait également notre approche réglementaire au Luxembourg, fondée sur le dialogue avec l’industrie et l’innovation.

Dans ces circonstances, le Brexit peut créer les conditions d’un renforcement du positionnement de l’industrie de la gestion d’actifs au Luxembourg en attirant sur notre plateforme toujours plus d’activités à forte valeur ajoutée. En effet, même si le Grand-Duché est aujourd’hui plus qu’un fund center, il n’est pas encore tout à fait un asset management center.

En offrant les outils nécessaires à ces sociétés de gestion britanniques, le Luxembourg pourrait faire un pas significatif dans cette direction et asseoir de façon définitive son statut de pilier de la gestion d’actifs en Europe. Il pourrait ainsi se préparer au mieux aux challenges qui ne manqueront pas de survenir dans les cinq prochaines années.

Pour y parvenir, le Grand-Duché et sa Place devront se mobiliser comme jamais.