À l’heure où les géants ferment leurs unités de développement de voiture autonome, trop couteux pour trop peu de retours, le centre de recherche luxembourgeois a mis la sienne sur la route. Avec prudence et modestie. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

À l’heure où les géants ferment leurs unités de développement de voiture autonome, trop couteux pour trop peu de retours, le centre de recherche luxembourgeois a mis la sienne sur la route. Avec prudence et modestie. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Le 360Lab de l’Université du Luxembourg et du SnT avait l’autorisation, pour la première fois, de faire circuler sa Kia électrique «autonome», ce jeudi 3 novembre, sur une boucle de trois kilomètres au Kirchberg.

Mehdi Testouri a les mains sur le volant. Lauréat d’une bourse d’excellence de la Fondation Société Stellar il y a près de dix ans, le chercheur-ingénieur ne consentira à les lever qu’une seconde, sur une portion droite de dix mètres, pour satisfaire au caprice du photographe. La prudence est de mise.

Le ministère des Transports a consenti une exceptionnelle autorisation de circuler sur la voie publique dans des conditions de sécurité drastiques. La voiture est programmée de «manière défensive», comme l’explique le chef du projet, le professeur Raphaël Frank. Autrement dit, elle freine en amont du passage du feu au rouge, dès qu’une voiture devant risque d’être trop près, dès qu’un autre véhicule la frôle de trop près – sacrées voitures pilotées par des humains capables de faire des queues de poisson – ou dès qu’un piéton ou un cycliste risque de croiser sa route.

La Kia est bardée de technologies: un cerveau dans le coffre arrière qui digère les données en temps réel, un lidar aux 64 lasers qui modélisent l’environnement direct sur 200 mètres à 360 degrés en temps réel et six caméras dotées d’intelligence artificielle, trois à l’avant, deux sur les côtés et une à l’arrière. Elle se fie à une carte à ultra-haute définition du quartier, la seule qui existe au Luxembourg pour l’instant.

«La dernière chose dont nous avons besoin est une idée très précise de l’endroit où se trouve le véhicule», explique le chef de ce projet de recherche et d’éducation. «Un GPS, comme celui que vous avez dans votre smartphone, vous donnerait une idée à 10 mètres près, cela ne suffit évidemment pas pour une voiture autonome. Nous devons exactement savoir où nous sommes sur la route, c’est pour cela que nous utilisons un système kinétique en temps réel, un GPS connecté à toutes les antennes qui existent dans les parages pour corriger le signal de position jusqu’à trois à cinq centimètres. C’est assez pour suivre une trajectoire. C’est comme une Google Map beaucoup plus précise avec beaucoup plus d’informations.»

Le Cruse de GM au bord du crash

Garée sur le parking Konrad Adenauer, à côté de quatre places de parking réservées pour cet événement auquel sont accourus les journalistes, la voiture effectue une petite boucle de trois kilomètres au Kirchberg. À un train de sénateur… mais sans intervention humaine. Contrairement à une idée répandue, une voiture n’est pas soit autonome soit pas autonome, elle est à certains degrés d’autonomie. Sur une échelle de 1 à 5 où 5 est le degré où un conducteur pourrait faire autre chose que de rester attentif, la Kia du est à «3,5-4», dit M. Frank. Y parvenir est déjà quelque chose de spécial.

D’ailleurs, explique Raphaël Frank un sourire en coin, «Elon Musk avait promis il y a dix ans que nous y serons dans cinq ans et nous sommes cinq ans après la date fatidique. Cruse, le programme de General Motors, dépense cinq millions de dollars par jour», soit plus en une journée que la totalité du budget du projet luxembourgeois. Et ne roule quasiment que de nuit, parce que le trafic est moins important. Son déficit a atteint 1,4 milliard de dollars. Il est le dernier à y croire encore pour le début de 2023 après la fermeture par Ford d’Argo AI. Selon McKinsey, près de dix milliards de dollars ont été investis dans la voiture autonome depuis 2016 sans aucun retour sur investissement.

Ce que dans le monde informatique, on appelle le 90-90: après avoir accompli 90% du développement… il n’en reste plus que 90% à accomplir. «Nous sommes encore très loin de la voiture autonome», explique encore Raphaël Frank. «Il y a des aspects sociétaux, des aspects légaux et des aspects techniques.» Mais à l’image de leur voiture, les chercheurs continuent d’avancer avec intelligence.