Jean Asselborn: «Cette pandémie a mis à nu la vulnérabilité non seulement du système Schengen, mais aussi de l’Union européenne dans son ensemble.» (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne)

Jean Asselborn: «Cette pandémie a mis à nu la vulnérabilité non seulement du système Schengen, mais aussi de l’Union européenne dans son ensemble.» (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne)

Delano a rencontré le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, pour l’interroger sur les défis liés à l’État de droit, aux demandeurs d’asile et à la zone Schengen.

Parlons de l’État de droit: pensez-vous que le nouveau mécanisme convenu à ce sujet passera par le Parlement européen et le Conseil et, dans l’affirmative, qu’il s’appliquera si des pays comme la Hongrie et la Pologne continuent de violer l’État de droit?

– «Nous avons besoin d’un mécanisme solide pour protéger et promouvoir l’État de droit au sein de l’UE. À la suite de l’accord entre les chefs d’État et de gouvernement de l’UE en juillet de cette année, un accord provisoire sur un mécanisme de protection du budget de l’Union a été conclu avec le Parlement européen le 5 novembre. Cette proposition législative comprend un régime de conditionnalité selon lequel le financement de l’UE peut être suspendu lorsqu’un État membre enfreint les principes de l’État de droit et risque ainsi gravement d’affecter les intérêts financiers de l’Union.

Au niveau du Conseil, cependant, la Hongrie, rejointe par la Pologne, a signalé qu’elle ne pouvait pas accepter, à ce stade, le cadre financier pluriannuel et le paquet NextGenerationEU à la lumière de l’évolution susmentionnée. C’est une évolution assez regrettable, qui risque de retarder le décaissement des fonds de l’UE dans la situation actuelle, où l’impact économique de la crise du Covid-19 se fait sentir dans toute l’Europe. En particulier, la jeune génération attend une position claire de l’UE sur les questions de l’État de droit. L’UE doit rester ferme dans son approche et nos valeurs ne doivent pas être érodées davantage dans ce processus.

La pandémie a montré que l’accord de Schengen est fragile, mais les signataires de Schengen peuvent-ils s’unir et convenir d’un cadre pour maintenir des frontières ouvertes dans des situations similaires à l’avenir?

«Cette pandémie a mis à nu la vulnérabilité non seulement du système Schengen, mais aussi de l’Union européenne dans son ensemble. Dans les premiers jours de la crise, de nombreux États membres sont revenus à des réflexes nationaux pour faire face à la pandémie, ce qui n’était pas dans l’esprit de l’Union européenne et a conduit à des situations très malheureuses. Les personnes vivant dans les zones frontalières ont été soumises à des contrôles aux points de passage des frontières, et la libre circulation des marchandises, parmi lesquelles des biens essentiels à la lutte contre cette pandémie, a été entravée.

Heureusement, nous avons pu rapidement mettre en place des mécanismes de coordination et éviter des dommages majeurs au fonctionnement du marché unique et de l’espace de libre circulation Schengen.

Pour le Luxembourg, il est important de s’assurer que toutes les mesures prises pour lutter contre ce virus sont compatibles avec le droit de l’UE. Il faut rappeler que la libre circulation des personnes est un droit fondamental dans les traités de l’UE et que tout doit être fait pour la respecter.

La crise qui a émergé à cause du coronavirus a clairement montré qu’une discussion approfondie était nécessaire. Ensemble, tous les États membres doivent déterminer comment protéger au mieux nos réalisations européennes communes, dont Schengen est un élément central.

L’année prochaine, la présidence de l’UE sera assurée par le Portugal, puis la Slovénie, qui ont tous deux accepté d’accueillir des mineurs non accompagnés du camp de Moria. Vous attendez-vous à ce qu’ils les poussent pendant leur présidence à trouver une solution européenne plus formelle à la situation des réfugiés?

«L’état actuel de la politique des réfugiés de l’UE est malheureusement déplorable. De nos jours, seule une poignée d’États membres font preuve de solidarité avec les pays de première entrée en participant à des efforts volontaires coordonnés pour reloger les réfugiés. Certains États membres ont simplement cédé aux mouvements populistes appelant à limiter l’accès à la protection internationale, et d’autres ont même violé les instruments juridiquement contraignants de l’UE.

La Moria a été une tragédie et un autre exemple frappant de notre politique migratoire dysfonctionnelle. Nous devons apprendre de nos erreurs et surmonter nos divisions. J’espère sincèrement que nous parviendrons rapidement à un accord sur une approche plus systématique de la situation des mineurs non accompagnés et que nous jetterons les bases d’une politique migratoire globale de l’UE, qui établisse le juste équilibre entre responsabilité et solidarité et soit pleinement respectée par tous les États membres.

Malheureusement, les discussions sur le pacte de la Commission européenne sur les migrations et l’asile n’ont pas encore permis de trancher ces questions cruciales. J’ai souligné à plusieurs reprises que le nombre d’arrivées est actuellement nettement inférieur aux chiffres de 2015-2016. Nous ne parlerions que de la relocalisation de quelques milliers de personnes entre les États membres.

Nous devons également nous assurer qu’un mécanisme transparent, prévisible et obligatoire garantira un partage équitable des charges en cas de reprise de la crise. La quadrature de ce cercle sera une tâche lourde pour la présidence actuelle du Conseil, et cela occupera encore plus les présidences entrantes et futures. Le Luxembourg sera un partenaire constructif dans ces efforts pour parvenir à un système de gestion des migrations plus équitable. J’attends des autres qu’ils fassent de même.»

Une version longue de cette interview paraîtra dans le numéro de janvier 2021 de Delano.