Il aurait suffi d’un seul ministre des Finances qui dise non dans une formation sur la fiscalité. Le Portugal, qui exerce la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, a donc choisi une formation des ministres de l’Économie pour remettre sur le tapis la question de la transparence des multinationales établies dans un ou plusieurs États membres.
«La transparence fiscale est un principe fondamental dans toute société démocratique. Elle permet aux décideurs politiques de prendre des décisions éclairées et de garantir que tous les acteurs économiques contribuent de manière juste et équitable à l’économie des différents pays dans lesquels ils exercent leurs activités. Le débat d’aujourd’hui a ouvert la voie à une avancée prioritaire de la proposition de directive», s’est félicité le ministre portugais de l’Économie et de la Transition numérique, Pedro Siza Vieira, qui présidait la réunion à laquelle participait le ministre de l’Économie, (LSAP).
«Une nette majorité de ministres a estimé que la dernière proposition consolidée de la présidence était techniquement mûre. Ils ont invité la présidence portugaise à solliciter sans tarder un mandat de négociation afin d’étudier avec le Parlement européen la possibilité d’un accord pour l’adoption rapide de la directive», dit le communiqué de presse diffusé à l’issue de la réunion. «La présidence portugaise a conclu qu’il y avait un soutien politique pour qu’elle sollicite un mandat de négociation afin d’explorer avec le Parlement européen la possibilité d’un accord pour l’adoption rapide de la directive proposée.»
Une «belle journée» pour Sven Giegold
Le rapport pays par pays comprendra des informations pour chaque juridiction fiscale dans laquelle le groupe d’entreprises multinationales exerce ses activités sur le montant des revenus, le bénéfice avant impôt sur le revenu, l’impôt sur le revenu payé et couru, le nombre d’employés, le capital déclaré, les bénéfices non répartis et les actifs corporels. Le texte ne concerne que les sociétés qui ont un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros au cours des deux derniers exercices.
«Aujourd’hui est vraiment une belle journée. Pour plus de transparence fiscale, pour notre démocratie et pour moi personnellement», s’est aussitôt félicité le député Vert européen et porte-parole des Verts européens, Sven Giegold. «Ce succès est aussi particulièrement le succès de toutes les organisations de la société civile qui se battent pour plus de transparence fiscale depuis des décennies. Lorsque nous avons fondé le Tax Justice Network il y a près de 20 ans, la transparence fiscale était au cœur de notre programme. Dans mon petit livre ‘Steueroasen: trockenlegen!’ («Assèchement des paradis fiscaux!», ndlr), à partir de 2003, c’était l’une de mes revendications centrales en tant que ‘AttacBasisText 4’. Et depuis plus de dix ans maintenant, je travaille au Parlement européen pour une transparence fiscale contraignante pour les grandes entreprises. À la demande des Verts, nous avons déjà mis en place la transparence fiscale pour les banques, et c’est désormais à la discrétion de toutes les grandes entreprises.»
Selon lui, huit pays, dont le Luxembourg et l’Allemagne, ont voté contre ou se sont abstenus (Irlande, Malte, Suède, République tchèque, Hongrie, Chypre).
«Cette mesure devrait bénéficier d’une expertise fiscale pour garantir sa cohérence avec les exigences existantes, et surtout avec les accords de coopération internationale et d’échange d’informations qui reposent sur la confidentialité», a déclaré le ministre d’État chargé de la Réglementation des sociétés, Robert Troy.
Le Luxembourg ne s’opposera pas à la mesure
C’est aussi le point de vue du ministre luxembourgeois de l’Économie. «Le Luxembourg ne s’oppose pas aux principes sous-jacents de la proposition pour un ‘public country by country reporting’ visant à accroître la transparence en matière fiscale», a dit M. Fayot dans un communiqué. «Toutefois, pour le Luxembourg, la base légale qui a été choisie pour faire avancer cette proposition et en débattre est erronée. À ce sujet, il convient de rappeler la position du Luxembourg selon laquelle la question de la base légale appropriée pour discuter et adopter des dispositions fiscales dans l’UE est une question de principe qui n’est pas négociable. Pour le Grand-Duché, il est préoccupant de constater que les questions fiscales sont discutées et adoptées en dehors du domaine réservé par les traités européens à la fiscalité», a-t-il regretté.
«Le Luxembourg reste d’avis que le dossier relatif au ‘public country by country reporting’ relève du domaine de la fiscalité et qu’il doit dès lors être traité dans la filière Écofin. Toutefois, compte tenu de son engagement pour la transparence fiscale, le Luxembourg ne fera pas obstacle aux objectifs de la présidence du Conseil quant à la proposition de directive relative à la publication d’informations pays par pays», a indiqué le ministre.
Sur la question juridique, à l’inverse, la commissaire européenne irlandaise, qui représente la Commission européenne dans cette négociation, Mairead McGuinness, a considéré que la proposition était solide juridiquement. «La proposition ne vise en aucun cas à modifier les règles fiscales applicables aux entreprises ni à appliquer les règles fiscales au niveau de l’UE ou au niveau national», a déclaré Mme McGuinness. «Je salue l’opinion générale sur la nécessité de faire preuve de transparence sur cette question.»
La bataille pour la transparence fiscale est cependant loin d’être gagnée. Le texte ne reprend pas la position des parlementaires européens et prévoit par exemple une clause de confidentialité très étendue pour préserver les intérêts stratégiques des entreprises concernées.